MARS 2023 Revue Suisse La revue des Suisses·ses de l’étranger Le sarcophage de la discorde: une momie plonge la Suisse dans un débat culturel Un bout de papier en guise de batterie: la minuscule invention suisse qui épate les experts Le romanche, la plus petite langue nationale de la Suisse, se renouvelle à un rythme express
© Alisha Lubben Les services consulaires partout, facilement accessibles depuis vos appareils mobiles Santiago du Chili (2023) www.dfae.admin.ch Schweizer Schulabschluss von jedem Ort der Welt Jetzt schnuppern! Info und Kontakt unter swissonlineschool.ch wissonlineschool-hoch.indd 1 20.10.21 11:49 © Kurzschuss Le 99e Congrès des Suisses de l’étranger se déroulera du 18 au 20 août 2023 à Saint-Gall Nos partenaires : Découvrez le programme complet et soyez les premiers à vous inscrire Offre avantageuse pour les plus rapides ! www.swisscommunity.link/congres2023
Une brève question en guise d’introduction: qu’est-ce que la culture? La réponse est loin d’être simple: il existe en effet une multitude impressionnante de définitions de la culture et de la façon dont nous interagissons avec elle. Car celle-ci n’est pas juste un agrément sympathique. Tentons tout de même une réponse: la culture englobe tout ce qui est créé par l’être humain. Si l’on ajoute à cela la notion d’art, on pourrait dire que l’art et la culture sont l’expression de l’existence humaine. Ils façonnent notre identité, et pas seulement sur le plan individuel. La culture est un fruit collectif, qui offre aux membres de la collectivité une appartenance, une mémoire, des perspectives, c’est-à-dire à la fois un passé et un avenir. Voler les biens culturels d’autrui, c’est précisément s’attaquer à ces valeurs. Les musées suisses le savent aussi, et ils passent actuellement en revue leurs collections parce que certains d’entre eux possèdent de l’art volé: par exemple, des trésors du royaume africain du Bénin pillé par les puissances coloniales. D’autres pays ont déjà décidé de restituer des œuvres d’art béninoises. En Suisse, le débat à ce sujet a au moins le mérite d’être lancé. Au début du litige, il n’y a pas toujours un vol. Parfois, il s’agit d’une forme un peu obscure d’«intérêt scientifique». C’est ce que nous apprend Shepenaset, la momie égyptienne qui se trouve dans la bibliothèque de l’abbaye de Saint-Gall, allongée dans un sarcophage richement décoré. Notre dossier «En profondeur» se penche sur son cas. La momie Shepenaset reste muette à ce sujet. Mais elle fait quand même du bruit, car elle plonge la Suisse dans un débat sur les biens culturels: pourquoi ce témoignage de la culture de l’ancienne Égypte a-t-il été tiré de son tombeau au bord du Nil et emporté à Saint-Gall? N’est-ce pas une source de gêne permanente pour tout le monde? Pourquoi ne pas la renvoyer en Égypte? On ignore encore l’issue de ce débat. Ce qui est passionnant, c’est qu’il se déroule à Saint-Gall, dans un canton qui a lui-même été la victime de vols culturels: au début du XVIIIe siècle, les troupes zurichoises y ont en effet dérobé des biens précieux. Ce qui a déclenché une dispute qui a duré 300 ans entre Saint-Gall et Zurich. La culture sera aussi le thème à l’honneur du Congrès des Suisses de l’étranger en août 2023. Et le hasard fait bien les choses, puisqu’il aura lieu à Saint-Gall. MARC LETTAU, RÉDACTEUR EN CHEF 4 En profondeur Au cœur d’un débat culturel: la momie Shepenaset, fille de prêtre 8 Sélection / Nouvelles 10 Société Le diocèse de Coire n’embauchera pas de nouvel exorciste 12 Images Des musées suisses offrent un abri à des tableaux de galeries ukrainiennes 14 Reportage L’une des meilleures inventions mondiales: une minuscule et simplissime batterie de papier 18 Culture Le romanche, la plus petite langue nationale de la Suisse, se renouvelle à toute vitesse Actualités de votre région 22 Politique La Suisse ne parvient pas suffisamment à dissuader les jeunes de fumer Élections 2023: pour y participer, il faut s’inscrire maintenant 25 Portrait Marco Sieber, le futur astronaute suisse 26 Nouvelles du Palais fédéral La «Cinquième Suisse» a désormais sa place dans le nouveau passeport suisse 29 Infos de SwissCommunity Nouvelle offre bancaire pour les Suisses de l’étranger 30 Débat Bien que muette, Shepenaset fait du bruit Photo de couverture: le sarcophage de Shepenaset à la bibliothèque de l’abbaye de Saint-Gall. Photo iStock La «Revue Suisse», magazine d’information de la «Cinquième Suisse», est éditée par l’Organisation des Suisses de l’étranger. Revue Suisse / Mars 2023 / N°2 3 Éditorial Sommaire
4 Shepenaset plonge la Suisse dans un vif débat Les biens culturels forgent l’identité des peuples. Le vol de ces biens est donc un sujet qui agite la société, surtout dans les pays qui possédaient autrefois des colonies. Mais la Suisse aussi abrite des trésors culturels qui posent problème. Le débat est vif, comme le montre le cas d’une momie à Saint-Gall. DENISE LACHAT Elle est couchée dans la somptueuse salle baroque de la bibliothèque de l’abbaye de Saint-Gall, l’une des plus anciennes bibliothèques historiques du monde: il s’agit de la momie égyptienne de Shepenaset, fille d’un prêtre du VIIe siècle avant J.-C., croit-on aujourd’hui savoir, décédée à un peu plus de 30 ans. Saint-Gall et le cercueil de verre où elle est exposée sont-ils une dernière demeure convenable pour Shepenaset voire, comme l’écrit même la bibliothèque, «le plus beau mausolée qu’on puisse imaginer»? La question suscite actuellement un vif débat. Lorsque le metteur en scène saint-gallois Milo Rau reçoit le prix culturel de sa ville, en novembre 2022, il informe les Saint-Gallois qu’il dépensera les 30000 francs du prix pour faire rapatrier la momie en Égypte. Il organise une «action artistique» afin de sensibiliser le public à la cause, promenant une fausse momie à travers la ville et vilipendant l’exhibition de la vraie «source de gêne morale permanente». Dans une «déclaration de Saint-Gall», rédigée avec le concours d’un comité, il dénonce «un pillage, un manque de respect ou du moins de scrupules», indigne selon lui d’une métropole culturelle comme Saint-Gall. Autrefois enterrée à Louxor Que s’est-il passé? Shepenaset était autrefois enterrée en Égypte, sans doute dans la nécropole située non loin de Louxor. A-t-elle été «arrachée à son tombeau par des pilleurs», comme l’écrit le comité? D’après les responsables de la bibliothèque de l’abbaye, ce faits ne peuvent pas être prouvés. Dans un commentaire sur la «déclaration de Saint-Gall», ils notent qu’il n’est pas correct de parler d’un pillage de l’Égypte au XVIIIe siècle et soulignent que, depuis la campagne d’Égypte de Napoléon en 1798, les scientifiques français, anglais et, plus tard, allemands, ont prêté beaucoup d’attention au patrimoine culturel de l’Égypte ancienne, contrairement aux Égyptiens eux-mêmes, qui ont témoigné peu de considération pour ce patrimoine qui est le leur. La bibliothèque illustre cette affirmation par l’exemple du vice-roi égyptien Méhémet Ali, qui, en 1830, avait traité l’une des pyramides de Gizeh aujourd’hui mondialement connues, de «pauvre montagne», et qui voulait construire des canaux en Égypte avec ses «gravats». La destruction de la pyramide fut alors empêchée par le consul français à Alexandrie, indique le commentaire. Une question de dignité Shepenaset est arrivée à Saint-Gall il y a près de 200 ans. C’est un homme d’affaires allemand, Philipp Roux, qui en aurait fait l’acquisition à Alexandrie avec deux cercueils en bois, et qui l’aurait envoyée à l’un de ses amis, l’homme politique Karl Müller-Friedberg, père fondateur du canton de Saint-Gall. Müller-Friedberg a-t-il reçu la momie en cadeau ou l’a-t-il payée à son tour, la question n’a pas été définitivement tranchée. À son arrivée à Revue Suisse / Mars 2023 / N°2 En profondeur
semaines après l’«action artistique», la direction du conseil a décidé d’«examiner sérieusement» un possible retour de Shepenaset dans son pays d’origine, et ce en collaboration avec les autorités égyptiennes compétentes. Des trésors culturels de la période nazie Des débats sur la recherche de l’origine de biens artistiques et culturels Shepenaset, telle qu’elle pourrait avoir été de son vivant: au début de 2022, des experts italiens ont réussi à reconstituer son visage d’après une tomographie de la momie. Photo IMAGO Le metteur en scène Milo Rau promène une fausse momie à travers Saint-Gall. Sa revendication: faire rapatrier Shepenaset en Égypte. Photo Keystone est conforme aux pratiques muséales usuelles. Même les photos mises à la disposition des médias montrent la momie à distance, le visage de profil. Ces explications sont-elles suffisantes pour conserver Shepenaset à Saint-Gall? Le conseil catholique du canton de Saint-Gall, un organe de droit ecclésiastique à qui appartiennent tous les objets de la bibliothèque de l’abbaye, semble réagir à la critique de Milo Rau et réviser sa position. Trois Saint-Gall, relatent des savants de l’époque conviés pour l’occasion, Shepenaset fut démaillotée jusqu’aux épaules et, à l’issue d’une cérémonie festive, chaque invité reçut un morceau de tissu de la momie en souvenir. Est-ce là le manque de respect que Milo Rau dénonce? Il y a peu, l’ethnologue allemande Wiebke Ahrndt relatait qu’au XIXe siècle, les démonstrations de démaillotage de momies n’étaient pas rares et ce, non seulement en Europe, mais aussi en Égypte. On ne refait pas le passé, notait-elle. Autrice d’un guide pour la prise en charge des dépouilles humaines dans les musées et les collections, Wiebke Ahrndt est d’avis qu’on peut exposer des momies tant que cela est fait avec dignité et que le pays d’origine n’est pas contre. Les musées égyptiens exhibent eux aussi des momies; jusqu’en 1983, souligne l’ethnologue, leur exportation était même légale. Les responsables de la bibliothèque insistent de leur côté sur le fait que Shepenaset n’est pas jetée en pâture aux curieux. Ils affirment que sa présentation Revue Suisse / Mars 2023 / N°2
après 1945, se présenter aux nations nouvellement formées comme une partenaire au-dessus de tout soupçon face aux anciennes colonies. En effet, même dans la politique, les mentalités évoluent. En témoignent, d’après le président de l’ARP, les innombrables débats, motions et interpellations au Parlement fédéral, «même si cela secoue l’identité de la Suisse en tant que pays neutre et remet en question l’image de la nation égalitaire, solidaire et humanitaire qu’elle se fait d’elle-même». Un débat d’ampleur mondiale Le débat sur l’art colonial volé agite nombre de pays européens. Certains d’entre eux expriment des excuses officielles, à l’image des Pays-Bas. D’autres, comme les monarchies belge et britannique, s’en tiennent à des mots de regrets. Et d’autres encore sont déjà passés à l’action. Ainsi, à la fin de 2022, l’Allemagne a commencé à restituer des bronzes au Nigeria. Le royaume du Bénin, situé dans l’actuel Nigeria, fut attaqué par des troupes coloniales britanniques en 1897, et des milliers d’objets furent dérobés dans le palais du roi puis vendus sur le marché de l’art pour finir dans des collections du monde entier. Auétrangers, ou «recherche de provenance», la Suisse en connaît, surtout dans le contexte de l’or et de l’art volés pendant la Deuxième Guerre mondiale. En 2002, un groupe d’experts dirigés par Jean-François Bergier a soumis au Conseil fédéral un rapport détaillé montrant que le secteur économique suisse avait étroitement collaboré avec le régime national-socialiste. Des œuvres d’art vendues pendant la période nazie en Allemagne (1933-1945) se sont retrouvées dans des collections publiques et privées. Aujourd’hui, on estime qu’il est nécessaire de savoir s’il s’agit d’art confisqué par les nazis. Cet engagement moral, le Kunstmuseum de Berne – qui a accepté en 2014 l’héritage du collectionneur d’art Cornelius Gurlitt, contenant des œuvres de cette période – l’a rendu visible dans son exposition. Le cas Gurlitt a représenté un tournant. Dans son sillage, le Conseil fédéral a décidé d’accorder chaque année 500 000 francs aux musées suisses pour la recherche de la provenance des oeuvres. Une somme qui ne permet pas d’aller très loin, souligne Joachim Sieber, président de l’Association suisse de recherche en provenance (ARP), mais qui constitue tout de même un début. L’époque coloniale dans le viseur des politiques Les biens culturels acquis à l’époque coloniale sont un autre «gros morceau» auquel la recherche suisse en provenance doit à présent s’attaquer. Cela peut sembler paradoxal, puisque la Suisse n’a jamais possédé de colonies. Cependant, pour Joachim Sieber, il est évident que «la Suisse a fait et fait partie de l’entreprise (post)coloniale européenne». Et c’est précisément parce qu’elle n’était pas une puissance coloniale, affirme-t-il, que la Suisse et les entreprises suisses ont pu, après l’effondrement des empires coloniaux ou 6 Shepenaset dans son cercueil d’exposition en verre à Saint-Gall. Chaque soir, le personnel prend congé d’elle, recouvre le cercueil d’un drap blanc et referme les portes. Photo Keystone Litige entre Confédérés au sujet de biens culturels Un globe sensationnel a fait l’objet d’un vol culturel entre Confédérés: en 1712, pendant la guerre du Toggenburg, les Zurichois s’emparèrent du globe terrestre et céleste de la bibliothèque de l’abbaye de Saint-Gall, haut de 2,3 mètres, et de manuscrits précieux. Si un accord de paix régla la restitution de nombreux biens, les Zurichois conservèrent néanmoins le globe. Près de 300 ans plus tard, il s’en est fallu de peu qu’une bataille juridique intercantonale n’éclate devant le Tribunal fédéral: en 1996, le gouvernement de Saint-Gall pose un ultimatum aux Zurichois pour la restitution du globe. Grâce à la médiation de la Confédération, un bon compromis suisse est trouvé. Les Zurichois se voient accorder le droit de conserver l’original au Musée national suisse de Zurich, mais sont tenus d’en fabriquer une copie conforme pour les Saint-Gallois. Lors de la remise de la réplique, en 2009, le Musée national, la bibliothèque de l’abbaye de Saint-Gall et la Bibliothèque centrale de Zurich conviennent en outre de mettre au point une version numérique du globe. Depuis décembre 2022, le public a accès à ce globe virtuel (www.3dglobus.ch). Ainsi, Saint-Gall et Zurich semblent avoir définitivement enterré la hache de guerre. (DLA) Revue Suisse / Mars 2023 / N°2 6En profondeur
jourd’hui, le Nigeria exige que ses bronzes soient reconnus comme de l’art volé. Un fait est moins connu: les musées suisses aussi possèdent une centaine d’objets qu’on pense originaires du royaume du Bénin. Sous la houlette du musée Rietberg à Zurich et avec le soutien de l’Office fédéral de la culture, huit musées se sont regroupés au sein de l’«Initiative Bénin Suisse»: l’objectif est de faire la transparence sur les collections par la recherche et le dialogue avec le Nigeria. Le dialogue: voilà un terme clé dans le traitement des biens culturels. En 2017, tandis que le président français annonçait la restitution de biens culturels, Bansoa Sigam, anthropologue et muséologue à Genève, insistait déjà, à la radio romande, sur le fait qu’il fallait nouer des partenariats d’égal à égal entre le nord et le sud. La décolonisation, pour elle, implique «de se pencher sur son histoire avec sincérité et de trouver des solutions». Ainsi naîtra peut-être aussi une dynamique d’«écriture commune de l’histoire mondiale», telle que défendue par Bernhard C. Schär. Ce professeur à l’EPF pense qu’étudier et enseigner l’histoire de l’Europe de manière isolée est une erreur. L’histoire, dit-il, est toujours le fruit d’échanges entre les gens. La restitution n’est pas la seule solution D’après des estimations, plus de 90 % des biens culturels africains de l’époque coloniale se trouvent actuellement non en Afrique, mais en Europe et aux États-Unis. Doivent-ils tous être restitués? Joachim Sieber pense que non, et que la restitution n’est pas la seule solution. Ces biens culturels pourraient par exemple être restitués puis rachetés, ou mis à disposition sous la forme de prêts permanents; il serait également possible de signaler le propriétaire d’origine sur les objets dans les musées. Pour le président de l’ARP, il importe qu’une solution soit trouvée à l’issue d’un dialogue et D’après l’Office fédéral de la culture, les biens culturels sont des témoins tangibles de la culture et de l’histoire, ainsi que les supports de l’identité individuelle et collective. Ils jouent un grand rôle dans la représentation qu’une société a d’ellemême. De nos jours, la protection du patrimoine culturel compte parmi les tâches importantes de l’État. La Suisse, elle aussi victime En matière d’art volé, les pays riches tels que la Suisse peuvent aussi être les victimes. Pendant des siècles, les moines capucins de Fribourg ont veillé sur leur précieuse bibliothèque, mais visiblement pas toujours avec l’attention requise. Ainsi, les frères de l’ordre n’ont pas remarqué que, pendant la Deuxième Guerre mondiale, le «Narrenschiff» (La Nef des fous), un ouvrage du XVe siècle, leur avait été dérobé. Datant des premiers temps de l’imprimerie, ce livre exceptionnel est réapparu en 1945 chez un marchand newyorkais et s’est retrouvé plus tard, dans le cadre d’une donation, à la Library of Congress de Washington, l’une des plus grandes bibliothèques du monde. En 1975, les capucins sont victimes d’un nouveau larcin: un voleur se faisant passer pour un bibliothécaire du Vatican les déleste d’une vingtaine d’imprimés anciens. Ce n’est qu’au début des années 2000 qu’un collaborateur de la Bibliothèque cantonale et universitaire (BCU) de Fribourg met à jour deux nouveaux faits jusque-là ignorés: le butin du vol de 1975 a été vendu aux enchères à Munich en 1975 et 1976, et le «Narrenschiff» se trouve à Washington. Dès lors, la BCU lance des recherches pour récupérer la vingtaine d’imprimés volés. À la fin de 2022, la Library of Congress de Washington restitue le «Narrenschiff» au canton de Fribourg. L’ouvrage est désormais conservé à la BCU et peut être consulté par les chercheurs. (DLA) Pour en savoir plus (en français et en allemand): revue.link/nefdesfous Le «Narrenschiff» de l’humaniste Sebastian Brant, paru en 1494 à Bâle, est une satire morale illustrée dans laquelle des fous représentent les vices humains. d’une collaboration avec les sociétés d’où ces objets proviennent. Par conséquent – pour revenir au cas qui nous occupait en début d’article –, il est tout à fait possible que le gouvernement égyptien ne souhaite pas le rapatriement de la momie Shepenaset, mais trouve une autre solution à l’amiable avec le conseil catholique de Saint-Gall. D’ici là, Shepenaset continuera d’attirer près de 150 000 visiteurs par an et d’être saluée tous les soirs par le personnel de la bibliothèque de l’abbaye dans le cadre d’un petit rituel. Lorsque les portes se referment au public, on recouvre le cercueil de verre d’un drap blanc et l’on prononce son nom. Ainsi, on invoque la mémoire de cette fille de prêtre et, selon les croyances égyptiennes, Shepenaset se rapproche de l’éternité. Revue Suisse / Mars 2023 / N°2 7
Coup de frein pour les Verts avant l’automne électoral Le 12 février 2023, les électeurs zurichois ont élu leur nouveau parlement, et leur vote est toujours considéré comme un signal pour les élections au Conseil national et au Conseil des États de l’automne qui suit. Très souvent, il coïncide avec ce qu’il se passe à l’échelle du pays. Cette année, à Zurich, les partis bourgeois ressortent légèrement renforcés des élections. L’UDC a remporté un siège au parlement cantonal, qui en compte 180. Il s’affirme ainsi comme le parti le plus fort. Le Centre a ravi trois sièges supplémentaires, le PLR aucun. Les Verts ont de leur côté perdu trois sièges. Le PEV et l’AL ont aussi perdu chacun un siège. Cependant, comme les Vert’libéraux et le PS ont remporté chacun un siège, l’«alliance climatique» constituée de partis écologiques et de gauche et du PEV conserve la majorité au parlement. Les élections au Conseil national et au Conseil des États auront lieu le 22 octobre (pour en savoir plus à ce sujet, voir p. 24). (MUL) La composition du Conseil fédéral est contestée Les élections nationales du 22 octobre pourraient raviver le débat sur la composition du Conseil fédéral. Celle-ci est très stable et intègre les partis comptant le plus d’électeurs. Mais cette «formule magique» n’est pas gravée dans le marbre: les Verts et les Vert’libéraux, qui se sont renforcés ces dernières années, sollicitent un siège au gouvernement. Un sondage de l’institut Sotomo montre qu’une nette majorité des votants est favorable à une nouvelle répartition politique des sept sièges du Conseil fédéral. Aujourd’hui, l’UDC, le PLR et le PS en comptent chacun deux, un siège étant occupé par Le Centre. (MUL) Guerre en Ukraine: débat sur les munitions suisses La Suisse ne fournit ni armes, ni munitions aux pays belligérants. En outre, elle interdit aux pays tiers de réexporter des armes et munitions produites en Suisse. L’Allemagne voudrait toutefois pouvoir livrer des munitions suisses à l’Ukraine. Jusqu’ici, la Suisse a refusé de donner son accord. Mais la Commission de la politique de sécurité du Conseil national remet en question l’interdiction de réexportation. En janvier, elle a proposé de l’assouplir, notamment dans les conflits que le Conseil de sécurité ou l’Assemblée générale de l’ONU jugent contraires au droit international. (MUL) Nouveau parc naturel régional Un nouveau parc naturel régional verra le jour dans le val Calanca (GR). Les quatre communes concernées ont approuvé le projet en janvier. Cette petite vallée italophone des Grisons deviendra ainsi le premier parc naturel régional du sud de la Suisse. À l’origine, un nouveau grand parc national aurait dû être créé dans la région, le parc Adula. Mais l’opposition politique a eu raison du projet. Le parc naturel régional qui verra le jour est ce qu’il reste du projet de l’Adula. Les parcs naturels régionaux ne sont pas des réserves naturelles au sens strict, mais ont aussi pour objectif de favoriser le développement économique durable. (MUL) Justine Mettraux Avec Justine Mettraux, les Suisses découvrent que les femmes peuvent aussi naviguer au plus haut niveau. Agée de 36 ans, la Genevoise participe depuis le 15 janvier à l’Everest de la navigation en équipe: The Ocean Race. Six mois en mer sur un IMOCA, monstre de 60 pieds qui plane sur des foils. Dans cette course autour du monde avec escales, les organisateurs ont imposé la présence d’une femme par équipage de cinq personnes. «Non seulement, Justine Mettraux possède un excellent niveau, mais la présence d’une femme peut apporter une approche plus fine, utile à la navigation», nous explique un connaisseur. Le destin de cette Genevoise, initiée à la navigation sur le Léman, est singulier. Et c’est vrai pour toute sa famille, puisque ses deux sœurs et ses deux frères sont tous des marins de haut niveau ! «Mon père, qui nous a élevés seul, nous a fait confiance dans tout», raconté Justine Mettraux. De la confiance, il en faut pour s’élancer seule sur l’Atlantique. C’est ce qu’a fait Justine en 2013, terminant deuxième de la Mini Transat. Lors de la dernière Route du Rhum, la navigatrice de Versoix a terminé 7ème sur son IMOCA, après avoir tutoyé la tête de la course. Prochaine étape, le Vendée Globe, en 2024. Un tour du monde en solitaire. La Suissesse régatera à armes égales avec ses concurrents. Car dans une course de ce type, ce n’est pas la masse musculaire des navigateurs qui fait la différence, mais l’expérience de la régate, de la mer, et la capacité à réparer son bateau. Justine cumule ces atouts. Son défaut ? Une certaine réserve, qui fait qu’elle n’est pas du genre à poser sur une plage avec son copain pour un magazine. En revanche, elle milite pour ouvrir l’accès à la voile aux femmes. STÉPHANE HERZOG Revue Suisse / Mars 2023 / N°2 8 Sélection Nouvelles
Suisse. En plaine, les noisetiers ont fleuri dès la mi-janvier. Il n’a pas fallu beaucoup chauffer les logements, et les réservoirs de gaz européens sont restés plus pleins que prévu. En outre, les lacs de barrage suisses ont conservé un niveau d’eau supérieure à la moyenne après les pluies abondantes de l’automne. L’énergie hydraulique contribue à la sécurité de l’approvisionnement en Suisse. C’est la raison pour laquelle les responsables des centrales électriques ont conservé une réserve d’eau stratégique dans les lacs de retenue cet hiver. Ainsi, on est assuré de pouvoir produire de l’électricité pour encore au moins 24 jours même au début du printemps. Malgré l’énergie hydraulique, la Suisse est contrainte d’acheter de THEODORA PETER À l’automne encore, la Suisse se préparait à de rudes mois d’hiver, dans des logements peu chauffés et des villes peu éclairées. Le Conseil fédéral prescrivait à la population d’économiser l’énergie et préparait un plan d’urgence. Dans le pire des cas, la consommation d’électricité aurait été limitée, et des entreprises auraient dû fermer. En janvier déjà, un tel scénario paraissait improbable, et il ne s’est pas produit jusqu’à la clôture de la rédaction de ce numéro de la «Revue». L’une des raisons en est la météo: la première moitié de l’hiver a été relativement douce dans toute l’Europe. À Noël, le thermomètre a grimpé jusqu’à la température printanière de 15 °C en 9 Une météo clémente pour traverser un hiver de crise La crise énergétique en Europe a aussi un impact sur l’approvisionnement en Suisse. Cet hiver, les pénuries redoutées ne se sont pas produites, grâce aux températures clémentes et aux lacs de barrage bien remplis. Mais le danger d’un manque d’électricité perdure. Approuvée à la hâte et construite à toute vitesse: la centrale électrique d’urgence de Birr. Au besoin, elle peut fournir de l’électricité à 400 000 foyers. Photo: Keystone l’électricité à l’étranger pendant le semestre d’hiver, notamment à des centrales nucléaires françaises. Étant donné qu’en automne, la moitié de ces centrales étaient en cours de révision, on craignait des difficultés d’approvisionnement. Cependant, la plupart des centrales françaises ont pu redémarrer à temps. Des centrales de réserve en cas d’urgence Pour pouvoir affronter l’urgence d’une pénurie d’électricité, le Conseil fédéral avait déjà décidé, l’été dernier, de construire une centrale de réserve. L’installation qui a très rapidement vu le jour à Birr (AG) peut être alimentée, au choix, par du gaz, du pétrole ou de l’hydrogène. Les huit turbines mobiles affichent une puissance totale de 250 mégawatts. Elles pourraient fournir de l’électricité à près de 400 000 foyers. Cette centrale électrique temporaire est prête à l’emploi depuis la fin de février et pourra être utilisée au besoin jusqu’en 2026. La centrale thermique de Cornaux (NE) possède une autre réserve pouvant atteindre 36 mégawatts. Même si l’urgence n’est pas survenue jusqu’ici, les autorités n’ont pas encore levé l’alerte. D’après les experts, l’approvisionnement sera plus compliqué lors de l’hiver 2023/2024. Si l’Europe a encore pu se fournir en gaz russe l’an dernier, ce ne sera plus le cas cette année, la Russie étant visée par des sanctions en raison de la guerre en Ukraine. La recherche de sources d’énergie de substitution est aussi une course contre la montre. La consommation d’énergie actuelle en Suisse: revue.link/dashboard Revue Suisse / Mars 2023 / N°2 Nouvelles
SUSANNE WENGER Les exorcismes servent à délivrer les gens du Mal et d’une supposée possession démoniaque. En dépit des Lumières, ils existent encore, y compris dans une Suisse toujours plus sécularisée. Au diocèse de Coire, c’était le vicaire épiscopal Christoph Casetti qui les menait à bien. Il est décédé en 2020. Le diocèse a alors renoncé à repourvoir son poste, comme il l’a annoncé à la fin de l’an dernier. L’évêque Joseph Maria Bonnemain a justifié personnellement sa décision dans une émission de la radio suisse. «Nous sommes tous des êtres humains, avec nos forces et nos faiblesses», a-t-il déclaré. Pour les situations difficiles, il existe des «solutions normales, c’està-dire médicales, psychologiques et psychothérapeutiques». Selon lui, il est donc inutile d’y rechercher des «causes secrètes». Le diocèse de Coire, sis dans le chef-lieu du canton des Grisons, fait partie de l’Église catholique romaine, l’une des trois Églises nationales de la Suisse. Âgé de 74 ans, Joseph Bonnemain le dirige depuis deux ans; il a été nommé par le pape François. Avant de se consacrer à la théologie, Joseph Bonnemain a obtenu un diplôme de médecin. En tant que prêtre, il a été aumônier d’hôpital dans le canton de Zurich. À la radio, il a déclaré qu’au cours de toute sa carrière spirituelle, il n’avait jamais rencontré quelqu’un nécessitant un grand exorcisme. Les fidèles à l’âme tourmentée ont besoin, selon lui, «de soutien, de prière, d’offices adaptés, mais pas forcément d’un exorcisme». Eau bénite et crucifix En biffant le poste d’exorciste, le nouvel évêque de Coire a mis fin à un service pour lequel le diocèse était jusque-là connu loin à la ronde. Certains observateurs relient sa décision à la lutte d’influence que se livrent depuis plus de 30 ans conservateurs et forces réformatrices au sein de l’évêché. Deux des prédécesseurs de Bonnemain, les évêques Wolfgang Haas (en exercice de 1988 à 1997) et Vitus Huonder (de 2007 à 2019), étaient extrêmement conservateurs et divisaient l’opinion. Comparé à eux, l’actuel évêque est réputé ouvert et prêt au dialogue. Rome lui aurait confié la mission de combler les fossés existant au sein du diocèse, qui compte Le diocèse de Coire biffe le poste d’exorciste Ces dernières années, le diocèse de Coire avait à son service un exorciste afin de délivrer les fidèles des supposés démons qui les hantaient. L’exorciste est mort, et son poste disparaît avec lui. Le nouvel évêque affirme que pour les âmes tourmentées, il existe des thérapies. près de 700 000 catholiques et englobe plusieurs cantons ruraux et la métropole de Zurich. La tradition de l’exorcisme dans l’Église catholique est ancienne. Il existe un petit exorcisme et un grand exorcisme. Le premier est constitué d’une prière, le second obéit à un rituel remontant au XVIIe siècle. Au cours de celui-ci, l’exorciste enjoint au démon de quitter le corps de la personne considérée comme possédée. Outre la prière, il utilise des instruments comme de l’eau bénite et Le chanoine Christoph Casetti († 2020), surnommé «le chasseur de démons le plus connu de Suisse», a été le dernier exorciste du diocèse de Coire. Photo Keystone Revue Suisse / Mars 2023 / N°2 10 Société
côtistes et charismatiques proposent également des rituels de délivrance en Suisse. Et un officier de l’Armée du Salut du canton de Zurich offre lui aussi de tels services, attirant à lui de nombreux intéressés. Dans plusieurs branches de l’islam, l’exorcisme est connu sous le nom de «ruqya», et il est également pratiqué en Suisse, note Georg Schmid. Qui mentionne, par ailleurs, le boom des offres ésotériques ou néochamaniques pour chasser les esprits du Mal des habitations. Pas de monopole Il n’est pas rare que les gens aient tour à tour recours aux services de différentes personnes, relate Georg Schmid: «Ce type de ‹parcours› ne plaide pas en faveur de l’efficacité de la pratique exorciste.» Ce qui est certain, c’est qu’en matière d’exorcisme, l’Église catholique n’a pas le monopole en Suisse. Et sous sa forme ancienne, le rituel n’est plus proposé à l’évêché de Coire. Le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg ainsi que celui de Bâle proposent en revanche toujours des services de délivrance. En Suisse romande, deux prêtres nommés par l’évêque pratiquent l’exorcisme, et à Bâle, cette charge revient à l’évêque auxiliaire émérite, Martin Gächter. Les deux diocèses insistent sur le fait qu’ils travaillent en étroite collaboration avec des psychiatres. Interviewé par le portail d’actualités «kath.ch», Martin Gächter relate qu’il commence par écouter les personnes tourmentées qui font appel à lui avant d’effectuer pour elles une prière de délivrance. En 30 ans, il n’a pratiqué qu’un seul grand exorcisme. Quinze séances ont été nécessaires pour délivrer une femme de ses démons. des crucifix. En Suisse, on pratique davantage de petits exorcismes que de grands, si tant est qu’on en pratique. Y sont habilités les prêtres nommés par un évêque. Au diocèse de Coire, Christoph Casetti était l’exorciste en chef. Son avis mortuaire indique qu’il remplissait officiellement cette fonction, parmi d’autres, depuis 2014. Des voix critiques Une station de radio allemande a un jour taxé Christoph Casetti de «chasseur de démons le plus connu de Suisse». Lui-même a défendu plusieurs fois publiquement les rituels catholiques face aux voix critiques qui s’élevaient au sein et en dehors de l’Église. Et qui reprochaient au diocèse de Coire d’entretenir par l’exorcisme une vision du monde traditionaliste et autoritaire. Un théologien lucernois déclarait en 2017 à la télévision suisse que le diable avait toujours été l’un des moyens de pression de la «pédagogie noire» de l’Église. Des psychiatres redoutaient que les croyants atteints de maladies psychiques renoncent aux thérapies qui avaient fait leurs preuves. Christoph Casetti leur opposait qu’un prêtre n’avait le droit d’envisager un exorcisme que lorsque toute maladie était exclue. Il rejetait aussi l’étiquette d’obscurantiste moyenâgeux qu’on lui prêtait. Les exorcismes, disait-il, sont nécessaires à toute époque pour contrer les «puissances diaboliques»: Jésus déjà, soulignait-il, «guérissait et délivrait». L’exorciste de Coire disait recevoir chaque mois des dizaines de demandes de personnes qui se sentaient possédées par un esprit maléfique. Et pas seulement des fidèles du diocèse, mais aussi de nombreux croyants d’Allemagne. Un spécialiste salue la décision de l’évêque Pour Georg Schmid, spécialiste en sciences religieuses, l’évêché de Coire était un «haut lieu de l’exorcisme», qui attirait tous les individus à la recherche d’un exorcisme dans l’espace germanophone. Georg Schmid dirige le centre d’information évangélique Relinfo, près de Zurich, qui conseille des personnes de toute orientation religieuse. Relinfo salue la décision de l’évêque de Coire de supprimer le poste d’exorciste officiel: «Quand des gens se sentent accablés par des esprits maléfiques et s’adressent à l’Église, ils sont nettement mieux aidés, d’après notre expérience, par un accompagnement spirituel que par des rituels d’exorcisme.» Ces dernières années, Relinfo a reçu un nombre croissant de questions sur l’exorcisme ou les «services de délivrance», comme on nomme les activités visant à chasser les esprits maléfiques. D’après Relinfo, cette hausse est en partie due à l’arrivée de migrants issus de pays où la croyance aux esprits est répandue. Cependant, des Églises libres pentePar sa décision de supprimer le poste d’exorciste, l’évêque de Coire, Joseph M. Bonnemain, se démarque aussi de ses prédécesseurs très conservateurs. Photo Keystone Revue Suisse / Mars 2023 / N°2 11
David Bourliouk: En ville, hiver. Non daté. Huile sur toile. Kliment Redko: La laure des Grottes de Kiev. 1914. Huile sur toile. Wilhelm Kotarbinski: Près de l’autel. Non daté. Huile sur toile. Youli Klever (Julius von Klever): Coucher de soleil hivernal. 1885. Huile sur toile. Tous les tableaux: Galerie nationale d’art de Kyiv. © ProLitteris, Zürich Revue Suisse / Mars 2023 / N°2 12 Images
De l’art ukrainien en exil en Suisse La guerre de la Russie contre l’Ukraine menace aussi le patrimoine culturel. La Galerie nationale de Kiev est l’un des musées d’art les plus anciens et les plus connus du pays. Elle abrite plus de 14000 œuvres du XIIIe au XXIe siècle. Étant donné qu’il manque un nombre suffisant d’abris pour protéger ces œuvres, les responsables de la Galerie ont recherché à l’étranger des musées susceptibles d’offrir une protection temporaire à certaines parties de cette précieuse collection. Une centaine de tableaux ont ainsi été provisoirement accueillis en Suisse par les musées d’art de Bâle et de Genève. Les deux institutions exposent chacune une cinquantaine d’œuvres avec un accent thématique différent. À Bâle, l’exposition intitulée «Born in Ukraine» permet de découvrir des tableaux de différents artistes nés sur sol ukrainien. Elle met aussi en lumière l’histoire particulière de la Galerie nationale de Kiev, qui, pendant l’époque soviétique, était connue comme un musée d’art russe. Depuis 2014, la Galerie s’est lancée dans une relecture critique de sa propre collection, qui remet en cause le cliché d’un art russe prétendument homogène. À Genève, le Musée Rath montre quant à lui une partie d’une exposition proposée à Kiev en 2022 à l’occasion du centenaire de la Galerie nationale. Intitulée «Du crépuscule à l’aube», elle permet de découvrir des toiles de peintres ukrainiens consacrées à la lumière particulière des heures nocturnes. THEODORA PETER Zinayida Serebryakova: Autoportrait. 1923-1924. Huile sur toile. «Born in Ukraine» au Kunstmuseum de Bâle, jusqu’au 30 avril 2023. www.kunstmuseumbasel.ch «Du crépuscule à l’aube» au Musée Rath à Genève, jusqu’au 23 avril 2023. revue.link/rath Revue Suisse / Mars 2023 / N°2 13
DÖLF BARBEN Kézako? On ne peut pas dire que cet objet étrange ait réellement une belle apparence. Cette figurine de papier, enveloppée d’un manteau noir et munie de deux antennes riquiqui, ressemblerait même plutôt à un bricolage d’enfant. Mais ne vous fiez surtout pas aux apparences! Ce petit bout de papier est une batterie qui a été inventée et développée en Suisse, à l’Empa, le Laboratoire fédéral d’essai des matériaux et de recherche. Et cette pile est si extraordinaire qu’en 2022, elle s’est fait une place dans la liste des meilleures inventions mondiales, qui est publiée chaque année. La liste du magazine américain «Time» compte «200 innovations qui changent nos vies», note le jury. Ces inventions couvrent tous les domaines de l’existence: un arroseur intelligent et un sèche-cheveux innovant en font partie. Tout comme une tête de microscope pour smartphone et le télescope spatial James Webb. Et, au milieu de cela, dans la catégorie «Experimental»: la petite pile suisse en papier, d’allure insignifiante et quelque peu informe. Il est certain que le jury a été impressionné par le petit accumulateur d’électricité de l’Empa, puisqu’il l’a classé non dans la catégorie des gadgets techniques, où l’on trouve, par exemple, des écouteurs que l’on peut porter en nageant ou un chauffe-biberon de voyage. Il ne l’a pas non plus classé dans la catégorie des objets amusants, tels qu’un jardin d’intérieur pour les débutants ou un ours en peluche qui vous prend dans ses bras. La batterie en papier est l’une des rares inventions que le jury a qualifiées de «véritable avancée», comme notamment le test respiratoire de détection du coronavirus et la nouvelle fusée de la NASA, l’agence spatiale Le petit papier prodigieux du magicien du bois Comment une minuscule batterie provenant de Suisse s’est fait une place dans la liste des meilleures inventions mondiales. américaine. Un petit bout de papier à côté d’une fusée spatiale? Ce qui fait en réalité la grandeur de la minuscule invention est révélé par la légende qui accompagne la photo de la pile sur le site de «Time»: «Réduire les déchets électroniques». Voilà le nerf de la guerre. Le papier, mais aussi les autres composantes de la batterie, sont biodégradables. Cette invention n’est donc pas seulement une «véritable avancée», c’est une véritable avancée écologique. Elle est signée Gustav Nyström et son équipe. D’origine suédoise, Nyström dirige le département «Cellulose & Wood Materials» de l’Empa depuis 2018. Les matières reines de son laboratoire sont donc la cellulose, paroi cellulaire des végétaux, et le bois, qui sont des matières biologiques durables. Pendant son doctorat déjà, Gustav Nyström étudiait les matériaux naturels conducteurs. Rapidement, il conçoit «de premières idées» pour fabriquer un accumulateur d’électricité biodégradable. Et à l’Empa, il trouve l’emploi idéal pour ce faire, «car ici, au fond, tout tourne autour du renouvelable et du durable», dit-il. Sur le site web de l’Empa, on trouve un portrait de lui, intitulé «le magicien du bois». En réalité, il y a belle lurette que l’Empa n’est plus simplement l’«Institut d’essai des matériaux de construction», le nom qu’il portait lors de sa création en 1880. Au cours de ces dernières décennies, c’est devenu un organisme de recherche extrêmement ramifié. La mission clé qu’il s’est fixé est d’effectuer des recherches qui ont une utilité pour l’économie, mais aussi pour la société. Cet aspect sociétal semble même être prioritaire pour Gustav Nyström. S’il est physicien, son discours ressemble plutôt à celui d’un scientifique environnemental. Il donne volontiers des explications au sujet du fonctionPlus haut, plus grand, plus rapide, plus beau? À la recherche des records suisses qui sortent de l’ordinaire. Aujourd’hui: l’invention de la plus extrême des batteries. Au bout de la pincette, un objet qui a l’air d’un bricolage moyennement réussi, mais qui est l’une des meilleures inventions du monde de l’année 2022. Photo Empa Revue Suisse / Mars 2023 / N°2 14 Reportage
Une goutte d’eau comme interrupteur La batterie de l’Empa est constituée d’une petite bande de papier sur laquelle sont imprimées trois encres différentes. L’encre du recto contient des flocons de graphite et constitue le pôle positif de la batterie. L’encre du verso contient de la poudre de zinc: elle forme le pôle négatif. Une troisième encre spéciale est imprimée sur les deux faces, par-dessus les autres encres. Toute la bande de papier contient quant à elle du sel. La manière dont la batterie s’allume constitue le clou du spectacle: il suffit pour cela d’une goutte d’eau. Dès que le papier s’humidifie, le sel se dissout. Et l’électricité se propage. Tant que le papier reste sec, il conserve sa charge. Ce mode d’allumage à base d’eau a toutefois un inconvénient: la batterie ne fonctionne que tant que le papier est humide; lors d’un essai, un petit réveil a par exemple fonctionné pendant près d’une heure. Mais d’autres déclencheurs sont envisageables, tels que la pression, la chaleur ou un champ électromagnétique externe. (DB) prises ont déjà signalé leur intérêt, indique Gustav Nyström. Mais il ignore encore si cela va donner quelque chose. Ce qui est certain, en revanche, c’est que lui et son équipe poursuivront leurs recherches. Ils ont déjà bien avancé sur un supercondensateur biodégradable à base de papier. Une autre idée va dans le sens d’un écran, c’est-à-dire d’un panneau d’affichage. «Des chemins passionnants s’ouvrent devant nous», s’enthousiasme Gustav Nyström. Une dernière question pour l’inventeur du prodigieux petit papier: par quelles autres inventions de la liste du magazine «Time» a-t-il été emballé? La réponse est révélatrice: Gustav Nyström ne cite ni la voiture caméléon qui peut changer de couleur, ni l’intelligence artificielle qui peint des tableaux. Les inventions qu’il trouve «particulièrement intéressantes» sont liées au développement durable, par exemple les appareils et les méthodes permettant d’éliminer le CO2 de l’atmosphère. Vidéo (en anglais) : revue.link/empa nement de la batterie en papier (voir encadré ci-contre), mais aborde bien vite le «sujet essentiel» à ses yeux, à savoir les applications écologiques possibles et la «préservation de l’environnement». Âgé de 41 ans, il a trois enfants. Par son travail, il déclare vouloir «surtout contribuer à un meilleur avenir». Cette batterie de papier n’est pas réellement puissante. Mais ce n’est pas nécessaire. Il existe aujourd’hui toute une série d’appareils électroniques jetables nécessitant très peu d’électricité. Il peut s’agir d’appareils de diagnostic médicaux ou d’emballages dits «intelligents»: la batterie peut ainsi être intégrée à un colis, pour assurer un suivi de l’envoi, ou dans le cas de marchandises sensibles comme des vaccins, pour surveiller la température pendant l’acheminement. L’un des autres domaines d’application possibles est, selon Gustav Nyström, les «technologies portables». Il s’agit de capteurs portés à même le corps et enregistrant la fréquence cardiaque ou le taux de glycémie. Et les batteries de papier seraient idéales aussi pour les appareils de mesure utilisés en extérieur, dans la nature. Si, pour une raison ou une autre, elles ne peuvent être récupérées, cela ne pose aucun problème, car elles se désagrègent au fil du temps. À présent, la batterie de papier décollera-t-elle comme une fusée sur le plan commercial? Certaines entreGustav Nyström cherche et trouve, mais le «sujet essentiel», à ses yeux, reste la «préservation de l’environnement». Photo Empa Compostage réussi: après deux mois dans la terre, le condensateur lui aussi fabriqué par l’Empa s’est désagrégé. Seules quelques particules de carbone subsistent. La nouvelle batterie de papier se comporte exactement de la même manière. Photo Gian Vaitl / Empa Revue Suisse / Mars 2023 / N°2 15
Profitez plus, payez moins. Swiss Travel Pass : Réalisez votre achat entre le 15 avril et le 14 mai 2023 et bénéficiez d’un ou deux jours de voyage supplémentaires gratuits. Cela vous laissera plus de temps pour découvrir les plus beaux endroits de la Suisse avec le Grand Train Tour of Switzerland. MySwitzerland.com/swisstravelpass Le GoldenPass Express, le matin à Schönried dans l’Oberland bernois Gagnez des JOURS GRATUITS 15.04. –14.05.23 Gagnez des JOURS GRATUITS 15.04. –14.05.23
Tout ce qui tourne en rond 3000 Plus de 3000 ronds-points servent à ce que la circulation tourne rond en Suisse. Mais les objets qui trônent souvent en leur centre posent question: il s’agit souvent d’œuvres d’art d’un goût douteux. À tel point que certains s’amusent à recenser les plus laides. Mais il y a de l’espoir! De nombreux ronds-points d’un certain âge sont actuellement démantelés. Et avec eux, leurs œuvres d’art… particulières. 90’000’000’000 Les déchets en plastique sont un sale héritage. Mais l’héritage au sens classique du terme n’a pas d’impact direct sur les déchets: 90 milliards de francs sont transmis chaque année en Suisse d’une génération à la suivante (2020). Cette somme est colossale. Actuellement, un franc sur deux en Suisse n’est pas gagné, mais hérité. Seulement, bon nombre de Suisses n’héritent de rien du tout. 450’000’000’000 La Suisse possède d’autres fortunes géantes bien dissimulées: toutes les conduites souterraines acheminant l’eau, les eaux usées, l’électricité, le gaz et la chaleur auraient, d’après des estimations récentes, une valeur de 450 milliards de francs. Les autorités entendent à présent mieux surveiller ce «trésor souterrain» en établissant une liste nationale des conduites. 127 Les Suisses s’enorgueillissent de recycler beaucoup de choses. Mais si l’on recycle beaucoup, c’est peut-être aussi qu’on consomme beaucoup? Selon l’organisation de protection des mers OceanCare, la Suisse traverse en tout cas une «crise du plastique»: la consommation de plastique annuelle par personne s’élève à 127 kg. Il s’agit du record européen. Et sur ce volume, 95 kg ne sont pas recyclés. 55 Tout ou presque se mesure et se quantifie, même l’espoir. Avec son «Baromètre suisse de l’espoir», l’Université de Saint-Gall mesure l’espoir des Suisses. La dernière découverte (2022): plus de 55 % des Suisses se disent satisfaits et pleins d’espoir en ce qui concerne au moins leur vie personnelle. Et cet espoir grandit avec l’âge: les moins optimistes face à l’avenir sont les personnes de 18 à 29 ans. RECHERCHE DES CHIFFRES: MARC LETTAU La «Revue Suisse», le magazine des Suisses·ses de l’étranger, paraît pour la 48e année six fois par an en français, allemand, anglais et espagnol, en 13 éditions régionales, avec un tirage total de 431000 exemplaires, dont 253000 électroniques. Les nouvelles régionales de la «Revue Suisse» paraissent quatre fois par an. La responsabilité du contenu des an‑ nonces et annexes publicitaires incombe aux seuls annonceurs. Ces contenus ne reflètent pas nécessairement l’opinion de la rédaction ni celle de l’organisation éditrice. Tous les personnes enregistrées auprès d’une représentation suisse reçoivent le magazine gratuitement. Les personnes non inscrites auprès d’une représentation suisse en tant que Suisses·ses de l’étran‑ ger peuvent s’abonner (prix pour un abonnement annuel: Suisse, CHF 30.–/ étranger, CHF 50.–). ÉDITION EN LIGNE www.revue.ch DIRECTION ÉDITORIALE Marc Lettau, rédacteur en chef (MUL) Stéphane Herzog (SH) Theodora Peter (TP) Susanne Wenger (SWE) Paolo Bezzola (PB, représentant DFAE) PAGES D’INFORMATIONS OFFICIELLES DU DFAE La responsabilité éditoriale de la rubrique «Nouvelles du Palais fédéral» est assu‑ mée par la Direction Consulaire, Innova‑ tion et‑Partenariats, Effingerstrasse 27, 3003 Berne, Suisse. kdip@eda.admin.ch | www.eda.admin.eda ASSISTANTE DE RÉDACTION Sandra Krebs (KS) TRADUCTION SwissGlobal Language Services AG, Baden DESIGN Joseph Haas, Zürich IMPRESSION Vogt-Schild Druck AG, Derendingen ÉDITRICE La «Revue Suisse» est éditée par l’Orga‑ nisation des Suisses de l’étranger (OSE). Adresse postale de l’édition, de la rédac‑ tion et du sponsoring: Organisation des Suisses de l’étranger, Alpenstrasse 26, 3006 Berne. revue@swisscommunity.org Tél. +41 31 356 61 10 Coordonnées bancaires: CH97 0079 0016 1294 4609 8 / KBBECH22 CLÔTURE DE RÉDACTION DE CETTE ÉDITION 1er février 2023 CHANGEMENT D’ADRESSE Veuillez communiquer tout changement à votre ambassade ou à votre consulat. La rédaction n’a pas accès à vos données administratives. Revue Suisse / Mars 2023 / N°2 17 Chiffres suisses Impressum
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