réellement existé! L’Elisabeth de Walter Ackermann est la coiffeuse zurichoise Erna Fisch (1910-2007), qui lui a adressé la parole dans le train Dübendorf-Zurich en 1930 et dont il veut faire, dans le cadre d’une relation tumultueuse, une dame distinguée comme l’Elisabeth du roman. Au début d’août 1939, le mariage est enfin programmé. Mais il n’aura jamais lieu. La poésie et la (dure) réalité Le 20 juillet 1939, Walter Ackermann a l’intention, après son vol de ligne Zurich-Vienne-Zurich, d’aller choisir de la vaisselle avec sa fiancée pour leur futur ménage. Cependant, tandis qu’il survole Friedrichshafen, l’un des deux moteurs de son Ju 86 rend l’âme, et quand le pilote veut atterrir en urgence à Constance, son deuxième moteur le lâche aussi. L’avion tombe à pic et s’écrase, tuant ses six passagers. À son enterrement, on déclare que l’accident est dû à une erreur humaine pour ne pas froisser l’Allemagne, pays constructeur d’avions, alors que chez Swissair tout le monde sait pertinemment que l’engin présentait des défauts patents. Erna Fisch reçoit cependant une dernière lettre de Walter Ackermann, qu’il n’avait pas envoyée, et dans laquelle il lui faisait part, le 15 juillet 1939 à Amsterdam, de ses pensées mélancoliques sur la vie et la mort et citait, comme Werner Rickenbach à la fin d’«En plein ciel», un poème. Écrit par Gottfried Keller, celui-ci disait: «Dieu, qu’ai-je donc fait / Pour devoir à présent, / Sans même un doux baiser, / Mourir sans être aimé?» BIBLIOGRAPHIE: Walter Ackermann: «Flug mit Elisabeth und andere Aviatica». Édité par Charles Linsmayer, avec une postface biographique. Réimprimé par Huber Nr. 15, Huber-Verlag, Frauenfeld 1999. Traduction en français: «En plein ciel», éd. Librairie Payot, Lausanne, 1941 CHARLES LINSMAYER EST SPÉCIALISTE EN LITTÉRATURE ET JOURNALISTE À ZURICH CHARLES LINSMAYER Dans les années 1930, les fans du pilote Walter Ackermann le pourchassaient jusque dans la gare principale de Zurich pour décrocher un autographe de lui lorsqu’il rentrait en train de l’aéroport de Dübendorf. Et il est révélateur que ce soit également ainsi qu’il ait rencontré la femme qui deviendrait sa destinée. Cependant, rares sont les personnes qui, de son vivant, ont pris conscience que Walter Ackermann n’était pas seulement l’un des tout premiers pilotes de ligne modernes, mais aussi un critique précoce d’un trafic aérien excessif. Pilote et écrivain Né le 19 avril 1903 à Zurich, il veut devenir écrivain dès le gymnase, mais en abandonne l’idée après une rencontre mémorable avec James Joyce, qui est le père de l’un de ses camarades de classe: il ne peut en effet concevoir de travailler six ans durant sur un seul livre, et ne connaît pas non plus de lord qui le financerait, comme il suppose que c’est le cas pour Joyce… Il effectue donc une formation de pilote militaire, se fait engager comme pilote de ligne par «Ad Astra Aero» en 1927, puis par Swissair en 1931, et couvre le réseau aérien européen pour ces deux compagnies pendant douze ans. Néanmoins, son talent d’écrivain se déploie tout de même, et il relate ses expériences dans des livres comme «Bordbuch eines Verkehrsfliegers» (1934, non traduit) et «Fliegt mit!» (1937, non traduit), qui séduisent un grand nombre de lecteurs. Son plus grand succès, il le connaît cependant en 1936 avec le roman épistolaire «Flug mit Elisabeth» («En plein ciel»), dans lequel il entremêle la vie d’aviateur et une histoire d’amour tendre et poétique entre la fille d’un musicien et le pilote Werner Rickenbach. Et il oppose la nostalgie «En plein ciel», dernier vol Walter Ackermann (1903-1939) a rendu l’aviation populaire, mais il en connaissait aussi les mauvais côtés. indéfinie de la jeune fille à la prise de conscience du pilote que dans sa vie trépidante et sans ancrage, et malgré toute sa fascination pour la technique, il risque de passer à côté de sa véritable et plus profonde vocation. À la «Vois-tu, tel est le tragique de notre existence entre deux lieux. Partout nous ne restons que quelques heures, partout nous ne sommes que de passage. Nulle part nous n’avons de racines. Et nous voyons tant de choses que nous ne voyons plus rien. Exercer le métier de pilote, n’est-ce pas comme être asservi à une femme, séduisante et unique, mais dont on sait que tout l’amour et toute la souffrance qu’on lui porte, au fond, ne valent rien?» Walter Ackermann, «Die halbe Million», dans: «Flug mit Elisabeth und andere Aviatica», Huber-Verlag, Frauenfeld 1999. fin du livre, fermement résolu à cesser de voler, Werner Rickenbach est à bord d’un DC-3 qui le ramène vers Elisabeth lorsqu’il entend dans son casque les «cloches du pays» sur Radio Beromünster: il pense alors au poème de C. F. Meyer, «Was treibst du, Wind?» (non traduit), qui évoque le son de cloches résonnant sur le lac, sans préciser si le tintement annonce un décès ou un mariage. L’histoire d’amour racontée dans le roman a Revue Suisse / Octobre 2022 / N°5 20 Littérature
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