La guerre en Ukraine change la politique d’asile suisse Des milliers de logements bientôt chauffés et refroidis par les lacs suisses Le gigantesque bunker lucernois, souvenir de la guerre froide JUILLET 2022 Revue Suisse La revue des Suisses . ses de l'étranger
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Boutcha, Irpin, Marioupol: ce sont des images terrifiantes qui nous sont parvenues d’Ukraine. Elles montrent la réalité de la guerre: la peur et l’effroi, la mort et la dévastation, les atrocités et les déplacements. Ce conflit, qui met tout le monde à rude épreuve, change même la Suisse. Après de longues années caractérisées par une politique d’asile restrictive, le pays ouvre à présent ses portes. Des dizaines de milliers de réfugiés ukrainiens, arrivés les bagages légers mais le cœur lourd, ont été accueillis sans tracasseries administratives. La guerre questionne aussi l’image que la Suisse se fait d’elle-même: comment un petit pays qui se considère comme neutre doit-il se comporter? À partir de quand la neutralité devient-elle l’expression de l’indifférence? Au début de la guerre, le Conseil fédéral a d’abord décidé que la Suisse, en sa qualité de pays neutre, n’imposerait pas de sanctions à la Russie, mais prendrait seulement des mesures pour éviter que les sanctions d’autres pays ne soient contournées par le biais de la Suisse. Personne ou presque n’a réussi à déchiffrer ce que cela signifiait concrètement. Depuis, la Suisse semble emportée par les événements. Quelques jours plus tard, elle a finalement décidé de se rallier à toutes les sanctions européennes, car être «neutre» ne signifie pas être «inactif», a déclaré le président de la Confédération, Ignazio Cassis. La Russie a réagi en plaçant la Suisse sur sa liste des «pays hostiles». En même temps, les liens d’interdépendance de la Russie avec la Suisse restent étendus et opaques. 80 % du commerce russe de matières premières passe par la Suisse. Et les fonds détenus en Suisse par les oligarques proches du Kremlin pourraient atteindre 200 milliards de francs. Les «chasseurs d’argent» suisses n’ont trouvé qu’une fraction de ces avoirs pour les geler. La Commission d’Helsinki, une agence indépendante du gouvernement américain, reproche ainsi à la Suisse d’être «la complice de Poutine». Une accusation sévère qui pourrait obliger la Suisse à revoir sérieusement ses lois contre le blanchiment d’argent. Mais revenons à ceux qui ne se soucient pas de leurs milliards, mais craignent pour leur vie et leur avenir. Nous avons rencontré des réfugiés dans un hameau bernois et leur avons posé la question: quel accueil la Suisse réserve-t-elle aux réfugiés d’Ukraine? MARC LETTAU, RÉDACTEUR EN CHEF 4 En profondeur Réfugiés ukrainiens: la Suisse et sa culture d’accueil 8 Sélection / Nouvelles 10 Nature et environnement La forêt, lieu de repos si fréquenté que les conflits s’y multiplient 12 Images 14 Science Se chauffer avec la chaleur des lacs? La Suisse découvre l’hydrothermie Actualités de votre région 17 Chiffres suisses 18 Société Le CSE demande au Conseil fédéral d’interdire les symboles nazis 20 Littérature Charles Linsmayer, l’avocat des auteurs suisses oubliés 22 Reportage Le plus grand bunker de Suisse réveille des souvenirs de la guerre froide 25 Sport La sprinteuse Mujinga Kambundji s’inscrit dans l’histoire du sport suisse 26 Nouvelles du Palais fédéral 29 Infos de SwissCommunity 30 Débat La voix du lectorat Les bagages légers, mais le cœur lourd Photo de couverture: manifestation à Lausanne contre l’invasion russe en Ukraine. Photo Jean-Christophe Bott, Keystone La «Revue Suisse», magazine d’information de la «Cinquième Suisse», est éditée par l’Organisation des Suisses de l’étranger. Revue Suisse / Juillet 2022 / N°3 3 Éditorial Sommaire
4 Schwerpunkt Ils sont réfugiés – et bienvenus Ils ont fui le Donbass et trouvé asile à Mittelhäusern: Alexander Volkow, sa belle-fille Julia et son petit-fils Sergueï. Les personnes réfugiées sont surtout des mères, des enfants et des personnes âgées. Revue Suisse / Juillet 2022 / N°3 4 En profondeur
5 THEODORA PETER ET MARC LETTAU «La nuit, dans mes rêves, je vois ma datcha», relate Alexander Volkow. Il rêve des vignes dont il devrait prendre soin à cette saison. Mais cet ingénieur en métallurgie retraité de Kramatorsk se trouve à 2500 kilomètres de sa maison de vacances, dans un petit village bernois dont il ignorait même l’existence il y a peu: Mittelhäusern. Alexander Volkow est ukrainien, et le chemin qu’il a parcouru jusqu’ici – hormis sa destination, due au hasard – ressemble à celui de millions d’autres personnes arrivées d’Ukraine. Avec sa belle-fille Julia et son petit-fils Sergueï, il a fui sa ville du Donbass sous le feu des missiles, fui la guerre, la mort, la destruction et la misère. En Suisse, les autorités en matière de réfugiés lui ont finalement notifié que lui et sa famille avaient «reçu une invitation pour Mittelhäusern». Une chance dans leur détresse: «Des gens chaleureux nous ont accueillis». Malgré la cordialité de la famille d’accueil, Alexander Volkow est toujours, dans sa tête, dans le Donbass assiégé, à Kramatorsk: «Chaque matin, nous commençons par chercher à savoir ce qui est encore debout, si notre maison est encore debout». En même temps, il est hanté par cette question: vaut-il mieux une «bonne guerre», qui fera beaucoup de victimes, ou une «mauvaise paix», qui entraînera plusieurs années d’incertitude et de discorde dans son sillage? Il n’est pas le seul à se poser de telles questions. Quand il se promène, appuyé sur sa canne, à travers le village, il rencontre par exemple Anhelina Kharaman, qui est elle aussi hésecours, fourni de l’aide et proposé des logements privés. Cela rappelle les grands mouvements de solidarité du passé, par exemple quand les troupes soviétiques ont envahi la Hongrie, en 1956, ou la Tchécoslovaquie, en 1968. La Suisse avait alors aussi accueilli les réfugiés d’Europe de l’Est à bras ouverts. Face à l’invasion russe en Ukraine, le Conseil fédéral a activé au mois de mars, peu après le début de la guerre, le statut de protection S. Sur le papier, cette catégorie de réfugiés existe déjà depuis les années 1990. À l’époque, le conflit armé faisant rage en ex-Yougoslavie avait contraint de nombreuses personnes à prendre la fuite. Toutefois, ce statut de protection spécifiquement prévu pour les personnes déplacées n’avait encore jamais été appliqué, pas même pendant la guerre en Syrie, qui a également jeté sur les routes des millions d’individus. Le statut de protection S offre aux perFuyant la guerre, des dizaines de milliers d’Ukrainiens ont trouvé refuge en Suisse. L’accueil non bureaucratique qui leur est réservé témoigne de la solidarité de la Suisse, mais révèle aussi les zones d’ombre de sa politique d’asile bergée chez des particuliers, avec sa mère et sa fille. Elle vient de Marioupol, cette ville en ruines au sud de l’Ukraine. Mykola Nahornyi et Lilia Nahorna, un couple de Dnipro, séjournent eux aussi à Mittelhäusern pour l’instant. Et eux aussi parlent du jardin dont il faudrait s’occuper pour qu’il donne des récoltes suffisantes pour l’hiver. Une vague de solidarité Une douzaine de réfugiés ukrainiens vivent en ce moment à Mittelhäusern, une douzaine sur les plus de 50 000 femmes, enfants et personnes âgées qui sont arrivés en Suisse au cours des trois premiers mois de la guerre. Depuis la Deuxième Guerre mondiale, la Suisse n’avait jamais connu un tel afflux de réfugiés en si peu de temps. Les personnes déplacées ont bénéficié d’une vague de solidarité: la population a rassemblé du matériel de Anhelina Kharaman dans la cour fleurie de son logement provisoire. Aujourd’hui Marioupol, sa ville d’origine, gît sous les gravats et les cendres. Photos: Danielle Liniger Le sésame portant un «S» en haut à gauche: délivré pour la première fois, le «livret S» facilite le séjour des réfugiés en Suisse. Revue Suisse / Juillet 2022 / N°3
La Suisse doit réinventer sa neutralité Après ses hésitations initiales, le Conseil fédéral a résolument repris toutes les sanctions de l’UE contre la Russie. Cela a déclenché un débat politique sur la neutralité de la Suisse THEODORA PETER L’attaque par la Russie d’un pays européen indépendant est inacceptable «tant du point de vue du droit international que du point de vue politique et moral», a déclaré aux médias le président de la Confédération, Ignazio Cassis, quatre jours après le début de la guerre à la fin février. «Faire le jeu d’un agresseur n’est pas neutre.» Par ces mots, il justifiait pourquoi la Suisse s’était ralliée sans les modifier aux sanctions économiques sévères de l’Union européenne (UE) contre la Russie. Il s’agit d’un changement de ton: jusque-là, le Conseil fédéral s’était limité à éviter le contournement de ces mesures par la Russie. En 2014, après l’annexion de la Crimée, le gouvernement suisse refusait encore, en se référant à sa neutralité, d’appliquer directement les sanctions de l’UE. Ce revirement de Berne a provoqué des réactions dans le monde entier. Le «New York Times» a même titré que la Suisse abandonnait sa tradition de neutralité. Le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) indique toutefois sur son site web que cela n’est aucunement le cas: la Suisse ne favorisant militairement aucun belligérant, elle conserve «sa neutralité au sens étroit». Il est question ici de ce qu’on appelle le droit de la neutralité: d’après la Convention de La Haye de 1907, les États neutres s’engagent à ne pas prendre part à des guerres. Et à veiller à une égalité de traitement de tous les belligérants dans la livraison d’armes. Le «mythe» versus la réalité politique En revanche, concernant l’aménagement de sa politique de neutralité, la Suisse n’est liée par aucun accord international. La Constitution fédérale prévoit simplement que le Conseil fédéral et le Parlement prennent «des mesures pour préserver la neutralité de la Suisse». La concrétisation de ces mesures dépend de l’évaluation politique de la situation au cas par cas. La neutralité de la Suisse a toujours été «aussi extensible et malléable qu’un chewinggum», déclare l’historien Hans-Ulrich Jost dans un entretien avec la «SonntagsZeitung». Il donne l’exemple de la Deuxième Guerre mondiale, quand la Suisse a «pratiquement été intégrée dans l’économie de guerre allemande». À l’époque, l’Allemagne octroyait même des crédits pour acheter des munitions et des armes en Suisse. Étant donné que la Confédération entretient des liens économiques et financiers étroits avec l’étranger, le «mythe» de la neutralité est souvent incompatible avec la réalité politique. En ce sens, il n’existe pas de «neutralité idéale», fait remarquer l’historien. L’UDC prévoit une initiative La compatibilité de la neutralité helvétique avec la réalité politique fait débat, même sur fond de guerre en Ukraine. L’UDC critique le fait qu’en reprenant les sanctions économiques contre la Russie, la Suisse est devenue «belligérante». Le parti conservateur de droite prépare donc une initiative populaire pour inscrire une «neutralité intégrale» dans la Constitution fédérale. Les autres partis, en revanche, voient la fin de la neutralité traditionnelle approcher face à «l’attaque des valeurs occidentales». Des politiciens bourgeois du Centre et du PLR souhaitent même autoriser les livraisons d’armes aux pays amis. Et même un rapprochement avec l’alliance de défense qu’est l’OTAN semble ne plus être un tabou pour certains. En d’autres termes, la Suisse est sur le point de réinventer sa neutralité. En Suisse, l’attaque de l’Ukraine par la Russie a fait descendre dans la rue des dizaines de milliers de personnes. En signe de solidarité, des milliers de drapeaux jaune et bleu flottent sur les balcons. Photo Keystone Revue Suisse / Juillet 2022 / N°3 6 En profondeur
les proches qui sont restés dans la zone de guerre – les maris, les pères et les fils mobilisés dans l’armée. À cela s’ajoutent des angoisses existentielles. Seule une minorité de réfugiés possède des connaissances linguistiques suffisantes pour trouver rapidement un emploi en Suisse. Les personnes sans ressources peuvent demander l’aide sociale d’asile. Mais les prestations de celle-ci sont inférieures de 30 à 40 % à l’aide que les Suisses en situation de détresse financière reçoivent ordinairement. En d’autres termes, les aides étatiques ne suffisent guère à subvenir aux besoins quotidiens. On trouve donc de plus en plus d’Ukrainiens faisant la queue devant les organisations d’aide alimentaire parmi les autres personnes dans le besoin. Les organisations d’aide aux réfugiés mettent en garde contre une précarisation des La guerre en Ukraine a chassé du pays près de six millions de personnes. La Suisse s’attend à accueillir entre 80000 et 120000 réfugiés d’ici l’automne. personnes concernées et critiquent la culture d’accueil «bon marché» d’une Suisse pourtant fortunée. Les familles suisses qui ont généreusement accueilli chez elles plus de 20 000 réfugiés pendant au moins trois mois font aussi des sacrifices financiers. Selon les cantons, elles ne reçoivent que des indemnités symboliques, et peu de soutien au quotidien dans la plupart des cas. «De nombreuses familles d’accueil se sentent abandonnées», note Christoph Reichenau, co-initiateur du mouvement d’entraide Ukraine-Hilfe Bern. L’organisation a ouvert un centre d’écoute pour les réfugiés et les familles d’accueil près de la gare de Berne. Elle organise aussi des cours de langue et réunit sur son site web les nombreuses offres de soutien bénévole. La solidarité au sein de la population reste élevée, relate Christoph Reichenau. Mais des perspectives claires et un renforcement des structures sont nécessaires, souligne-t-il, «afin que la disposition spontanée à aider devienne un soutien permanent». Pas de retour rapide en vue Les autorités tablent elles aussi sur le fait que les réfugiés ukrainiens resteront en Suisse plus d’un an. Un retour rapide dans les villes ukrainiennes bombardées semble de plus en plus improbable. À la clôture de la rédaction, à la mi-mai, les attaques russes sur le pays n’avaient pas faibli. Face à l’afflux croissant de réfugiés – la Confédération s’attend à ce que leur nombre atteigne entre 80 000 et 120000 personnes au total d’ici l’automne –, les autorités doivent non seulement trouver davantage de lieux d’hébergement, mais aussi clarifier les perspectives des réfugiés en Suisse. Si cela ne tenait qu’à eux, Alexander Volkow, Anhelina Kharaman, Mykola Nahornyi et Lilia Nahorna rentreraient à Kramatorsk, Marioupol ou Dnipro pour s’occuper de leur maison et de leur jardin. Pour l’heure, Lilia Nahorna cultive de jeunes pousses en pot: ainsi, elle pourra ramener les plantes chez elle facilement. Chez elle, en Ukraine. sonnes concernées de précieux avantages: il leur suffit de s’annoncer auprès des autorités, sans devoir faire une demande d’asile effective. Elles peuvent chercher immédiatement un emploi, faire venir leur famille en Suisse et voyager librement, y compris à l’étranger. Tout cela reste refusé aux réfugiés issus d’autres régions en conflit. Les Afghans, les Syriens, les Érythréens, les Éthiopiens ou les Irakiens doivent passer par la procédure d’asile ordinaire et n’ont le droit ni de travailler ni de voyager jusqu’à la décision officielle. Cela s’applique également aux personnes accueillies temporairement en Suisse parce qu’il ne peut être exigé d’elles qu’elles retournent dans leur pays. L’aide aux réfugiés exige l’égalité de traitement Les organisations d’aide aux réfugiés saluent l’accueil généreux et pragmatique des dizaines de milliers de réfugiés ukrainiens, mais revendiquent l’égalité de traitement pour toutes les personnes fuyant des conflits violents. «Pour les réfugiés, que la guerre qu’ils fuient soit une guerre née de l’agression d’un autre État ou une guerre civile entre deux camps d’un seul et même pays importe peu», note Seraina Nufer, co-responsable du département Protection de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés. Des experts du droit de la migration trouvent eux aussi choquant que les déplacés de guerre issus d’autres pays ne soient pas traités de la même manière et ne puissent, par exemple, faire venir leur famille en Suisse qu’après une période d’attente de trois ans. Toutefois, la volonté de la majorité politique fait défaut pour une facilitation de l’asile en Suisse. La crainte d’un effet d’«appel d’air» est trop grande. Des angoisses existentielles croissantes Toutefois, même pour les réfugiés ukrainiens, la vie quotidienne en Suisse n’est pas paradisiaque. Il y a tout d’abord la vive inquiétude pour Rongés par l’impatience en Suisse, ils veulent pouvoir retourner à Dnipro le plus vite possible pour s’occuper de leur jardin: Lilia Nahorna et Mykola Nahornyi. Photo: Danielle Liniger Revue Suisse / Juillet 2022 / N°3 7
De la prison pour l’ex-banquier Pierin Vincenz En avril, l’ancien directeur de la banque Raiffeisen, Pierin Vincenz, a été déclaré coupable de faux dans les titres et de gestion déloyale par le Tribunal de district de Zurich (voir aussi «Revue» 2/22). Il a écopé de trois ans et neuf mois de prison ferme et d’une peine pécuniaire de 560 000 francs. Les spécialistes en droit pénal considèrent que ce verdict de culpabilité prononcé à l’encontre de l’ancien patron d’une grande banque, empêtré dans des conflits d’intérêts, fera date. L’expert Gregor Münch a déclaré à la «Neue Zürcher Zeitung»: «Ce jugement effraiera sans doute l’un ou l’autre grand ponte de l’économie.» (MUL) La Suisse ouvre une ambassade au Vatican Avec la Garde suisse pontificale, la Suisse bénéficie d’une présence voyante au Vatican. Mais ce n’est que récemment qu’elle a souhaité y ouvrir sa propre ambassade. Le premier ambassadeur désigné au Vatican est le diplomate Denis Knobel. Par cette inauguration, la Suisse solde définitivement les comptes d’une relation tendue depuis plusieurs décennies avec le Saint-Siège: en 1873, le Conseil fédéral avait coupé les ponts avec le Vatican à la suite du combat culturel qui opposait les catholiques et les protestants. Ce n’est qu’en 1991 que la Suisse a réaccrédité un ambassadeur pour le Vatican. Jusqu’ici, il était toutefois basé en Slovénie. (MUL) L’UE exige des réponses claires de la Suisse Les relations entre la Suisse et l’UE sont encore en plein chantier. Depuis que la Suisse a abandonné les négociations sur un accord-cadre avec l’UE en mai 2021, il est vrai qu’elle cherche des moyens de renouer le dialogue. Seulement, du point de vue de la Commission européenne, les ébauches de solutions proposées par la Suisse ne sont pas claires. D’après les recherches de Radio SRF, la Commission européenne exige à présent de la Suisse des réponses écrites claires à une liste de questions qu’elle lui a fournie. Elle évaluera ensuite si les propositions du gouvernement suisse constituent un socle valable pour la poursuite des négociations. (MUL) Le bateau «Heimat» devient écolo à 89 ans Les bateaux en service régulier sur les lacs suisses sont des moyens de transport publics appréciés. Sur le lac de Greifen, l’un d’entre eux vient d’opter pour un système de propulsion électrique: le «Heimat», construit en 1933, a troqué son moteur diesel contre un moteur électrique. Les grandes sociétés de navigation suisses pourraient bien suivre cette tendance. La mise en service d’un premier bateau électrique a, par exemple, été annoncée sur le lac de Constance. (MUL) La Suisse veut étoffer son armement Augmenter les dépenses d’armement à 7 milliards de francs par an: c’est la décision prise par une nette majorité du Conseil national au mois de mai. Si le Conseil des États dit oui à son tour, le budget militaire augmentera de 1,4 milliard de francs par rapport à aujourd’hui. La décision du Conseil national a été prise sur fond de guerre en Ukraine. (MUL) Tanja Stadler Tanja Stadler, professeure au département des biosystèmes de l’EPFZ, a été l’une des scientifiques les plus importantes pendant la crise du coronavirus en Suisse. Dans la Science Task Force qui conseillait les autorités, Tanja Stadler a dirigé le groupe d’experts chargé du calcul de la valeur R qui montre si la pandémie se propage ou recule. Le gouvernement s’est appuyé entre autres sur cette information pour prendre des mesures. Une grande responsabilité pour la mathématicienne, d’autant plus qu’elle a repris les rênes de toute la Task Force à l’été 2021. Alors âgée de 40 ans, elle était l’une des benjamines du groupe. «Notre liberté dépend des calculs de cette femme», titrait un journal. Tanja Stadler, elle, s’est abstenue de tout ton outrancier. Sous les feux croisés de l’opinion publique, la chercheuse plusieurs fois récompensée s’en est tenue sobrement aux faits et aux preuves. Comme d’autres chercheurs s’exprimant en public sur l’épidémie, elle a récolté haine et menaces. Mais Tanja Stadler n’est jamais tombée dans le piège de s’exprimer politiquement, soulignant sans cesse que la science explique ce qu’elle sait et que les décisions relèvent de la politique. Tout au plus a-t-elle émis des signaux subtils, comme quand elle est apparue masquée lors d’une interview télévisée peu après la levée des mesures en Suisse. Fin mars, la Task Force s’est dissoute, mais Tanja Stadler poursuit ses recherches sur la propagation et la mutation des virus. Enfant déjà, les phénomènes scientifiques naturels la passionnaient. Aujourd’hui, elle est devenue un modèle pour les jeunes femmes qui veulent aussi se consacrer à des domaines scientifiques autrefois dominés par les hommes. SUSANNE WENGER Revue Suisse / Juillet 2022 / N°3 8 Sélection Nouvelles
Plus d’argent pour la protection des frontières de l’UE La Suisse participe au renforcement de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes Frontex. Sa contribution passera de 24 à 61 millions de francs par an d’ici 2027. 71,5 % des votants ont accepté ce projet combattu par le Migrant Solidarity Network et les partis verts et de gauche. Frontex est critiquée pour son implication dans des renvois illégaux de réfugiés aux frontières de l’UE (Revue 2/2022). Le Conseil fédéral a promis de défendre le respect des droits fondamentaux auprès de l’Agence. La Commission européenne a salué le résultat sans appel du scrutin, qui montre à ses yeux que la Suisse tient, outre aux avantages de la libre circulation des personnes, à une gestion commune des frontières. (TP) Nouvelles règles pour le don d’organes La Suisse change de paradigme en matière de don d’organes. Jusqu’ici, le prélèvement d’organes en cas de mort cérébrale nécessitait l’accord actif du donneur de son vivant. Désormais, c’est l’inverse: les personnes qui ne veulent pas faire don de leurs organes devront le déclarer. Le peuple a dit oui à 60,2 % au principe du consentement présumé au sens large, qui prévoit que les proches, en cas de doute, soient interrogés sur la volonté présumée du défunt. Les opposants au projet craignent une pression croissante sur les proches (Revue 2/2022). La Suisse romande a apporté un soutien plus prononcé aux nouvelles règles que la Suisse alémanique. Le principe du consentement présumé est déjà appliqué dans plusieurs pays, notamment la France, l’Italie, l’Autriche et l’Espagne. (TP) Des millions pour le cinéma suisse Les plates-formes internationales de streaming comme Netflix ou Disney+ devront désormais investir 4 % de leurs recettes annuelles dans la création cinématographique suisse ou payer une taxe de remplacement. Ainsi, la production cinématographique nationale aura chaque année près de 20 millions de francs supplémentaires à sa disposition. Le peuple a soutenu à 58,4 % la révision de la loi sur le cinéma, essentiellement grâce à l’appui solide de la Suisse romande et italienne. La Suisse alémanique s’est montrée plus sceptique face à un pilotage étatique de l’encouragement du cinéma. En approuvant cet investissement obligatoire pour les plates-formes comme Netflix, la Suisse suit l’exemple d’autres pays européens. (TP) Le peuple soutient le Conseil fédéral et le Parlement Lors des votations du 15 mai, les Suisses ont approuvé les trois projets des autorités. Celui qui a remporté le plus fort soutien a été l’augmentation de la contribution suisse à Frontex, l’agence européenne de protection des frontières. La participation avec un taux de 39,5 % se situait au-dessous de la moyenne. 0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 55 60 65 70 75 80 85 90 95 100 73.8% 0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 55 60 65 70 75 80 85 90 95 100 77.8% 0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 55 60 65 70 75 80 85 90 95 100 77.6% Suisses·ses de l’étranger Suisses·ses de l’étranger Suisses·ses de l’étranger Voix favorables (en %) au projet Frontex Voix favorables (en %) au principe du consentement présumé pour le don d’organes Voix favorables à la révision de la loi sur le cinéma Revue Suisse / Juillet 2022 / N°3 9 Politique
JÜRG STEINER Une activité typiquement suisse? Ce n’est ni manger de la fondue, ni randonner, mais aller en forêt. D’après le monitoring des forêts de l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL), publié en mars 2022, 95 % des Suisses – donc pratiquement tous – se rendent plus ou moins régulièrement en forêt. Ils sont plus nombreux que jamais à le faire depuis qu’on a commencé, en 1997, à étudier de manière scientifique le rapport de la population à la forêt. Cependant, «aller en forêt» aujourd’hui en Suisse ne signifie plus forcément la même chose qu’il y a 25 ans, lorsqu’on y trouvait tout au plus un parcours Vita. La société et les forêts évoluent. Les attentes vis-à-vis de la forêt augmentent parce qu’elle devient un refuge naturel vital face au débordement des zones urbanisées. En même temps, le réchauffement et les extrêmes climatiques la fragilisent, ce qui entraîne parfois du stress social, là où l’on vient pourtant pour trouver la tranquillité. Colère contre le «déboisement» «La forêt a besoin de notre aide!», écrivait il y a six mois Katrin Sedlmayer, ancienne politicienne locale de la commune de Köniz, près de Berne, dans une lettre de protestation furieuse, signée par plus de 400 personnes. Le courrier réclamait l’arrêt du «déboisement» prétendument anti-écologique de grandes surfaces dans la forêt de détente très fréquentée de Könizberg. La forêt de Könizberg est située entre les communes de Berne et de Köniz, comme une île verte sur le rivage de laquelle déferle la mer montante de l’agglomération. Ces dernières années, un grand quartier de 2000 habitants a en outre vu le jour à un jet de pierre de l’orée de la forêt. L’afflux de promeneurs croît donc inexorablement. La forêt de Könizberg appartient à la commune bourgeoise de Berne, troisième plus grande propriétaire forestière de Suisse. Pour répondre aux critiques concernant l’entretien de la forêt, la commune a fait appel au soutien de l’autorité de surveillance du canton et présenté une expertise au début du mois de mai. Celle-ci atteste une gestion conforme à la loi de la forêt, qui est notamment mise en difficulté par le climat. Les tempêtes hivernales, le bostryche et la sécheresse malmènent de plus en plus la forêt, raison pour laquelle, disent les experts, les interventions de grande ampleur sont nécessaires, légitimes et même écologiquement clairvoyantes. Car on plante à cette occasion davantage d’essences plus Mon amie, la forêt De plus en plus de Suisses vont régulièrement en forêt. Mais ils se disent plus souvent dérangés qu’avant par les autres personnes qui la fréquentent. Brève exploration des zones de conflit dans la relation entre l’homme et la nature. à même de résister au réchauffement climatique que les épicéas, fragiles face à la chaleur. Des usages contradictoires Cette controverse entourant la forêt de Könizberg est un exemple local de la pression croissante qui s’exerce sur toutes les forêts du Plateau suisse, densément peuplé. L’interdiction nationale de défricher, en vigueur depuis 1876 – peut-être la disposition de protection de la nature la plus radicale et efficace dont la Suisse s’est jamais dotée –, protège hermétiquement les forêts contre le rapetissement. Mais pas contre les contradictions dans leur usage. La commune bourgeoise de Berne possède d’autres forêts de détente non loin de la ville. Elle offre ainsi au public de l’espace pour des pistes de VTT, de jogging ou pour des gardeÀ proximité des villes surtout, la forêt suisse est aussi un endroit de découverte, d’apprentissage et d’expérience pour les enfants. Ici, la classe à ciel ouvert d’un jardin d’enfants. Photo Keystone Revue Suisse / Juillet 2022 / N°3 10 Nature et environnement
Grâce à l’interdiction de défricher, datant de 1876, les forêts suisses ne rapetissent pas depuis lors. Il s’agit probablement de la disposition de protection de la nature la plus radicale dont la Suisse s’est jamais dotée. ries en extérieur. Mais elle délimite aussi des réserves forestières où le bois mort est laissé au sol pour favoriser la biodiversité. La commune avoue se sentir obligée de renforcer ses efforts de communication pour expliquer aux gens à quel point les besoins sociétaux concernant la forêt sont aujourd’hui diversifiés. Sans parler du fait que l’utilisation du bois comme agent énergétique et matériel de construction local joue également un rôle toujours plus important. Le fait que la forêt, fréquentée par plus de personnes que jamais, doive aussi offrir plus que jamais, a un impact sur la satisfaction de ses usagers. En forêt, on veut être libre, respirer, déconnecter, observer les animaux. Mais on veut aussi jouer au paintball, faire de l’accrobranche, de la course d’orientation, du camping ou griller des cervelas. On veut être tranquille et se défouler. Souvent au même endroit. Lieu de retraite en cas d’urgence D’après l’enquête du WSL, réalisée avant la pandémie de coronavirus, les visiteurs de la forêt sont nettement moins nombreux qu’il y a dix ans à ne jamais se sentir dérangés. Certes, leur satisfaction reste élevée et ils se sentent reposés à leur retour. Toutefois, les déchets abandonnés, la vitesse des vététistes ou le bruit des fêtards déprécient leur expérience en forêt. Les restrictions concernant la vie sociale durant la pandémie pourraient avoir encore aggravé ce potentiel de conflit. Brusquement, on rencontrait des gens dans des lieux de la forêt où, auparavant, on était absolument seul. Les jeunes ont découvert qu’il était possible de faire du boucan toute la nuit dans certains coins reculés de la forêt. On avait l’impression que la forêt était le seul lieu où l’on pouvait échapper un instant à la crise. Gian Saluz, entraîneur suisse de survivalisme, a précisé ce sentiment dans une interview accordée au «Tages-Anzeiger» peu après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, confiant qu’en cas d’urgence, il se retrancherait en forêt. Pourquoi? Parce que c’est l’endroit où l’on trouve le plus de ressources pour survivre. Jouir de la solitude La forêt est comme une amie toujours présente, sur qui on peut compter en cas de problème et qui ne perd Là où les uns cherchent le silence, d’autres veulent pouvoir se défouler, comme ce vététiste de descente. Les conflits d’usage deviennent de plus en plus fréquents dans cet espace de détente apprécié de tous qu’est la forêt. Photo Keystone jamais son calme face au quotidien ou à la pression qui pèsent sur nos âmes. Les raisons qui poussent de nombreuses personnes à fréquenter la forêt sont, d’après l’enquête du WSL, les suivantes: vouloir s’immerger dans la nature, prendre de la distance, jouir de la solitude. On pourrait également dire: fuir la civilisation. Un exemple: à douze kilomètres seulement du Palais fédéral de Berne, en direction du sud, s’ouvre sous la route qui mène à Schwarzenburg une gorge profonde et boisée. Quand le glacier du Rhône s’est retiré, il y a 20 000 ans, l’eau de fonte a creusé cette tranchée tortueuse dans le grès tendre. En raison des forêts sombres qui l’entourent, le ruisseau sauvage qui y coule a pris le nom de «Schwarzwasser» (eau noire). Au fond de la vallée, la forêt devient toujours plus enchantée, et les parois de la gorge incroyablement abruptes. Le ciel disparaît, la terre semble mue par une main invisible, et rien ne ressemble jamais au dernier souvenir qu’on avait du lieu. Après la pluie, des paquets de boue glissent dans le ravin, emportant la végétation. Des arbres déracinés se déploient vers le ciel comme des restes de squelettes ou des sculptures modernes. De temps à autre on croise un renard, quelques chamois ou des chevreuils. Très rarement des êtres humains. C’est une forêt sauvage formidable, aussi fidèle qu’une amie. Le monde d’où l’on vient semble très loin, on le rejoint pourtant en quelques pas. Revue Suisse / Juillet 2022 / N°3
Si vous savez ce qu’est un tympan, vous pouvez sauter sans façon ce premier paragraphe. Sinon, voici l’explication. À l’origine, le tympan est la partie triangulaire du fronton des temples grecs, une surface richement décorée reposant sur le portail soutenu par des piliers. Le portail du Palais fédéral à Berne est lui aussi surmonté d’un tympan. Mais il s’agit d’un exemplaire sans aucun ornement. La sobriété du tympan bernois n’est cependant pas l’expression de la retenue suisse. Simplement, le Palais fédéral est resté inachevé depuis son inauguration en 1902. Cela ne frappe pas la rétine, puisque la plupart des gens pensent que cette surface vide a été voulue. Mais la volonté était tout autre: le modèle du Palais fédéral, qui a été présenté à l’exposition nationale à Genève en 1896, promettait toute une kyrielle de personnages et de symboles, un glorieux «autel de la patrie». Bientôt, ce vide plus que centenaire disparaîtra. Et c’est l’artiste suisse Renée Levi qui aura l’honneur de transformer le fronton. Elle a prévu de revêtir entièrement le tympan de 246 plaques de céramique à trois, quatre et cinq côtés. La lumière du jour, tout comme la lumière artificielle nocturne, se réfractera de façon toujours nouvelle et différente sur les plaques rainurées et finement émaillées de la mosaïque. Par cette œuvre d’art scintillante, Renée Levi veut rendre hommage à Tilo Frey (1923-2008), qui fut en 1971 l’une des premières douze femmes – et la première femme noire – à être élue au Conseil national. Le Palais fédéral, érigé en un temps où le droit de vote et d’élection des femmes paraissait encore impensable, se dotera ainsi d’un accent féminin tardif. L’œuvre sera dévoilée le 12 septembre 2023, pour le 175e anniversaire de la Constitution fédérale. Si vous souhaitez épater la galerie par vos connaissances artistiques ce jour-là, vous expliquerez pourquoi la mosaïque compte précisément 246 plaques de céramique. Réponse: elles symbolisent les 246 parlementaires suisses. Sur le tympan, elles auront toute la même grandeur, toutes auront des angles et des arêtes et des limites nettes. Et même si leurs rainures diffèreront du tout au tout, l’ensemble paraîtra totalement homogène. MARC LETTAU Le Palais fédéral sera enfin achevé Le projet réalisé sur carton plissé rend le concept artistique plus palpable. Comme les rainures seront orientées diversement, la lumière s’y réfractera de manière toujours nouvelle et différente. Ainsi, la façade majestueuse et statique semblera en léger mouvement. De sobres pierres de taille de grès remplissent aujourd’hui le fronton du Palais fédéral. À l’origine, un glorieux «autel de la patrie» était prévu. Mais les plans n’ont jamais été mis à exécution. 12 Images
246 plaques de céramique rainurées et finement émaillées seront assemblées sur le tympan du Palais fédéral. Elles représentent les 246 sièges que comptent les deux Chambres du Parlement suisse. Renée Levi est architecte et artiste et, depuis 2001, professeure d’arts plastiques et de peinture à la Haute école d’art et de design de Bâle. Peintre et plasticienne, elle est connue pour ses grandes installations souvent colorées et ses transformations d’espaces. www.reneelevi.ch 13
STÉPHANE HERZOG L'ingénieur thermicien Fabrice Malla nous emmène faire une visite à 17 mètres au-dessous du niveau du lac Léman, au lieu dit du Vengeron. Nous voilà dans une cathédrale de béton de 70 mètres de long. En 2024, ce puisard recevra l'équivalent de presque trois piscines olympiques d'une eau froide recueillie à 2 kilomètres au large, à 45 mètres de profondeur. Dès 2024, des pompes électriques pulseront ce liquide à destination de deux réseaux. Le premier, construit en boucle fermée, desservira des bâtiments répartis dans les environs de l'aéroport. Le second réseau alimentera directement en froid des immeubles du centre-ville. Des pompes à chaleur installées par les Services industriels de Genève (SIG) dans un total prévu de 300 bâtiments permettront d’extraire de la chaleur de l’eau et de l’amplifier. – Bienvenue dans le monde de l'hydrothermie, un univers où de l'eau froide peut générer du chaud. Fabrice Malla cite d'autres grands projets de ce type, notamment à Toronto et Honolulu. L'installation du Vengeron, budgétée 100 millions de francs, constituera le point de départ de l’un des plus grands réseaux hydrothermiques au monde. «Nous allons irriguer en froid et en chaud la moitié du canton», se réjouit l’ingénieur des SIG. L'opération réduira drastiquement la consommation de gaz à effet de serre. L’énergie électrique utilisée pour faire fonctionner le réseau sera d’origine hydraulique, précise Véronique Tanerg Henneberg, porte-parole. Mais cette situation n'est pas forcément la règle. «Les pompes à chaleur nécessitent de l'électricité or nous n'en avons pas assez. L'abandon progressif du nucléaire impliquera de développer l'énergie solaire et éolienne», estime Martin Schmid, chercheur auprès de l’Institut fédéral suisse des Les lacs vont refroidir et chauffer une part croissante de nos bâtiments L'urgence climatique accélère l’exploitation de l'énergie contenue dans les lacs. À Genève, l'une des plus grandes installations hydrothermiques du monde fournira du froid et de la chaleur à des centaines de bâtiments. Le potentiel des lacs suisses est considérable. Pourtant, leur santé est préoccupante. Revue Suisse / Juillet 2022 / N°3 14 Science
La grosseur des tuyaux permet d’imaginer les quantités d’eau qui seront pompées dans le lac Léman: 10 000 litres à la seconde. Photo Keystone sciences et technologies de l’eau (Eawag). En raison du réchauffement climatique, la demande estivale en froid ira croissante. Celle en chaleur baissera, grâce à une meilleure isolation des maisons. Une multitude de petites centrales En Suisse, le développement de l’hydrothermie remonte aux années 1930, lorsque de petites centrales furent construites pour chauffer quelques bâtiments. Il en existe des centaines. Place désormais à des grands projets dans les centres urbains qui bordent des lacs, notamment à Zoug et Zurich. Grâce à une eau captée à 45 mètres de profondeur dans deux stations, le lac des Quatre-Cantons alimentera en énergie lacustre 3 700 foyers du centre de Lucerne. À Horw, 6 800 foyers seront fournis en énergie du lac. À Bienne, les premières fournitures d’énergie hydrothermique sont prévues à partir de l’automne 2022. La ville prévoit 185 points de raccordements, avec à la clef une baisse des émissions de CO2 de 80 %. Les ressources énergétiques des lacs suisses apparaissent comme une sorte d'or bleu. Les chiffres donnent le tournis. Selon un article rédigé en 2018 par l’Institut Eawag, la consommation énergétique totale en Suisse s’élèverait à environ 850 pétajoules par an, soit 236 térawattheures (en 2021, la centrale nucléaire de Gösgen a produit 7,9 térawattheures d'électricité). La moitié de cette énergie est utilisée pour chauffer des bâtiments et dans des processus industriels … avec du gaz et du fuel. Or le seul Léman, utilisé dans le respect des normes légales en matière d’hydrothermie, pourrait théoriquement générer presqu’un tiers de toute l’énergie consommée en Suisse chaque année! «L’énergie des lacs couvrira 30 % de nos besoins en chauffage. Environ un bâtiment sur trois situé dans une région dense et assez proche d'un lac bénéficiera d'un chauffage urbain connecté à une ressource renouvelable, dont l'hydrothermie», estime François Maréchal, professeur à l'EPFL, spécialiste des systèmes énergétiques. Ce chercheur décrit l'hydrothermie comme «une super-ressource, mais dont on ne parle pas.» Or la Suisse est en avance dans ce domaine, commente Martin Schmid. La question du rejet des eaux dans les rivières Reste la question de l’impact de ces procédés, puisque les eaux puisées sont en partie restituées dans des cours d’eau à une température différente. Durant ce cycle, une eau puisée par exemple à 6 degrés dans le Léman sera rejetée à 3 degrés dans un Rhône à 1,5 degrés. En été, une eau à 8 degrés sera puisée au fond du lac et rejetée à 13 degrés dans une eau de surface fluviale atteignant 20 degrés. Toutes les études vont dans le même sens : même si toute la demande suisse en chaleur et en froid était tirée des lacs, les rejets auraient un impact nul à faible, étant donné les écarts peu élevés de température entre eaux pompées et rejetées. «Pour modifier la température du Léman d’un degré, il faudrait 100 stations comme celle du Vengeron», image Fabrice Malla. La Suisse dispose de règles. Par exemple, la température d’un cours d'eau ne doit pas varier de plus de 1,5 degrés dans une région à truites. «Si les dispositions légales sont prises correctement en compte, l’exploitation hydrothermique peut a priori se réaliser», estime Nicolas Wüthrich, de Pro Natura. Un autre problème émerge, celui du réchauffement des lacs. Dans le Léman, les hivers doux empêchent depuis dix ans le brassage des couches profondes qui, sans oxygène, risquent la mort biologique. Ce phénomène gêne la production de froid via l’hydrothermie. La chaleur tend aussi à provoquer le développement d’espèces invasives. C’est le cas avec la petite moule quagga, dont les larves pénètrent dans les réseaux d’approvisionnement en eau potable et destinés à l’hydrothermie, nécessitant un traitement au chlore. Autre sujet d’inquiétude, si l’eau est rejetée loin du point d’extraction, il y a un risque de déplacement de nutriments et de polluants, note l’Eawag. Dans les fleuves et rivières en particulier, des températures plus élevées peuvent menacer des espèces, s’inquiète Pro Natura. L'ombre par exemple ne survit guère à partir de 25 degrés. «Cela rend délicate la réintroduction de grandes quantités d'eau de refroidissement chauffée dans des cours d’eau». Des cours d'eau dotés de rives ombragées aideraient à maintenir les températures plus basses, propose Pro Natura. En hiver, le rejet d’eaux plus froides issus du chauffage par hydrothermie pourrait même théoriquement avoir un effet bénéfique. «Mais les interventions dans les équilibres naturels sont toujours délicates», avertit Nicolas Wüthrich. Emetteurs de chaleur Echangeur thermique Pompe à chaleur Emetteurs de froid Station de pompage Rhône Lac 40m Le projet genevois d’hydrothermie vise une double utilité. En hiver, l’énergie sera extraite de l’eau à l’aide d’une pompe à chaleur pour chauffer un bâtiment. En été, l’eau froide pompée en profondeur permettra de le refroidir. Revue Suisse / Juillet 2022 / N°3 15
MARC LETTAU Ce numéro de la «Revue Suisse» vous paraît à la fois familier et changé? Bien observé. Nous avons en effet rafraîchi la présentation de l’édition imprimée. Ce que vous tenez entre les mains est le résultat d’un grand nettoyage de printemps. Nous ne sommes pas les seuls à avoir travaillé, puisque nous avons reçu un grand nombre de suggestions sur la mise en page de la «Revue» lors du sondage des lecteurs effectué en 2021. Ces impulsions ont donné le ton à notre coup de balai. Ranger les choses Où placer les articles? Nous avons changé leur ordre dans la «Revue». Les articles qui nous semblent les plus importants – la rubrique «En profondeur» et les nouvelles – paraissent désormais au début du cahier. Les voix des lecteurs prennent une nouvelle importance dans les pages de SwissCommunity. Nous en sommes heureux, car les lecteurs sont la SwissCommunity. Étiqueter proprement Lorsqu’on fait du rangement, cela vaut la peine d’ordonner les choses pour reconnaître aisément ce qui va ensemble. Dans la «Revue», vous distinguerez désormais mieux les contenus dont répond la rédaction (pages blanches), ceux émanant de l’administration fédérale (pages beiges) et ceux de l’Organisation des Suisses de l’étranger (OSE) et ses organisations partenaires (pages bleues). Par ailleurs, ce système de couleurs vous permettra d’identifier plus rapidement si la «Revue» contient une partie régionale. Bien aérer La «Revue Suisse» ne devient pas un magazine sur papier glacé. Elle reste un cahier simple et ne pèse pas un gramme de plus, sans quoi nous ne pourrions plus nous permettre de l’expédier dans le monde entier. Cependant, nous l’avons bien aérée et pris quelques libertés de mise en page. Vous le découvrirez notamment à la rubrique «En profondeur» de ce numéro. Les images, vivantes, prennent ainsi plus d’ampleur et, nous l’espérons, renforceront encore le plaisir de lecture. Si l’OSE offre à la «Revue Suisse», dont elle est l’éditrice, un nettoyage de printemps, c’est aussi qu’elle croit en son édition imprimée, qui est pour de très nombreux Suisses de l’étranger un lien apprécié et concret avec la Suisse. Actuellement, 325 000 personnes lisent la version papier de la «Revue». La «Revue Suisse» a fait peau neuve L’édition imprimée de la «Revue Suisse» paraît aujourd’hui sous sa nouvelle forme. Nous avons remanié sa présentation de fond en comble. C’est aussi une profession de foi en faveur de l’édition imprimée, à laquelle tient un très large lectorat dans le monde entier. © www.pexels.com Les services consulaires partout, facilement accessibles depuis vos appareils mobiles Bucarest (2022) www.dfae.admin.ch Schweizer Schulabschluss von jedem Ort der Welt Jetzt schnuppern! Info und Kontakt unter swissonlineschool.ch swissonlineschool-hoch.indd 1 20.10.21 11:49 La couverture de la nouvelle édition imprimée de la «Revue Suisse»: changée certes, mais toujours reconnaissable. Ce rafraîchissement général fait suite au remaniement de la version en ligne de la «Revue», qui offre aussi une valeur ajoutée aux lecteurs de la version papier. Des photos, vidéos et approfondissements supplémentaires sont ainsi fréquemment publiés sur www.revue.ch/fr. Revue Suisse / Juillet 2022 / N°3 16 Informations internes
Des poules de plein air à la liberté de la presse 22 Les mesures anti-coronavirus ont pour l’heure disparu de la vie des Suisses. Apparemment, l’une des joies de ce retour à la normale est de se retrouver régulièrement pris dans d’infernaux bouchons sur la route. Record annuel provisoire: avant Pâques, sur l’A2, les voitures étaient immobilisées sur 22 kilomètres en direction du sud. Est-ce cela qu’on nomme «la liberté de voyager»? 260 Il n’y a rien à redire à un œuf mangé. Par contre, il faut s’indigner d’un œuf jeté: le gaspillage alimentaire doit prendre fin! Quelle quantité d’aliments consommables un ménage suisse jette-t-il à la poubelle? Un quart de tonne par an en moyenne, et plus précisément 260 kilos. Les Suisses ont pourtant une bien meilleure image d’eux-mêmes: deux tiers d’entre eux sous-estiment largement le gaspillage alimentaire. 1'100'000'000 Puisqu’on évoque Pâques, il faut souligner le zèle des poules helvétiques: elles ont pondu 1,1 milliard d’œufs en 2021. Soit plus que jamais. En même temps, elles sont devenues un brin plus heureuses: la part des œufs de poules élevées en plein air a augmenté de 185 % ces dix dernières années, et la part des œufs bio de 107 %. 14 Pâques, bouchons et œufs: vous trouvez ces chiffres trop banals? D’accord, des chiffres sur le (mauvais) comportement des banques suisses seraient plus passionnants. Mais dans ce domaine, des signes de censure existent. Les lois suisses valorisent davantage le secret bancaire que la liberté de la presse. Le pays vient donc de sortir pour la première fois du «top ten» concernant la liberté de la presse, dégringolant au 14e rang. La «Revue Suisse», le magazine des Suisses·ses de l’étranger, paraît pour la 48e année six fois par an en français, allemand, anglais et espagnol, en 13 éditions régionales, avec un tirage total de 431000 exemplaires, dont 253000 électroniques. Les nouvelles régionales de la «Revue Suisse» paraissent quatre fois par an. La responsabilité du contenu des annonces et annexes publicitaires incombe aux seuls annonceurs. Ces contenus ne reflètent pas obligatoirement l’opinion de la rédaction ni celle de l’organisation éditrice. Tous les personnes enregistrées auprès d’une représentation suisse reçoivent le magazine gratuitement. Les personnes non inscrites auprès d’une représentation suisse en tant que Suisses·ses de l’étran‑ ger peuvent s’abonner (prix pour un abonnement annuel: Suisse, CHF 30.–/ étranger, CHF 50.–). ÉDITION EN LIGNE www.revue.ch DIRECTION ÉDITORIALE Marc Lettau, rédacteur en chef (MUL) Stéphane Herzog (SH) Theodora Peter (TP) Susanne Wenger (SWE) Paolo Bezzola (PB, représentant DFAE) PAGES D’INFORMATIONS OFFICIELLES DU DFAE La responsabilité éditoriale de la rubrique «Nouvelles du Palais fédéral» est assumée par la Direction Consulaire, Innovation et‑Partenariats, Effingerstrasse 27, 3003 Berne, Suisse. kdip@eda.admin.ch | www.eda.admin.eda ASSISTANTE DE RÉDACTION Sandra Krebs (KS) TRADUCTION SwissGlobal Language Services AG, Baden DESIGN Joseph Haas, Zürich IMPRESSION Vogt-Schild Druck AG, Derendingen ÉDITRICE La «Revue Suisse» est éditée par l’Orga‑ nisation des Suisses de l’étranger (OSE). Adresse postale de l’édition, de la rédac‑ tion et du sponsoring: Organisation des Suisses de l’étranger, Alpenstrasse 26, 3006 Berne. revue@swisscommunity.org Tél. +41 31 356 61 10 Coordonnées bancaires: CH97 0079 0016 1294 4609 8 / KBBECH22 CLÔTURE DE RÉDACTION DE CETTE ÉDITION 11 mai 2022 CHANGEMENT D’ADRESSE Veuillez communiquer tout changement à votre ambassade ou à votre consulat. La rédaction n’a pas accès à vos données administratives. RECHERCHE DES CHIFFRES: MARC LETTAU 194 Petit cours de maths à base d’œufs: tous les œufs suisses + tous les œufs importés ÷ par le nombre d’habitants de la Suisse = 194. Tel est le nombre d’œufs ingérés par tête de pipe et par année. Impressionnant, non? Pourtant, chez nos voisins européens, la consommation d’œufs est bien plus élevée. Elle atteint même le double à Singapour. Revue Suisse / Juillet 2022 / N°3 17 Chiffres suisses Impressum
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