Revue Suisse 4/2022

propriétaires ont une marge de manœuvre relativement large. Cela entraîne une fracture dans l’univers de location: sur le marché du logement, les loyers sont considérablement plus élevés que dans les baux existants. Les locataires qui vivent longtemps au même endroit paient moins cher que ceux qui louent un nouvel appartement. Thèse n° 8: La question cruciale est: «Quid de la protection des locataires?» Pour le think tank économique libéral Avenir Suisse, le droit de bail suisse est un bon compromis: «Le marché suisse de la location est relativement bien réglementé. C’est pourquoi on y trouve des logements à louer de bonne qualité.» C’est là que réside l’explication à la part élevée de locataires en Suisse, d’après Avenir Suisse. Dans d’autres pays, relève le think tank, les logements en location ont été «poussés hors du marché par des réglementations excessives». Natalie Imboden, de l’Asloca, est d’un autre avis: «Dans les zones urbaines, où vivent la plupart des gens, le marché locatif ne fonctionne pas.» Une protection accrue serait nécessaire, «sans quoi les propriétaires réalisent des gains excessifs sans fournir de prestations en échange». Markus Meier, directeur de la HEV et député UDC au parlement de Bâle-Campagne, contredit cela: «Nos membres souffrent aussi du nombre insuffisant de logements en propriété construits en ville.» D’après lui, l’offre est en outre limitée par «une protection excessive des locataires telle que celle exigée par l’Asloca». mène un combat perdu d’avance contre la HEV est toutefois erronée. Car les initiatives populaires lancées par la HEV ont elles aussi échoué jusqu’ici. Les deux organisations ont cependant un fort pouvoir référendaire, c’est-àdire qu’elles ont de très bonnes chances de parvenir à faire échouer dans les urnes les projets qui leur déplaisent. En résumé: leur puissance de blocage est grande, mais leur force d’action est faible. Entre elles, les jeux sont nuls. Thèse n° 7: Le droit du bail suisse reflète un immobilisme politique En Suisse, le bail est à maints égards réglementé jusque dans ses moindres détails, par exemple lorsqu’il s’agit de déterminer jusqu’à quelle température un appartement doit être chauffé (20 °C) ou jusqu’à quelle somme les locataires doivent payer eux-mêmes les réparations (150 francs). Et le principe du loyer fixé sur la base des coûts s’applique: toute augmentation doit être justifiée par une hausse des coûts. Toutefois, en réalité, il n’y a pas que le droit de bail qui joue un rôle majeur, mais aussi le marché, surtout lors d’une nouvelle location. Très grossièrement, on peut tirer le bilan suivant: dans les conditions de bail actuelles, la protection des locataires est plutôt solide. Si rien ne les protège contre les résiliations de bail, ils disposent de bons moyens juridiques pour exiger une prolongation de leur bail en cas de résiliation, parfois sur plusieurs années. En cas de nouvelle location, par contre, les Thèse n° 9: Les locataires craignent les conflits avec leur bailleur Concrètement, le conflit tourne autour d’une somme colossale: d’après une étude de l’Asloca, les ménages en location auraient payé 78 milliards de francs de loyer en trop ces 15 dernières années. Explication: les loyers sont juridiquement liés aux taux d’intérêts des prêts immobiliers. Or, ceux-ci ont baissé depuis 2008, tandis que les loyers ont continué d’augmenter. La HEV réplique sèchement qu’il s’agit là de «sornettes», qui ne tiennent pas compte de la hausse des frais d’exploitation et des investissements, ce que l’Asloca conteste. Ce qui est incontestable, c’est que de nombreux locataires ont renoncé à exiger une baisse de loyer bien que la situation juridique leur soit favorable. Pourquoi? Car, selon un sondage de l’Asloca, bon nombre d’entre eux craignent les conflits ou la dégradation de leur relation avec leur propriétaire. «Le bilan n’est pas aussi mauvais que l’Asloca l’affirme», relève Markus Meier. Il renvoie à un sondage commandé par la Confédération, selon lequel 63% de la population est «plutôt satisfaite» ou «très satisfaite» du droit de bail actuel. Avec la remontée récente des taux d’intérêts des prêts immobiliers, le jeu recommencera, avec une donne inversée. Bientôt, les propriétaires pourront exiger des loyers plus élevés, hausse des taux à l’appui. On attend avec impatience de voir s’ils feront preuve d’une aussi grande retenue dans le souci de maintenir de bonnes relations avec leurs locataires. «Der Waschküchenschlüssel» [La Clé de la chambre à lessive] de Hugo Loetscher, paru en 1988 en allemand, est l’œuvre littéraire clé pour mieux comprendre l’âme helvétique. Elle explore notamment les facettes de la vie en location. Revue Suisse / Août 2022 / N°4 7

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