Revue Suisse 2/2023

permet aux lecteurs, de manière émouvante, de jeter un œil dans les coulisses de la vie d’une riche famille bourgeoise de la Goldküste, rive droite «dorée» du lac de Zurich. Le roman «Gleis 4» (2013) commence ainsi: Isabelle, soignante pour personnes âgées, assiste par hasard au brusque décès d’un passant qu’elle ne connaît pas à la gare d’Oerlikon. Et, grâce à l’introduction d’une histoire policière captivante dont les ramifications s’étendent jusqu’au Canada, le récit s’avère être une réflexion poignante sur le thème des enfants placés de force, mais aussi sur la question de la discrimination des personnes d’origine afro-européenne. La foi en l’écriture Enfin, «Das Päckchen» (2017) débute par un appel étrange dans une cabine téléphonique de Berne à propos d’un mystérieux manuscrit médiéval, et entraîne ensuite le lecteur, par de savants méandres, non seulement dans le domaine de l’alpinisme, mais aussi en plein Moyen Âge; là, parmi les moines, les scribes et les copistes d’un monastère et parmi les clercs itinérants et les nonnes se noue une tendre histoire d’amour, l’une des plus belles que Franz Hohler ait jamais écrites. Et, par-dessus tout, ce texte parle de l’amour du livre, ce bien culturel unique et irremplaçable, et de la foi en l’écriture comme une possibilité infinie et inépuisable de création et d’invention, avec laquelle ni le cinéma, ni la vidéo, ni les jeux vidéo ne peuvent rivaliser. Une foi dont Franz Hohler, qui est l’un des écrivains les plus talentueux et appréciés de Suisse, n’a cessé de témoigner toute sa vie durant dans son œuvre aux multiples facettes. BIBLIOGRAPHIE: Franz Hohler; «Die Bahnhofsromane», btb-Taschenbuch, ISBN 978-2-442-77299-5, Frankfurt 2022 CHARLES LINSMAYER Pendant plusieurs dizaines d’années, Franz Hohler a promené son violoncelle sur les scènes des cabarets, montrant à son public qu’il était possible d’allier avec brio littérature, critique sociale, humour et musique dans un one-man-show captivant. Il reprend la route en 2023, mais pour d’autres types de spectacles: cette fois, c’est l’écrivain qui invite son public à une «promenade à travers toute son œuvre» à l’occasion de son 80e anniversaire. Pour un peu, on oublierait quel fabuleux romancier est aussi l’auteur des «Wegwerfgeschichten» [Histoires à usage unique, non traduit], de l’énigmatique récit «Die Rückeroberung» [La reconquête, non traduit] ou de l’inusable «Totemügerli» [non traduit]. Mais une publication récente vient nous le rappeler, pour notre plus grand plaisir: il s’agit de l’édition complète des romans parus entre 2007 et 2017, rassemblés dans un ouvrage de 640 pages intitulé «Die Bahnhofsromane» [Les romans de gare, non traduit]. Empoigner des histoires au hasard Les trois romans «Es klopft» [Ça toque, non traduit], «Gleis 4» [Voie 4, non traduit] et «Das Päckchen» [Le petit paquet, non traduit] soutiennent d’une part, avec leurs histoires surprenantes et souvent presque incroyables, la thèse exprimée par Franz Hohler en 2008 dans un recueil de nouvelles, selon laquelle «aucune chose n’est si improbable qu’elle ne puisse se produire»; d’autre part, ils reflètent la capacité de l’écrivain à empoigner des histoires par n’importe quel bout, comme au hasard, et à les entrelacer dans un récit convaincant. Dans ces trois romans, ce bout est cependant la gare: tantôt celle de Bâle, tantôt celle de Zurich, tantôt celle de Berne, une gare comme une scène qui relie ces trois livres en Des romans de gare qui n’en sont pas Avec le recul, on constate que les romans de Franz Hohler «Es klopft», «Gleis 4» et «Das Päckchen» forment une œuvre complète, dont le pivot thématique est la gare. étant rien d’autre qu’un lieu de passage fortuit pour les voyageurs. Un œil dans les coulisses Dans le roman «Es klopft» (2007), une inconnue toque à la vitre d’un train qui part de la gare de Bâle et dans lequel a pris place l’oto-rhino-laryngologiste Manuel Ritter, qui rentre à Zurich après un congrès. Il ne saisit pas ce que veut cette femme, mais quelques jours plus tard, elle surgit dans son cabinet et le pousse à lui faire un enfant. L’incroyable imbroglio qui naît de ce curieux incident ne se résume cependant pas à une intrigue policière palpitante, mais «Mon récit sur ce manuscrit médiéval parle du respect du passé. C’est un sujet qui m’a toujours passionné. Un grand nombre d’événements actuels ont un lien avec des histoires qui se sont produites par le passé, et que nul d’entre nous n’a vécues. (...) Dans mon livre, un compte très ancien est réglé. Probablement comptons-nous tous un peu trop sur nos vies bien organisées, informatisées et planifiées.» Franz Hohler en 2017, dans une interview consacrée au roman «Das Päckchen» Franz Hohler Revue Suisse / Mars 2023 / N°2 20 Littérature

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