Revue Suisse 2/2018

15 Revue Suisse / Mars 2018 / N°2 l’Union européenne attend désormais de la Suisse qu’elle renouvelle le versement de sa contribution à la cohésion pour les dix prochaines années. Ce à quoi le Conseil fédé- ral s’est engagé en novembre dernier lors de la visite à Berne du président de la Commission européenne Jean- Claude Juncker. Tout semblait laisser croire que cette fois, l’aide à la construction pour les pays européens les plus pauvres rem- porterait l’adhésion de tous les partis. En 2006, le premier milliard versé avait dû être approuvé par le peuple parce que l’UDC avait lancé un référendumcontre la loi sur la coo- pération avec les États d’Europe de l’Est. Cette fois, l’UDC a laissé s’écouler le délai référendaire contre le renouvelle- ment de cette loi. Ce qu’elle regrette au vu de la grogne qui monte au sein des partis politiques. La Suisse sur la liste grise Motif de la grogne: la posture agressive de Bruxelles visant à ce que la Suisse se montre conciliante sur d’autres dos- siers. Peu après l’accord du Conseil fédéral, l’Union euro- péenne a inscrit la Suisse sur une liste grise de pays dont le régime fiscal ne serait pas conforme aux critères européens. Concrètement, l’UE pointe du doigt les privilèges fiscaux accordés par la Suisse à des holdings étrangères. La réforme de l’imposition des entreprises III ayant été rejetée lors de la votation populaire, la mise en œuvre de l’exigence euro- péenne est en suspens. La sentence est arrivée peu avant Noël, lorsque l’UE a indiqué qu’elle limitait à un an l’accès aux marchés. Avec cette limitation, Bruxelles fait pression sur la Suisse afin qu’elle signe un accord-cadre institutionnel pour les ac- cords bilatéraux au cours du premier semestre, qui pré- voit la reprise par la Suisse du droit européen et règle la procédure d’arbitrage en cas de différends. Mais les partis bourgeois, en particulier l’UDC, ont dumal à voir dans cet accord-cadre le «contrat d’amitié» qu’évoque Jean-Claude Junker. Pour Christoph Blocher, figure de proue de l’UDC, le combat contre un tel accord est tout aussi déterminant que celui mené contre l’accord EEE. 25 ans après le rejet de cet accord, le Conseil fédéral s’apprête à assujettir la Suisse à l’UE avec un «contrat colonial». L’UDC, qui a lancé son «initiative d’autodétermination», souhaite ancrer dans la Constitution fédérale la priorité du droit constitution- nel suisse par rapport au droit international non contrai- gnant – comme par exemple les accords bilatéraux avec l’UE. Le Conseil fédéral a perçu la limitation à un an de la reconnaissance de l’équivalence boursière comme un af- front. Et ce, malgré la bonne figure affichée par le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker et la présidente de la Confédération à l’époque, Doris Leuthard. Cette dernière constatait quelques semaines plus tard que la Suisse était discriminée par l’UE. Les États-Unis, l’Aus- tralie et Singapour, avec lesquels l’UE entretient des rela- tions bien moins étroites, auraient bénéficié d’une recon- naissance illimitée de l’équivalence boursière. Alain Berset, le nouveau président de la Confédération, a égale- ment fustigé la manière dont Bruxelles s’est adressée à Berne. Sans reconnaissance boursière, la Suisse risque de perdre une part considérable du négoce de titres sur les places boursières européennes. Les partis bourgeois de- mandent au Conseil fédéral de suspendre le versement du milliard de cohésion et ce, aussi longtemps que l’équiva- lence de la bourse suisse ne sera pas garantie de manière illimitée. Les États de l’EEE davantage sollicités Même si le Conseil fédéral réalise que la Suisse devra conti- nuer à financer le fonds de cohésion, les pressions exercées par l’UE ont modifié l’état d’esprit des parlementaires. Les partis bourgeois n’entendent pas céder sans condition au nouveau bras de fer qui oppose Berne et Bruxelles. Mais rien ne dit que le Parlement sera prêt à engager une épreuve de force contre l’UE. En effet, d’autres pays comme la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein doivent verser une contribu- tionà la cohésionencoreplus élevée. Ces trois paysmembres de l’EEE ont versé entre 2004 et 2009 près de 1,8 milliard d’euros au total. De 2014 à 2021, l’UE recevra une nouvelle enveloppe de 2,8milliards d’euros, dont 97% sont financés par la Norvège. L’UE n’entend pas renoncer à la conclusion prochaine d’un accord-cadre étant donné qu’elle veut garantir une ap- plication cohérente du droit concernant les accords per- mettant à la Suisse de participer au marché intérieur. La première année dumandat d’Ignazio Cassis, le nouveaumi- nistre des Affaires étrangères, sera doncmarquée par la po- litique européenne. Le conseiller fédéral PLR avait laissé entendre avant son élection qu’il remettrait à plat les négo- ciations avec l’UE. L’UDC ne l’entend pas de la même oreille que les partis de gauche. Elle rejette tout alignement institutionnel de la Suisse sur les positions de l’UE. Les autres partis pensent qu’il est important de régler les relations entre la Suisse et l’UE et sont en faveur d’un tribunal qui arbitre les différends sur l’application du droit entre la Suisse et l’UE. L’UE se dit également ouverte à une telle solution, ce qui permettrait de trouver une issue au blocage institutionnel. MARKUS BROTSCHI EST CORRESPONDANT PARLEMENTAIRE POUR LE «TAGES-ANZEIGER» ET LE «BUND».

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