Revue Suisse 5/2019
Revue Suisse / Septembre 2019 / N°5 8 sés par l’invasion, les anciens gérants ont jeté l’éponge en 2018. Ces effets collatéraux du tourisme de masse ali- mentent le débat sur ce qu’on appelle aussi en Suisse, le «surtourisme». Au point que même la Fédération suisse du tourisme, qui défend les intérêts du secteur, a récemment pris position par écrit sur ce thème. Robert Zen- de visiteurs. La demande euro- péenne n’a toujours pas retrouvé son niveau d’avant la crise. Pour le spé- cialiste, c’est là qu’il faut œuvrer. Car le revers de la médaille du «surtou- risme» fait des dégâts perceptibles dans certaines régions. D’après Ho- telleriesuisse, une centaine d’hôtels ferment leurs portes chaque année «Tout lemonde veut aller aumême endroit» Selon Jürg Stettler, chercheur en tourisme à Lucerne, la croissance des marchés asiatiques, les réseaux sociaux et le comportement caractéristique des touristes sont à l’origine du tourisme de masse. «Revue Suisse»: Jürg Stettler, assiste-t-on à un phénomène de «surtourisme» en Suisse? JürgStettler:Àcertainsendroits,l’évolutionest similaire à celle qu’ont connue des villes sou- vent citées en exemple comme Venise, Barce- lone ou Amsterdam, mais dans une moindre mesure. Il n’existe néanmoins pas de seuil ob- jectif en lamatière.Nouspouvonsmesurerdes indicateurs, comme le nombre de touristes proportionnellement à la population. Le mo- ment où la limite est dépassée dépend toute- foisde laperspectiveet relèvede laperception subjective. LeshabitantsdeLucerneet d’Inter- laken affirment ne plus reconnaître leur ville. Dans le même temps, les vendeurs de souve- nirs se réjouissent de l’afflux de touristes. Foule abondante, diminution des logements vacants, boutiques de souvenirs partout: ne s’agit-il pas là des symptômes de «surtourisme»? Ce sont des critères, oui, mais ils sont aussi perçus différemment. Et les villes n’ont pas un problème de «surtourisme» généralisé. J’étais l’été dernier à Venise pour une confé- rence. Venise à la haute saison? À en croire les médias, c’est un cauchemar. Et effective- ment, certains lieux étaient parfois bondés. Pourtant, ma surprise a été de trouver des petites places désertes, à quelques centaines de mètres des hauts lieux touristiques. Les médias exagèrent-ils avec le «surtourisme»? Non, mais ils prennent souvent des raccour- cis et ne se basent pas assez sur des faits. Il nous manque des données pour effectuer une évaluation fondée. Je ne veux pas mini- miser le phénomène, mais juste élargir l’angle de vue. Quelles sont les causes du tourisme de masse? La première, ce sont les flux touristiques croissants à l’échelle mondiale. Sur les grandsmarchés chinois et indien, de plus en plus de personnes peuvent se permettre de voyager. La deuxième, c’est que tout le monde veut aller au même endroit. Ce n’est pas un comportement nouveau, les Suisses font lamême chose, mais la quantité peut de- venir un problème. La troisième cause réside dans les réseaux sociaux. Les touristes par- tagent leurs pérégrinations en photos sur Instagram, les bloggeurs publient des listes d’endroits incontournables. Conséquence: de plus en plus de gens y vont. Entrées payantes, parkings plus chers pour les cars, gestion des flux de touristes, limitation des offres Airbnb: quelles sont les mesures efficaces? Dans les villes historiques, de nombreuses mesures ne sont pas réalisables ou ont un ef- fet limité. Chaque destination doit plutôt se faire une idée du tourisme qu’elle souhaite avoir. Et tous les acteurs doivent être impli- qués dans cette réflexion pour qu’ils tirent tous à la même corde. Le directeur du tou- risme de Lucerne peutmiser sur une offre de qualité autant qu’il veut, mais si un chemin de fer demontagne ou un bijoutier signe tout de même des contrats avantageux avec des tour-opérateurs chinois qui visent la quan- tité, la situation n’est pas près de changer. Il n’est pas facile de gérer les groupes d’intérêts, mais je ne vois pas d’alternative. Sinon, des voix s’élèveront tôt ou tard contre le tou- risme, tant au sein de la population que du côté des politiques. Avec pour conséquence des décisions trop drastiques, comme l’in- terdiction d’Airbnb. Quelle destination épargnée par l’afflux de touristes recommandez-vous aux Suissesses et aux Suisses de l’étranger qui souhaitent passer leurs vacances ici? Tous les lieux accessibles uniquement à pied ou à vélo: la probabilité d’y découvrir une perle cachée à certaines heures de la journée est grande. C’est le cas de Fräkmün- tegg sur lemont Pilate, entre les cantons de Lucerne et de Nidwald. S’y rendre avant le coucher du soleil, c’est être certain de pou- voir savourer le calme et la vue. Mais sur- tout, évitez de poster vos photos sur Ins- tagram! Jürg Stettler est professeur à la Haute école de Lucerne, où il dirige l’institut d’écono- mie du tourisme. häusern, son représentant, relativise: «En Suisse, ce phénomène reste très localisé». Il constate que la répartition des touristes en Suisse est inégale. Cer- taines régions de montagne du Va- lais et des Grisons situées hors des circuits des tour-opérateurs interna- tionaux déplorent toujours l’absence En profondeur
RkJQdWJsaXNoZXIy MjYwNzMx