STÉPHANE HERZOG «C’est pour lui un triomphe», commente Nenad Stojanović, politologue à l’Université de Genève. Cette élection est arrivée après une longue traversée du désert durant laquelle Pierre Maudet aura subi une déroute: exclusion de son parti, démembrement du département qu’il conduisait au Conseil d’État, condamnation pénale pour acceptation d’un avantage, rejet de la part des médias suisses. À l’origine de ce scandale, on trouve donc un voyage à Abu Dhabi effectué en 2015 aux frais d’un sultan. Le tout pour une valeur estimée à plus de 50’000 francs, somme que Pierre Maudet devra restituer au canton de Genève en vertu de la peine fixée par la Chambre pénale d’appel et de révision (CPAR) de Genève le 26 mai 2023. Celle-ci a aussi condamné le conseiller d’État fraîchement réélu à 120’000 francs d’amende avec sursis. Pierre Maudet «a accepté un avantage indu, en s’accommodant du risque qu’il lui eut été octroyé dans le but d’influencer son activité de conseiller d’État», estime la CPAR. Démarrée en mai 2018 avec les révélations de «La Tribune de Genève», l’affaire Maudet a connu un retentissement national. D’autant qu’elle est tombée après l’élection du Conseil fédéral de 2017, où le Genevois avait frôlé l’exploit. «Politiquement c’était grave et dans un cas pareil, 99% des élus auraient démissionné», estime Nenad Stojanovic. Surprise, colère, admiration L’annonce de sa réélection – qui plus avec l’élection au Grand Conseil de onze députés du mouvement Liberté et justice sociale, fondé par ses soins – a provoqué un mélange de surprise, de colère et d’admiration. «C’est extraordinaire qu’il ait été réélu», commente Lukas Golder, politologue et spécialiste des médias, qui codirige l’institut de recherche gfs.bern. À Berne, les élus nationaux n’ont pas poussé de grands cris face à ce retour de Maudet, en se bornant plus ou moins à relever le droit des électeurs à choisir leurs élus. En revanche, la NZZ n’a pas hésité à comparer Pierre Maudet à Donald Trump, taxant l’affaire de pure «Genfereï», terme qui décrit des affaires alambiquées jugées typiques de ce canton. En fait, les politologues suisses mettent d’abord en avant le profil extraordinaire de Pierre Maudet pour expliquer sa réélection. Intelligence, résilience, sens de la Pierre Maudet, politicien suisse condamné mais réélu Il a menti à plusieurs reprises, accepté un voyage royal et a été condamné pénalement. Pierre Maudet a pourtant été réélu au gouvernement cantonal genevois. Cette réélection fait jaser, notamment en Suisse alémanique. Les politologues estiment que ce tour de force est lié à son charisme. communication. «Les électeurs seraient aussi prêts à excuser un tel profil dans un autre canton, s’il existait», estime Lukas Golder, qui rappelle qu’une élection au système majoritaire permet à des personnalités de ce type de ratisser large. «En Suisse romande, on a aussi cette image, mais cette histoire de Genfereï est un mythe», réagit Nenad Stojanovic, qui rappelle que des affaires ont aussi lieu en Suisse alémanique et au Tessin. Son collègue de l’Université de Genève Pascal Sciarini souligne que les Alémaniques ont eux-mêmes été séduits par Maudet à l’occasion de l’élection du Conseil fédéral de 2017. «Il a fait une excellente campagne et il n’est pas passé loin de l’élection. Donc pas sûr que dans un autre canton urbain, pareil scénario n’aurait pas pu avoir lieu». Le plus grand scandale politique depuis Kopp «L’affaire Maudet est la plus grande crise politique suisse depuis la démission d’Elisabeth Kopp en 1989», a écrit le correspondant romand du Tages Anzeiger, Philippe Reichen. «Kopp a menti dans l’urgence et n’a pas été condamnée, au contraire de Maudet, qui a menti sur le long terme», précise le codirecteur du GfS Berne. La politique suisse serait-elle sexiste? «Après sa démission, Elisabeth Kopp n’a pas tenté de rebondir, commente Lukas Golder. En revanche, on trouve plusieurs cas d’hommes politiques suisses ayant fauté et qui ont eu droit à leur seRetour au sommet après la chute: Pierre Maudet est acclamé par ses partisans après sa réélection au Conseil d’État de Genève le 2 avril de cette année. Photo Keystone Revue Suisse / Août 2023 / N°4 26 Politique
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