Revue Suisse 3/2022

Des manifestants enfermés sous terre Depuis son inauguration en 1976, le bunker du Sonnenberg a servi une seule fois: en décembre 2007, à l'occasion d'une manifestation menée contre la fermeture d'un lieu alternatif. La police, qui possède toujours un étage au Sonnenberg, avait bouclé des dizaines de protestataires dans des cellules aménagées à cet effet. «C'est comme si l’on avait voulu tester les lieux», commente notre guide. Il y a quatre ans, 200 nouvelles couchettes avaient été installées dans l'un des étages de la Caverne pour y abriter des réfugiés. Projet abandonné. Depuis le début de la guerre en Ukraine, plusieurs personnes ont appelé l'association pour se renseigner sur l'abri, du jamais vu depuis 2006. Des gens font des provisions et veulent savoir où se réfugier. L'association reçoit aussi des tours operators qui incluent dans leur offre une descente dans le bunker. Pourquoi une telle peur d’une attaque, pour un pays neutre? demandent les visiteurs étrangers. D'autres gens s'émerveillent que la Suisse ait pris pareilles mesures pour protéger ses citoyens. Des seniors suisses avouent avoir été rassurés par cet ouvrage. Quant aux jeunes visiteurs, l'énormité du dispositif les renseigne sur la perception de la menace nucléaire qui régnait à l'époque de la guerre froide. Zora Schelbert, qui atteindra cette année les mille visites, pose un regard nuancé sur cet abri. «Je ne veux pas ridiculiser ce lieu. Son but était d'aider les gens, même si j'ai des doutes sur son utilité», explique cette enseignante de formation. Une densité humaine inhumaine Au Sonnenberg, chaque visiteur s’ima- gine la vie sous terre. La densité humaine aurait quasiment confiné les gens à leur couchette. Il aurait fallu se faufiler pour accéder aux WC secs temps de guerre, ou de catastrophe, ce cylindre en béton aurait servi de quartier général et de lieu de travail à 700 membres de la protection civile. À chaque niveau, ses fonctions. Le 7ème est dédié à l'énergie et à la ventilation, avec ses filtres biologiques, chimiques et atomiques. La Caverne disposait de trois moteurs diesels, dont un de secours, avec assez de combustible pour produire de l'électricité deux semaines durant. Cet étage possède aussi des treuils électriques installés à la verticale de l'autoroute. Des puits auraient descendu les unités de survie – lits, WC et robinets – dans les deux tunnels. Un tiers de la population de la ville s’y serait réfugiée. À Kiev et Kharkiv, les tunnels de métro, creusés profondément, sont utilisés pour se protéger des bombardements. À Lucerne, cela aurait dû être cette portion d'autoroute de 1,5 kilomètres. En 1987, l’opération Fourmi montrera l'inadéquation du projet avec la réalité. L'objectif consistait notamment à installer 10'000 couchettes en une semaine le long d'un des deux tunnels. Mais les charriots prévus pour les manœuvres se bloquent dans les couloirs. Plus grave, l'une des quatre portes en béton barrant l'autoroute refuse de se fermer. Décision sera prise en 2002 de «réduire» l’installation et de faire passer sa capacité d'accueil à 2000 personnes, prévues cette fois pour être accueillies en 24 heures. Exit l'abri-autoroute. 20 000 traits peints sur la longue paroi du tunnel montrent pour combien de personnes l’abri a été prévu. Photo Stéphane Herzog Le bunker possède même des cellules d’arrêt. Une caverne de sept étages forme l’élément central de l’abri de protection civile du Sonnenberg. Revue Suisse / Juillet 2022 / N°3 À droite, la place de jeux pour les enfants. À gauche, l’entrée discrète menant dans les entrailles du Sonnenberg. Photo Stéphane Herzog

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