Revue Suisse 4/2021

Revue Suisse / Août 2021 / N°4 30 vagerie. Nicolas Bouvier a déjà voyagé en Laponie, en Afrique du Nord et dans les Balkans. À présent, cependant, il s’avance vers l’inconnu, avec un nouveau regard et une attention portée aux gens et aux choses qui n’appar- tiennent qu’à lui. Une nouvelle approche du récit de voyage La première partie du périple, de Belgrade à Kaboul, Nico- las Bouvier la décrira dans son livre «L’Usage dumonde» en 1963. Les deux amis ont financé leur voyage avec la vente des toiles de Thierry Vernet et les articles que Nicolas Bou- vier a écrits pour des journaux. C’est la première fois, dans cet ouvrage, qu’émerge l’inimitable manière d’aborder le récit de voyage de l’écrivain. Unique par le ton, le choix des mots, le rythme, il pénètre véritablement au cœur des choses, des lieux, des personnes qu’il décrit, toujours sou- cieux de faire preuve d’humanisme dans un monde inhu- main en soi. Son récit reflète non seulement les pays étran- gers qu’il visite, mais aussi le monde intérieur de l’observateur, qui se caractérise par ses qualités d’âme subtiles et ses vastes connaissances. Après un an et demi, les deux amis se séparent et Nicolas Bou- vier traverse l’Inde seul pour ga- gner la Chine puis Ceylan, l’actuel Sri Lanka, où il séjourne pendant neuf mois. Dans «Le Poisson-scor- pion», en 1982, il décrira comment il s’est trouvé affaibli par le climat humide et chaud du pays, mais aussi comment ses sens se sont af- fûtés pour percevoir les aspects fascinants et effrayants de l’île, dont il tente de saisir lemonde des ombres et des insectes. Il quitte Ceylan en octobre 1955 et s’em- barque sur un vapeur français pour le Japon, où il reste un an et récolte la matière qu’il restituera en 1970 dans sa «Chronique japo- naise». CHARLES L INSMAYER Deux Suisses peuvent être associés à cette poésie de lamé- canique qu’incarne la Topolino, petite voiture fabriquée par Fiat entre 1936 et 1955. Il s’agit, d’une part, de Gottlieb Duttweiler (1888–1962), le fondateur de Migros, qui par- venait à caser avec une inexplicable agilité sa silhouette massive dans le minuscule véhicule aujourd’hui exposé En Topolino au Japon et en Afghanistan C’est au cours d’un voyage au volant d’une vieille voiture que Nicolas Bouvier a développé, entre 1953 et 1957, son nouvel «usage du monde», toujours aussi fascinant aujourd’hui. «On ne voyage pas pour se garnir d’exotisme et d’anecdotes comme un sapin de Noël, mais pour que la route vous plume, vous rince, vous essore, vous rende comme ces ser- viettes élimées par les lessives qu’on vous tend avec un éclat de savon dans les bordels.» (Nicolas Bouvier, «Le Poisson-scorpion», Éditions Gallimard, Paris 1996) Littérature au Musée des transports à Lucerne, et d’autre part de Ni- colas Bouvier, né le 6 mars 1929 au Grand-Lancy, près de Genève, et décédé le 17 février 1998 dans la cité de Calvin. C’est en effet au volant de sa Topolino qu’il part pour l’Asie à l’été 1953 avec un ami, le peintre Thierry Vernet, dans le but de découvrir le monde avec un état d’esprit tout à fait nouveau, curieux et ouvert, prêt à toutes les aventures, mais aussi empreint de philosophie et de souci de l’envi- ronnement. Une invitation à l’allégement Ne rien faire est l’activité préférée des deux jeunes hommes. Ils ont deux ans devant eux et de l’argent pour quatre mois, et ils projettent de se rendre en Turquie, en Iran, en Inde et au Japon pour y arpenter des déserts, des cols, des villes, des marchés et la nature dans toute sa sau-

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