Revue Suisse / Décembre 2021 / N°6 19 Fascination en chiffres Pi, le nombre qui porte la 16e lettre de l’alphabet grec, «π», constitue pour la plupart d’entre nous un souvenir d’école. Peut-être se souvient-on vaguement qu’il exprime le rapport entre la circonférence d’un cercle et son diamètre. Pi sert à calculer l’aire d’un cercle, qu’il soit immense ou minuscule. Peut-être même se rappelle-t-on ses premiers chiffres: 3,1415. Ce qui n’est pas grand-chose, car Pi est ce que les mathématiciens appellent un nombre transcendant. Autrement dit, Pi est constitué d’une série infinie de décimales après la virgule. Or ces décimales ne se répètent pas, révèle Heiko Rölke, et chacune d’entre elles doit être calculée: «C’est ce qui est particulier et fascinant.» Il n’est donc pas étonnant que les grands esprits cherchent à définir Pi depuis 3600 ans déjà: les anciens Égyptiens, les mathématiciens grecs Archimède et Ptolémée, le chinois LiuHui, le Perse Al-Kachi ou encore l’allemand Leibniz. Certains mathématiciens et physiciens ont passé leur vie à calculer une ou deux centaines de décimales de Pi, relate le chercheur. L’invention de l’ordinateur a considérablement élargi les possibilités. À la fin des années 1940, un ordinateur à tubes a calculé pour la première fois plus de 2000 décimales après la virgule. Quand le chemin est le but À la fin des années 1980, ce sont les frères Chudnovsky, des Ukrainiens, qui ont mis au point l’algorithme utilisé par la HES des Grisons pour le calcul de Pi. L’ordinateur haute performance est parvenu à définir 62831853 071 796 décimales après la virgule. Si l’on voulait imprimer ce chiffre ultralong, soit dit en passant, on aurait besoinde 17,5milliards de pages A4 recto verso. La dimension est indéniablement imposante, et les chercheurs grisons sont parvenus à cerner le phénomène Pi de plus près que tous ceux qui les ont précédés. Mais à quoi sert, au fond, cette précision? «Elle n’a aucune utilité pratique», concède joyeusement Heiko Rölke. Pour les applications terrestres normales, quelques décimales suffisent. Il en faut nettement plus pour le calcul astronomique des orbites, «mais certainement pas des billions». Les Grisons n’ont de toute façon jamais eu l’intention de travailler avec Pi. Leur but était plutôt de trouver la manière de déterminer cette formidable suite de chiffres. Car pour la calculer, Heiko Rölke indique qu’il faut, en plus du super-ordinateur fraîchement acquis par la HES, l’expertise nécessaire pour le programmer correctement et le faire fonctionner pendant des semaines sans interruption. Par cette tentative de record mondial, les informaticiens ont donc testé la capacité de leur infrastructure. Et ils ont étendu leurs connaissances. Fin prêts pour la recherche intensive en données «Lors de la préparation et de l’exécution des calculs, nous avons accumulé beaucoup de savoir-faire et optimisé nos processus», relate Heiko Rölke. Des points faibles ont également pu être identifiés, notamment des capacités de sauvegarde insuffisantes. Car pour calculer Pi de manière aussi précise et consigner les résultats intermédiaires, il a fallu un espace de stockage colossal. Les chercheurs ont dû régulièrement exporter les données sur des disques durs externes usuels. Ainsi, en réalisant cet exploit, les Grisons se sont armés pour les projets extrêmement gourmands en données et en calculs qu’ils expérimentent et développent avec des partenaires. En collaboration avec l’Institut suisse de recherche sur les allergies et l’asthme, également situé auxGrisons, ils effectuent par exemple des recherches sur les origines des allergies chez les enfants, à propos desquelles HeikoRölke note qu’on sait encore peu de choses. Dans ce vaste projet, des calculs complexes sont nécessaires pour analyser des échantillons sanguins. Les chercheurs étudient l’ARN messager du génome: «Avec les procédures de calcul ordinaires, nous touchions à nos limites.» D’autres projets exigent aussi une capacité de calcul accrue, comme les simulations climatiques servant à prédire les crues et les avalanches. En Suisse, les HES sont responsables des connaissances orientées vers la pratique. La fin actuelle de Pi Ainsi, le record dumonde du calcul de Pi sert à de véritables recherches, note son initiateur. Le livre Guinness des records l’a homologué, mais les Grisons pourraient ne pas se réjouir longtemps de leur statut de champions du monde. L’expériencemontre que le record du calcul de Pi est battu tous les ans ou tous les deux ans. Le dernier record suisse n’a d’ailleurs que quatre ans: en 2017, le physicien argovien Peter Trüeb avait atteint 22,4 billions de décimales après la virgule. Il avait été surpassé deux ans plus tard par Emma Haruka Iwao, chercheuse chez Google, qui avait déterminé 31 billions de décimales. Heiko Rölke, qui a l’esprit sportif, ne s’en afflige pas. La publication du chiffre record établi dans les Grisons lui donne davantage de fil à retordre. Il lemettrait volontiers à la disposition du public, mais indique que quelqu’un devrait pouvoir offrir à cette fin un espace de stockage pour 62 térabytes de données. C’est en effet la place que prend le fichier non compressé. «Nous allons probablement nous adresser à Google», annonce le chercheur. La «Revue Suisse» doit elle aussi, pour des raisons compréhensibles, se limiter à livrer ici les dix dernières décimales après la virgule de Pi désormais connues. Les voici: 7817924264. Plus haut, plus grand, plus rapide, plus beau? À la recherche des records suisses qui sortent de l’ordinaire. Aujourd’hui: les champions du monde de Suisse du calcul du nombre Pi. suisse e trêmes s
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