Revue Suisse 6/2020

Revue Suisse / Novembre 2020 / N°6 38 Avouer que l’on est duettiste dans un ensemble piano-harpe, c’est s’exposer souvent à de drôles de questions, comme: «Et sinon, quelle est votre profession?» Cela n’a pas fait peur au «Duo Praxedis», créé il y a dix ans par une har- piste zougoise et sa fille pianiste, et qui connaît aujourd’hui un vif succès. Toutes les deux se prénomment Praxedis: la mère est Praxedis Hug-Rüti, et la fille, Praxedis Geneviève Hug. Elles sont toutes deux pianistes de formation, la mère ayant choisi la harpe comme deuxième instrument pendant ses études. Après son mariage, le piano est passé pour elle au second plan, et sa fille au premier. Mais quelques années plus tard, mère et fille ont décidé de former un duo piano-harpe à l’occa- sion d’un concert privé. «Au début, nous ne savions même pas quoi jouer. Nous nous sommes emparées de la sonate pour deux pianos KV 448 de Mozart, et l’avons triturée tant bien que mal pour la jouer à la harpe et au piano», raconte la mère. Rapidement, les deux femmes découvrent qu’il existe un trésor d’œuvres originales pour harpe et piano. Aujourd’hui, leur répertoire extrêmement riche comprend des adaptations d’œuvres célèbres, de la musique contemporaine, des arrangements personnels et lesdites œuvres originales du XIX e siècle. Au cours de ces sept dernières an- nées, le duo a commercialisé douze enregistrements très différents. La fille explique: «Sans CD, un artiste n’existe pas. Chaque disque nous permet de refaire de la promotion.» Si les deux femmes s’harmonisent à merveille sur le plan privé et musical, elles soulignent tout de même leur statut de solistes: «Nous sommes deux combattantes solitaires, mais nous partageons toutes les responsabilités lorsque nous jouons en duo.» Notamment lorsque l’une ou l’autre traverse des bas ou des hauts: «Si ma mère crée un rythme particulièrement réussi avec sa harpe, je dois moi aussi soi- gner le mien pour être à la hauteur. Et si elle n’est pas en forme, alors je dois de toute façon assurer!» La manière dont, malgré toute leur indépendance, chacune des deux femmes parvient à accorder le son de son instrument avec ce que joue l’autre est étonnante. Si l’on a l’oreille distraite, on peut parfois ne plus savoir si c’est la harpe ou le piano qui est en train de jouer – et l’on comprend alors ce qu’est la fusion sonore de deux instruments et de deux musiciennes. CHRISTIAN BERZINS «Le voici, qui frappe à ma porte et me réveille. Il est à peine cinq heures et demie.» Les jour- nées du nonagénaire Felice, habitant d’un vil- lage isolé du Tessin, commencent à l’aube par un rituel particulier. Le narrateur, un jeune homme qui a fui la ville, l’accompagne. En si- lence souvent, ils gravissent tous les jours et par tous les temps un chemin qui mène en al- titude pour aller se baigner dans un bassin d’eau naturel (en italien: «la pozza»). Le jeune homme raconte la vie au village, mais il se concentre surtout sur les moments passés avec Felice. Le quotidien de cet homme cha- rismatique, dont la vie n’a pas été simple, est fait de tâches concrètes et pratiques comme fendre du bois, cuisiner et aider ses voisins. Dans ce village de montagne désormais presque uniquement peuplé de personnes âgées, les jours se déroulent toujours de la même façon. Pourtant, des choses inattendues se produisent: Felice reçoit une missive mystérieuse. La nouvelle se répand comme une traînée de poudre, et bientôt tout le monde est au courant, mais nul ne connaît le contenu de la lettre. Felice semble attendre une visite. II commence à aménager une chambre dans sa maison. L’auteur, Fabio Andina, possède une écriture sans fioritures, mais riche de sonorités. Sous sa plume, l’univers de la montagne est âpre, cependant jamais hostile. On sent dans certaines de ses tournures poétiques son attachement à la vallée tessinoise qu’il peint. Fabio An- dina décrit un lieu réel, à la fois autobiographique et fictif, comme il l’a déclaré dans une interview. Les «originaux» du village, des gens qui n’entrent pas dans le schéma de la performance et de la consomma- tion, font ici tout naturellement partie de la communauté, dans la- quelle on s’entraide. L’auteur ne craint pas non plus d’aborder des pro- blèmes comme l’abus d’alcool ou l’exode rural. Le personnage de Felice (qui signifie «heureux» en italien), avec sa manière de prendre soin de lui-même et d’être toujours là pour les autres habitants du village, est formidable. Il s’agit d’un livre à la len- teur envoûtante, sur un personnage en paix avec lui-même. Fabio Andina, né en 1972 à Lugano, a fait des études de cinéma à San Francisco. Il vit aujourd’hui à nouveau au Tessin. Son premier re- cueil de poésie est paru en 2005, et son premier roman en 2016. «La pozza del Felice» est son deuxième roman, et le premier à avoir été tra- duit en allemand. Il paraîtra en français en 2021 aux Éditions Zoé à Genève. RUTH VON GUNTEN Quand piano et harpe ne font plus qu’un La pozza del Felice Écouté pour vous Lu pour vous DUO PRAXEDIS: Carl Rütti Works for Harp & Piano, Ars Produk- tion, 2019, Grand Duet, Ars Produktion, 2017, Dreaming, Idagio, 2010 FABIO ANDINA: «Tage mit Felice» Rotpunktverlag Zurich 2020 240 pages; CHF 28.00 «La pozza del Felice» Rubbettino Editore, Italie, 2018, 209 pages; CHF 22.00

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