5 SIMON THÖNEN Les personnes qui s’établissent en Suisse ou y reviennent emménageront très probablement dans un immeuble locatif. Car la Suisse est le pays des locataires par excellence: représentant 58% de la population, ceux-ci sont clairement majoritaires. Une telle part de location est inhabituelle. Partout ailleurs en Europe, les propriétaires d’un bien immobilier sont majoritaires, même en Allemagne, où leur proportion – un peu plus de 50% – est la plus faible. En Europe, le taux de propriétaires atteint généralement deux tiers, voire davantage. Avec sa part élevée de locataires, la Suisse est donc un cas particulier. Cependant, pour une fois, elle n’est pas particulièrement fière de constituer une exception. Au contraire, le fait que seule une minorité d’habitants vive dans ses propres murs est généralement déploré par les médias: «Pour la plupart des Suisses, le rêve d’acquérir une maison se brise», titrait par exemple le quotidien «20 minutes» au sujet de la hausse des prix de l’immobilier. Et le rêve n’est pas seulement de posséder un logement, mais «une maison avec jardin». Toutefois, est-ce vraiment un mal que la plupart des Suisses vivent en location, souvent dans des immeubles à plusieurs familles? Et quelles conséquences cela a-t-il sur le quotidien, l’économie, la politique et l’environnement? La «Revue Suisse» s’est entretenue avec des experts et des représentants des milieux intéressés et a consulté des études. Il apparaît que les effets sont multiples, et pas toujours ceux qu’on attendrait. Tour d’horizon en neuf thèses du pays de locataires qu’est la Suisse. consommation de chaleur n’est souvent ni mesurée, ni décomptée de manière individuelle. Les frais de chauffage sont facturés aux locataires à parts égales. Ainsi, un locataire économe contribue à payer le chauffage de ses voisins gaspilleurs. Un taux élevé de logements en propriété simplifierait-il la transition énergétique? La question reste ouverte. Elle est tranchée en fin de compte lors des votations populaires. Et là, le lobby des propriétaires s’oppose la plupart du temps à des prescriptions plus strictes, alors que celui des locataires a plutôt tendance à les soutenir. Thèse n° 3: Une part élevée de locataires reflète la prospérité du pays On pourrait croire que plus un pays est riche, plus la part de gens qui peuvent acquérir un logement est grande. Or, c’est l’inverse qui est vrai: plus un pays est pauvre, plus il compte de propriétaires. Les statistiques sont claires: avec plus de 96% de logements en propriété, l’Albanie et la Roumanie présentent les taux les plus élevés d’Europe, mais ils sont aussi très importants au Portugal, en Espagne ou en Grèce, où ils atteignent près de 75%. Force est donc de constater que plus les conditions de vie sont précaires, plus il est important de posséder son logement pour sa sécurité personnelle. On observe la même tendance en Suisse: c’est dans les cantons ruraux d’Appenzell Rhodes-Intérieures et du Valais que la part de propriétaires est la plus haute, avec 58% et 54%, reshe, est une terre de locataires Thèse n° 1: La forte part de locataires freine le mitage du territoire Benedikt Loderer, architecte, «randonneur urbain» et politicien vert à Bienne, ne voit aucun inconvénient au fait que la majorité des Suisses vive en location: «Cela permet de densifier la construction et de lutter contre le mitage du territoire». Benedikt Loderer est un fervent opposant au «fléau des maisonnettes» qui recouvrent largement le Plateau suisse. «Si l’on voulait loger les huit millions et demi d’habitants de la Suisse dans des villas, le pays serait totalement bétonné.» Le rêve d’avoir sa propre maison au cœur de la nature repose de toute façon, selon lui, sur une illusion: «Les propriétaires possèdent leurs maisons de manière nominale, mais dans les faits elles appartiennent aux banques qui leur ont octroyé des prêts.» Thèse n° 2: Quand on est locataire, on ne peut pas faire grand-chose pour le climat La façon dont un logement est chauffé et la qualité de son isolation thermique sont du seul ressort de son propriétaire. Toutefois, même l’appel des autorités à réduire le chauffage, sur fond de guerre en Ukraine et de renchérissement de l’énergie, se heurte à un obstacle: dans les vieux immeubles locatifs en particulier, la Revue Suisse / Août 2022 / N°4
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