Revue Suisse 2/2024

5 THEODORA PETER En cas de crise, pourriez-vous renoncer à votre café du matin? En Suisse, nul ne doit se poser cette question, car l’État a pris ses précautions: les importateurs possèdent une réserve de plus de 18 000 tonnes de grains de café. Ainsi, en cas de rupture d’importation, la population aurait accès à son précieux breuvage pendant trois mois. Mais le café, qui n’a guère de valeur nutritive, est-il vraiment d’une importance aussi vitale que le blé ou le riz? Cette question, les autorités se la sont posée pour la dernière fois lors d’un réexamen de la situation en 2019, et elles ont prévu de biffer cette denrée de luxe de la liste nationale des réserves obligatoires. Provoquant une levée de boucliers dans la branche, mais aussi dans les cercles de consommateurs, car les Suisses font partie des plus grands buveurs de café au monde. Finalement, le Conseil fédéral a laissé le café sur la liste des biens d’importance vitale, notamment pour des «raisons psychologiques». Nourriture et chaleur Définir les biens d’importance vitale n’est «pas une science exacte», note Peter Lehmann, responsable de la section Stockage à l’Office fédéral pour l’approvisionnement économique du pays. En ce qui concerne les aliments, le nombre de calories est le critère déterminant: les autorités tablent sur un apport d’énergie moyen d’environ 2300 calories par jour et par personne. C’est la raison pour laquelle on stocke des dizaines de milliers de tonnes d’aliments conservables: riz, blé, huiles et graisses alimentaires, sucre et matières premières pour la production de levure. Font également partie des réserves stratégiques les engrais et les semences de colza pour l’agriculture. Ces réserves couvrent les besoins alimentaires de la population suisse pendant trois à quatre mois. La Confédération ne possède pas ses propres stocks. Ceux-ci sont constitués et gérés par les secteurs concernés, par exemple par les moulins à grain qui transforment le blé en farine. «L’avantage est que les marchandises sont déjà au bon endroit en cas de besoin», souligne Peter Lehmann. Les 300 entreprises qui participent au stockage des réserves reçoivent une indemnisation, qui est financée par des taxes, notamment à l’importation: chaque habitant débourse 13 francs par année pour cela. En cas de crise, il ne suffit pas d’avoir le ventre plein. «Un logement chauffé fait également partie des besoins fondamentaux», explique le représentant des autorités. Les stocks obligatoires contiennent donc aussi du mazout et des carburants comme l’essence, le gazole et le kérosène. Les réserves sont libérées en cas de problème de livraison ou de lacunes dans les chaînes d’approvisionnement. En 2015, par exemple, une grève en France a provoqué une pénurie de kérosène à l’aéroport de Genève. En 2018, une sécheresse estivale a entraîné des problèmes de livraison d’huile minérale: le niveau Peter Lehmann, responsable de la section Stockage à l’Office fédéral pour l’approvisionnement économique du pays. Photo DR De la caféine en cas de crise: les importateurs, comme ici La Semeuse à La Chaux-de-Fonds, stockent une réserve obligatoire de 18 000 tonnes de café vert au total. Photo Sophie Stieger 13Photo des eaux du Rhin étant très bas, les navires de transport ne pouvaient plus emporter qu’un tiers de leur cargaison. En 2021, enfin, il a fallu puiser de l’engrais dans les réserves en raison de problèmes d’approvisionnement sur le marché mondial. Dans le secteur des engrais, l’agriculture suisse dépend à 100 % des importations. La pandémie a fait apparaître des lacunes On prélève régulièrement des produits thérapeutiques dans les réserves stratégiques. De 2019 à 2022, il a fallu puiser à 416 reprises dans les stocks obligatoires pour éviter une pénurie de médicaments, notamment d’antibiotiques. Au début de l›année 2024, les autorités ont pris des mesures supplémentaires. Ainsi, l’obligation de stockage et de notification a été étendue à d’autres produits. L’objectif est de réduire le risque de pénuries d’approvisionnement. Pendant la pandémie de coronavirus, de sérieuses lacunes sont apparues dans l’approvisionnement du pays: la Suisse a manqué de masques d’hygiène, mais aussi d’éthanol, qui permet de fabriquer des désinfectants. Jusqu’en 2017 encore, la Régie fédérale des alcools avait cette matière première en stock. Puis, dans le cadre d’une libéralisation, l’organe a Revue Suisse / Mars 2024 / N°2

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