Revue Suisse 3/2022

Grâce à l’interdiction de défricher, datant de 1876, les forêts suisses ne rapetissent pas depuis lors. Il s’agit probablement de la disposition de protection de la nature la plus radicale dont la Suisse s’est jamais dotée. ries en extérieur. Mais elle délimite aussi des réserves forestières où le bois mort est laissé au sol pour favoriser la biodiversité. La commune avoue se sentir obligée de renforcer ses efforts de communication pour expliquer aux gens à quel point les besoins sociétaux concernant la forêt sont aujourd’hui diversifiés. Sans parler du fait que l’utilisation du bois comme agent énergétique et matériel de construction local joue également un rôle toujours plus important. Le fait que la forêt, fréquentée par plus de personnes que jamais, doive aussi offrir plus que jamais, a un impact sur la satisfaction de ses usagers. En forêt, on veut être libre, respirer, déconnecter, observer les animaux. Mais on veut aussi jouer au paintball, faire de l’accrobranche, de la course d’orientation, du camping ou griller des cervelas. On veut être tranquille et se défouler. Souvent au même endroit. Lieu de retraite en cas d’urgence D’après l’enquête du WSL, réalisée avant la pandémie de coronavirus, les visiteurs de la forêt sont nettement moins nombreux qu’il y a dix ans à ne jamais se sentir dérangés. Certes, leur satisfaction reste élevée et ils se sentent reposés à leur retour. Toutefois, les déchets abandonnés, la vitesse des vététistes ou le bruit des fêtards déprécient leur expérience en forêt. Les restrictions concernant la vie sociale durant la pandémie pourraient avoir encore aggravé ce potentiel de conflit. Brusquement, on rencontrait des gens dans des lieux de la forêt où, auparavant, on était absolument seul. Les jeunes ont découvert qu’il était possible de faire du boucan toute la nuit dans certains coins reculés de la forêt. On avait l’impression que la forêt était le seul lieu où l’on pouvait échapper un instant à la crise. Gian Saluz, entraîneur suisse de survivalisme, a précisé ce sentiment dans une interview accordée au «Tages-Anzeiger» peu après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, confiant qu’en cas d’urgence, il se retrancherait en forêt. Pourquoi? Parce que c’est l’endroit où l’on trouve le plus de ressources pour survivre. Jouir de la solitude La forêt est comme une amie toujours présente, sur qui on peut compter en cas de problème et qui ne perd Là où les uns cherchent le silence, d’autres veulent pouvoir se défouler, comme ce vététiste de descente. Les conflits d’usage deviennent de plus en plus fréquents dans cet espace de détente apprécié de tous qu’est la forêt. Photo Keystone jamais son calme face au quotidien ou à la pression qui pèsent sur nos âmes. Les raisons qui poussent de nombreuses personnes à fréquenter la forêt sont, d’après l’enquête du WSL, les suivantes: vouloir s’immerger dans la nature, prendre de la distance, jouir de la solitude. On pourrait également dire: fuir la civilisation. Un exemple: à douze kilomètres seulement du Palais fédéral de Berne, en direction du sud, s’ouvre sous la route qui mène à Schwarzenburg une gorge profonde et boisée. Quand le glacier du Rhône s’est retiré, il y a 20 000 ans, l’eau de fonte a creusé cette tranchée tortueuse dans le grès tendre. En raison des forêts sombres qui l’entourent, le ruisseau sauvage qui y coule a pris le nom de «Schwarzwasser» (eau noire). Au fond de la vallée, la forêt devient toujours plus enchantée, et les parois de la gorge incroyablement abruptes. Le ciel disparaît, la terre semble mue par une main invisible, et rien ne ressemble jamais au dernier souvenir qu’on avait du lieu. Après la pluie, des paquets de boue glissent dans le ravin, emportant la végétation. Des arbres déracinés se déploient vers le ciel comme des restes de squelettes ou des sculptures modernes. De temps à autre on croise un renard, quelques chamois ou des chevreuils. Très rarement des êtres humains. C’est une forêt sauvage formidable, aussi fidèle qu’une amie. Le monde d’où l’on vient semble très loin, on le rejoint pourtant en quelques pas. Revue Suisse / Juillet 2022 / N°3

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