SUSANNE WENGER Un samedi du début du mois de juillet à Ebersecken. Le soleil baigne les douces collines de l’arrière-pays lucernois, les cloches des vaches tintent, les papillons voltigent. Sur la place de sport près de l’école, on s’adonne cependant à une activité musclée malgré la chaleur, dans une ambiance bruyante et batailleuse. Plus de 20 équipes suisses de tir à la corde ont fait le déplacement pour prendre part, ce week-end, à un tournoi de championnat dans plusieurs catégories de poids et d’âge. L’organisateur est le club de tir à la corde d’Ebersecken, qui aligne lui-même cinq équipes et fait du tournoi une fête de trois jours au village. Enfin, une nouvelle fête de tir à la corde à Ebersecken, après deux ans de pandémie! «Nous sommes ravis», jubile Peter Joller, le coprésident du club. Arborant la tenue bleue de son équipe, l’homme de 32 ans trotte de-ci de-là. Malgré les restrictions, nos membres ne sont pas restés inactifs, souligne-t-il. Chez les moins de 19 ans, des équipes mixtes participent au tournoi, les catégories élite de 580 et 640 kg ne comptant cette fois que des hommes. Qui n’a encore jamais assisté à un tournoi de tir à la corde remarque vite que ce sport aux allures archaïques est extrêmement réglementé, avec des rôles et des processus fixes, contrôle du poids et des chaussures inclus. Les muscles et le mental Levez la corde! Tendez! Prêts! Tirez! Telles sont les directives par lesquelles l’arbitre lance le match. Le pied gauche enfoncé dans l’herbe, les mains enduites de résine agrippées à la corde de 33 mètres, les athlètes s’inclinent autant que possible, et la furieuse bataille pour se hisser en finale débute. L’objectif est de tirer l’équipe adverse de son propre côté. Ceux qui coincent la corde sous leur bras reçoivent un avertissement, et il est interdit de «ramer» et de s’asseoir. «Halte, halte, halte, en bas, en bas, en bas»: les coaches se pressent autour des équipes et leur donnent continuellement des instructions. En raison de la fatigue physique, il s’agit aussi d’avoir un mental d’acier, explique l’animateur Adrian Koller, lui aussi membre du club d’Ebersecken, via les haut-parleurs puissants. Une des équipes juniors d’Ebersecken démontre justement ce que cela signifie. Après deux avertissements, la défaite menace, mais l’équipe locale parvient tout de même à remporter de justesse le premier tour. Acclamations sur le terrain et dans le public. Le chapiteau de la fête se remplit, la buvette fait des affaires. Une ambition progressive Ebersecken est un village agricole qui ne compte plus que 400 âmes. Il y a deux ans, il a fusionné avec la commune voisine d’Altishofen, plus grande. Ebersecken ne pouvait plus assurer seul les tâches d’une commune. En échange, dit-on en ne plaisantant qu’à moitié, Altishofen a reçu gratuitement un titre de champion du Les femmes et les hommes forts d’Ebersecken Le tir à la corde, sport plutôt marginal, est loin de l’être dans une petite localité lucernoise: le club de tir à la corde d’Ebersecken a été, ces dix dernières années, le club suisse qui a remporté le plus de victoires. À la découverte d’une épreuve de force, qui requiert de l’esprit d’équipe et relie un village rural avec le reste du monde. monde du tir à la corde. Les habitants d’Ebersecken ont dit adieu à leurs anciennes armoiries communales, qui représentaient un sanglier, mais l’animal poilu continue de s’ébrouer sur le logo du club de tir à la corde. Et même au sein de la commune d’Altishofen, Ebersecken reste un bastion du tir à la corde. Depuis 2010, l’élite du club d’Ebersecken a remporté chaque année au moins un titre de champion suisse, et les plus forts de ses membres ont gagné trois médailles d’or en championnat dumonde dans le cadre de l’équipe nationale. Sur place, on apprend que ce succès repose sur la volonté, l’entraînement et la cohésion. Fondé en 1980 après des tournois festifs, le club Plus haut, plus grand, plus rapide, plus beau? À la recherche des records suisses qui sortent de l’ordinaire. Aujourd’hui: visite du bastion des plus forts tireurs à la corde du pays. La Suisse, pays de clubs Le club de tir à la corde d’Ebersecken est l’un des quelques 100 000 clubs que compte la Suisse. D’après l’Observatoire du bénévolat 2020, trois quarts des habitants de plus de 15 ans sont membres d’un club ou d’une organisation d’utilité publique, et plus de 60 % y ont une part active. Les clubs de sport sont les plus nombreux, suivis par les loisirs et la culture. Les clubs ont une grande importance historique en Suisse. Et malgré la mobilité et l’individualisme croissant, les experts ne notent aucun recul du nombre de clubs. Leur petite taille et leur caractère local ont de l’attrait dans un monde globalisé. Les clubs qui se modernisent sont ceux qui ont le plus de succès, notamment ceux qui se servent d’Internet ou permettent des engagements liés à des projets. (SWE) Carmen Rölli et Peter Joller, présidents bénévoles du club de tir à la corde d’Ebersecken. Tous deux pratiquent également ce sport. Revue Suisse / Octobre 2022 / N°5 13
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