Revue Suisse 6/2022

rien de moins qu’un changement de paradigme. Christoph Blocher lance une initiative sur la neutralité L’UDC est en désaccord total avec l’évolution active de la neutralité suisse. Pour ce parti, la reprise des sanctions de l’UE contre la Russie, en particulier, constitue une «rupture de la neutralité». La Suisse est devenue elle-même une belligérante par «pur opportunisme» et a ainsi perdu sa crédibilité de médiatrice, critique l’ancien conseiller fédéral et doyen de l’UDC Christoph Blocher. Pour éviter que le pays ne soit «impliqué dans des guerres» à l’avenir, il a lancé une inis’attache à préserver l’indépendance et la prospérité de la Suisse»; et qu’elle contribue notamment «à soulager les populations dans le besoin et à lutter contre la pauvreté ainsi qu’à promouvoir le respect des droits de l’homme, la démocratie, la coexistence pacifique des peuples et la préservation des ressources naturelles». Ces formulations laissent une marge de manœuvre politique considérable, que Christoph Blocher souhaite restreindre par l’ajout d’un article sur la neutralité. Étendre la collaboration internationale Il pourrait s’écouler plusieurs années encore avant que le peuple se prononce sur un éventuel amendement de la Constitution fédérale. Néanmoins, en lançant une récolte de signatures, l’UDC a inscrit le sujet de la neutralité à l’agenda politique des élections fédérales de 2023. L’initiative est activement soutenue par l’association «Pro Suisse», née de l’Action pour une Suisse indépendante et neutre (ASIN) et qui s’est donné pour mission de lutter contre tout rapprochement entre la Suisse et l’UE. Les autres partis politiques considèrent que l’interprétation de la neutralité de l’UDC est dépassée. L’opinion dominante est que face à la guerre en Ukraine, on a besoin de davantage de collaboration internationale, et non d’isolement. Le PLR n’exclut pas non plus un rapprochement avec l’OTAN. Il est également question de demander l’assouplissement MARCO JORIO «Plus personne ne s’y retrouve!», s’est écrié, presque désespéré, le présentateur d’une émission de débat politique consacrée à la neutralité à la télévision suisse tandis que les politiciens présents faisaient valser des concepts de neutralité truffés d’adjectifs. Dans les débats publics aussi, des termes comme neutralité «intégrale», «différentielle» ou «coopérative» se font sauvagement concurrence. L’abondance de ces qualificatifs prouve que la neutralité n’est pas un concept défini de manière fixe. «La neutralité prend une teinte différente selon l’évolution des événements», notait déjà le ministre des affaires étrangères Marcel Pilet-Golaz durant la Deuxième Guerre mondiale. Certes, il existe depuis 1907 un droit de la neutralité codifié par le droit international, mais il ne fixe que quelques-uns des principes concernant les obligations et les droits des pays neutres en cas de guerre. C’est pourquoi il s’est développé, autour de cela, une politique de neutralité que chaque État neutre met en œuvre sous sa propre responsabilité en temps de paix et de guerre pour donner de la crédibilité à sa neutralité. Cette politique est encore plus ouverte que le droit de la neutralité. Parmi les différentes «neutralités», il y a d’une part la neutralité «perpétuelle», telle que la pratique la Suisse depuis 400 ans, et d’autre part la neutralité «occasionnelle», qui n’est liée qu’à un conflit précis, et qui est appliquée par presque tous les États dans presque toutes les guerres. La neutralité peut être armée (Suisse, Autriche) ou non (Costa Rica); elle peut être reconnue par le droit international (Suisse, Autriche) ou mise en œuvre comme une pratique librement choisie, sans reconnaissance par le droit international (Irlande). Cependant, la neutralité évolue, même celle pratiquée par la Suisse, perpétuelle, armée et reconnue par le droit international depuis 1815. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, la neutralité possédait une connotation exclusivement militaire. Au cours de cette guerre, les deux parties belligérantes se livraient tiative populaire avec ses collègues de l’UDC. L’idée est d’ancrer une «neutralité entière, perpétuelle et armée» dans la Constitution fédérale, mais aussi d’y inscrire que la Suisse n’a le droit ni de prendre des sanctions contre les pays belligérants, ni d’adhérer à une coalition de défense. Le 8 novembre 2022, la collecte de signatures pour l’initiative a été lancée. Jusqu’à présent, la Constitution fédérale décrit la neutralité en termes simples. Elle engage le Parlement et le Conseil fédéral à prendre «les mesures nécessaires pour préserver la sécurité extérieure, l’indépendance et la neutralité de la Suisse». En matière de politique étrangère, la Constitution prévoit que «la Confédération Quelle neutralité? Cartoon: Max Spring Revue Suisse / Décembre 2022 / N°6 6 En profondeur

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