d’origine devrait être indiquée dans la même taille de police, par exemple «Allgäuer Emmentaler». Juste un fromage avec des trous? Hélas, l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle a rejeté cette exigence. Selon lui, le terme «Emmentaler» n’est pas une indication de provenance, mais seulement un nom devenu commun désignant un fromage à pâte dure avec des trous. L’interprofession n’est pas d’accord avec cela, et c’est pourquoi elle a saisi la cour européenne. Les audiences se sont tenues il y a peu. Le jugement est attendu au plus tôt dans trois à quatre mois, indique Alfred Rufer. «Nous croyons en nos chances.» En cas de verdict favorable, espère-t-il, il serait possible de vendre davantage d’Emmentaler suisse dans de grands pays comme l’Allemagne et la France ainsi que dans les États du Benelux. La raison est évidente: pour une clientèle soucieuse de qualité, il serait plus simple de se procurer l’original. Le plus gros client est… l’Italie Aujourd’hui déjà, le volume d’exportation est considérable: plus de 2200 tonnes d’Emmentaler ont été livrées en 2021 rien qu’en Allemagne, et près de 770 tonnes en France. Le plus gros client a été l’Italie, avec 5500 tonnes: plus guère possible. «Nous ne pourrons plus rivaliser avec tous les ersatz bon marché», regrette Marlies Zaugg. «La fabrication du fromage telle que nous la connaissons disparaîtrait petit à petit», complète son mari. De l’aide des «juges étrangers»? Il y a effectivement un problème. De nombreuses imitations mettent l’authentique Emmentaler suisse, qui porte depuis 2006 une appellation d’origine protégée (AOP), sous pression. Mais les choses se sont mises en branle récemment en matière de protection des marques, et voici ce qui rend l’affaire particulièrement piquante: c’est une cour européenne qui a été saisie pour demander que le célèbre Emmentaler suisse soit mieux protégé. Des «juges étrangers », donc, dont les cercles paysans se méfient souvent volontiers en Suisse, sont censés protéger un produit agricole qui ne saurait être plus suisse. Alfred Rufer nous explique le contexte. Il est le vice-directeur de l’interprofession Emmentaler Switzerland et sa mission est de positionner l’Emmentaler suisse sur le marché libre et de le protéger des imitations. À l’heure actuelle, dit-il, de très nombreux pays fabriquent un fromage qui porte le nom d’Emmentaler, dans des quantités bien plus importantes qu’en Suisse. Ainsi, le plus gros producteur d’Emmentaler au monde, par exemple, n’est pas la Suisse, mais la France. «Tels sont les faits, et nous devons les accepter.» Cette bataille a été perdue il y a 200 ou 300 ans. À l’époque, des maîtres fromagers ont quitté la Suisse et se sont mis à produire de l’Emmentaler un peu partout. Un combat contre les profiteurs Aujourd’hui, la bataille est tout autre. Il n’est pas juste, estime Alfred Rufer, que des producteurs étrangers profitent de l’excellente réputation de l’Emmentaler suisse. Et ce, alors que leurs ersatz bon marché sont bien au-dessous de l’original en ce qui concerne tant les exigences que la qualité. «Il s’agit d’une imposture, assène-t-il. Nul n’a le droit de se parer des plumes du paon.» L’objectif est clair: partout sur la planète, les clients doivent pouvoir immédiatement savoir s’ils ont affaire à un Emmentaler suisse ou non. De nombreux consommateurs sont prêts à dépenser plus pour des produits d’origine suisse, note Alfred Rufer. «Cependant, si l’origine n’est pas clairement indiquée, d’autres récoltent le fruit de nos efforts.» Les producteurs suisses voudraient donc que seul leur fromage ait le droit de porter le nom d’«Emmentaler» en grand et sans autre mot ajouté. Pour tous les autres, la région Sur une colline de l’Emmental entourée de prairies et de bois, la fromagerie de Hüpfenboden ressemble à une image idyllique du passé. C’est dans une cuve cuivrée que débute la fabrication de l’Emmentaler. Le nombre de meules que les fromageries peuvent produire est fixé tous les deux mois. Revue Suisse / Décembre 2022 / N°6 11
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