Revue Suisse 3/2019

Revue Suisse / Mai 2019 / N°3 7 et nous montrer des photos. On y voit de jeunes hommes avec des coiffures démodées manipulant un simulateur de vent solaire: les physiciens bernois de l’époque. J. Meister a contribué à dé- velopper la voile en tant que physicien expérimental. P. Bochsler n’était alors pas encore directement impliqué. En tant que professeur, il est devenu tou- tefois co-directeur de l’Institut, succé- dant ainsi à J. Geiss. J. Geiss lui-même amaintenant plus de 90 ans et s’est re- tiré de la vie publique. J. Meister et P. Bochsler se rendent au laboratoire, un local sans fenêtre, si- tué au sous-sol de l’Institut et truffé d’appareils. Au milieu, l’éclairage fait briller la voile de vent solaire. Et plus exactement, l’exemplairequi servait de réserve. J. Meister et P. Bochsler se placent près de la voile comme s’ils avaient affaire à une vieille connais- sance. J. Meister montre comment la feuille est tirée vers le haut depuis une languette tendue: «exactement comme un store enrouleur pour fenêtre.» «Une idée si belle et simple» Exposerunfeuilled’aluminiumauvent solairesurlaluneetlerapporter:«C’était une idée si belle et simple», explique J. Meister. Lesparticules solairesqui sedé- placent à une vitesse de quelques cen- taines de kilomètres par seconde, donc beaucouppluslentementquelalumière, percutent la feuille et y restent. En fai- sant ensuite fondre la feuille en labora- toire, on peut voir combien de parti- culesdedifférents typesont étépiégées. Tout devait être construit de façon à être simple d’utilisation pour fonc- tionner à 100%. Le système compor- tait ainsi unpied, un tube télescopique avec unfiletage ultrafin, qui amené les mécaniciens de l’Université à leurs li- mites. Il y avait le rouleau dépliable, logé dans le pied avant utilisation. Et enfin la feuille elle-même, renforcée par une bande adhésive en Téflon pour qu’elle ne se déchire pas. J. Meister: «l’impératif de poids d’une livre a constitué un véritable casse-tête. Si l’expérience avait pu peser un kilo, tout aurait été beaucoup plus simple.» La NASA n’a rien laissé au hasard et a chargé l’astronaute Don Lind de tester le dispositif à Berne. Contraire- ment aux physiciens et ingénieurs, il connaissait le point de vue des astro- nautes: il savait ce qu’il était possible d’avoir en main avec des gants épais. J. Meister: «Il nous a donné toute une série de consignes que nous avons dû appliquer avec précision.» Les surfaces de la poignée ont ainsi été grenelées sur le pied et les composants impor- tants colorés en rouge. «Mais notre voile plaisait à D. Lind, comme s’il s’était agi d’un joli jouet.» Pourquoi Berne en particulier? Pourquoi la seule expérience non amé- ricaine de la mission Apollo 11 est-elle née à Berne? «Il ne s’agissait pas d’une coïncidence», explique Peter Bochsler. Les physiciens bernois s’étaient déjà au- paravant penchés sur l’étudedemétéo- rites. Ils avaient ainsi fait leurs preuves pour des expériences avec de la roche lunaire. Enfin, le professeurGeiss était ami avec denombreux scientifiques de la NASA et entretenait ses relations avec l’agence spatiale américaine «avec passion et une grande habileté», af- firme P. Bochsler. Ce fut Jürg Meister qui apporta la feuille aux États-Unis, dans son ba- gage à main. Lors des trois missions suivantes, il eut l’opportunité de vivre le lancement de la fusée lunaire, de- puis une distance d’un kilomètre et demi: «C’était hallucinant et particu- lièrement bruyant. Les fréquences basses me pesaient sur l’estomac. Le devant de ma chemise vibrait. C’était comme si desœufs au plat grésillaient dans une immense poêle.» Lorsque Neil Armstrong et Buzz Aldrin ont marché sur la Lune, il était trois heures du matin en Suisse. Les physiciens bernois ont suivi l’événe- ment depuis un téléviseur à l’Institut. «Je n’étais pas nerveux», déclare Jürg Meister, «Je savais qu’il n’y aurait au- cun problème avec la voile puisque nous l’avions testée des centaines de fois.» De son côté, Peter Bochsler espé- rait simplement «qu’ils reviennent sains et saufs». Jürg Meister vit aujourd’hui non loin de Thoune. Après ses années à l’Université de Berne, il évalua les don- nées d’une autre expérience Apollo en tant que jeune docteur en physique au Texas. De retour en Suisse, il fut em- bauché à Thoune dans une usine de munitions et travailla sur les muni- tions antiblindage. Aujourd’hui, il s’intéresse encore à tout ce qui vole. Il ne s’agit toutefois plus spécifiquement d’avions et de fusées: avec sa femme, il élève des papillons. Et à chaque fois qu’il regarde la Lune, il se dit: «Là-haut, il y a cinq pieds que j’ai tenus dansmes mains – c’est quand même spécial.» Les pérégrinations de Peter Bochsler l’ont mené en Israël. L’Amé- rique l’intéressaitmoins, «notamment en raison de l’implication des États- Unis dans la guerre du Vietnam». Après son retour à Berne, il s’est à nou- veau penché sur l’étude du vent solaire. Plus tard, des instruments placés sur des sondes spatiales ont confirmé les résultats des expériences Apollo. L’astronaute Buzz Aldrin plante la voile solaire ber- noise sur la Lune, juste avant le drapeau américain. Photo Keystone

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