Revue Suisse 3/2024

L’annonce de la sortie du troisième album solo de Boris Blank n’était pas très prometteuse. Le génie du son de Yello, considéré pendant des dizaines d’années comme l’un des principaux pionniers de la musique électronique, allait composer de la musique pour les espaces wellness? Des sons que les hautparleurs allaient susurrer, mêlés aux chants d’oiseaux exotiques, dans la vapeur à 60° aux senteurs d’eucalyptus douceâtres des saunas mixtes? Oui, c’est exactement ce que Boris Blank prévoyait de faire. Son nouvel album «Resonance» compterait douze morceaux et répondrait à une commande des bains thermaux zurichois Fortyseven. Un projet qu’il a réalisé sans barguigner. Au lieu de se conformer aux rythmes des percussions typiques de Yello et de ses sons synthétiques reconnaissables entre mille, il s’est aventuré sur le terrain de l’ambient éthéré. Selon le communiqué de la maison de disques, les «sons méditatifs» de ces douze morceaux étaient voués à assurer «bien-être et relaxation». Misère! D’après Boris Blank lui-même, l’album lui a été inspiré par «son goût pour les grands espaces comme les halles d’usine, les garages souterrains ou les montagnes et pour la résonance acoustique que ces lieux engendrent». Déjà mieux! Et le résultat? «Resonance» est effectivement beaucoup plus ambient et planant que ce à quoi Boris Blank et Yello nous avaient habitués. De sons pulsants et de beats rapides il n’y a presque pas trace, sauf dans le morceau «Vertigo Heroes», qui ouvre l’album. Celui qui lui donne son nom, quant à lui, séduit par une certaine touche rétro, tout en contenant hélas aussi des mélodies kitsch au piano. Des morceaux comme «Ninive», «Najade», «Mirage» et «Time Bridges» font durer leur clapotis sur de longues minutes, sombrant presque dans le gloubi-boulga ésotérique. Des nappes sonores infinies font émerger des images mentales de nuages blancs et de ciels bleus, de vols en altitude. Mais ils déploient totalement l’effet méditatif souhaité. Parfaits lorsqu’on patauge dans l’eau thermale. Et les voilà enfin, sur «North of Eden», les oiseaux des tropiques et le clapotis du ruisseau, ces sons que l’on peut entendre même sans Boris Blank dans tous les espaces wellness dignes de ce nom. Au point d’en être écœuré. Ou du moins d’avoir envie de sortir du bain et de remettre sur la platine le bon vieux «Bostich» de Yello, une fois rhabillé et bien réveillé dans son salon. MARKO LEHTINEN Les préjugés négatifs liés à la vieillesse sont très répandus dans notre société obsédée par la jeunesse et la performance, mais ils reposent essentiellement sur l’ignorance et des peurs diffuses: voici ce que démontre Pasqualina Perrig-Chiello, psychologue du développement, dans son nouveau livre. La professeure émérite de l’Université de Berne explique que vieillir implique de perdre certaines choses, oui, mais aussi d’en gagner d’autres. Et donne l’occasion d’un développement personnel. Au cours de l’histoire, aucune génération n’a bénéficié d’autant de possibilités qu’aujourd’hui pour façonner sa vieillesse, souligne l’autrice. Cela est dû à l’allongement de l’espérance de vie, à l’augmentation du nombre d’années passées en bonne santé et à l’accroissement des libertés individuelles. De façon intéressante, Pasqualina Perrig-Chiello éclaire les trois grands passages que chacun franchit à partir du milieu de la vie. Le passage à la deuxième moitié de la vie, à environ 40 ans. La transition vers le troisième âge, au moment de la retraite, que la loi fixe à 65 ans en Suisse. Et puis le passage à la vieillesse, à environ 80 ans. «Ce sont des phases d’inquiétude, de recherche de repères et de vulnérabilité accrue, dans lesquels on se défait de sa vieille identité sans avoir trouvé la nouvelle encore», écrit l’experte. Des questions se posent: comment faire quand mon corps vieillit? Que sont devenus mes grands rêves? Qui suis-je sans mon métier? Comment gérer le fait d’avoir besoin d’aide? Et, enfin: quel est le regard que je porte sur ma vie? Le titre de l’ouvrage de Pasqualina Perrig-Chiello, «Own your Age», est déjà un encouragement à oser définir les changements qui interviendront de toute façon. La psychologue propose pour ce faire des stratégies très concrètes pour chaque passage de l’existence. Elle s’appuie sur des résultats scientifiques auxquels elle a contribué au fil des années. Disséminés ça et là, des exemples de cas montrent comment des femmes et des hommes ont trouvé leur voie – pour leur propre bien, mais aussi souvent pour le bien des autres. Pasqualina Perrig-Chiello propose de nombreux points de repère, qui placent le développement personnel dans le contexte sociétal. Son ouvrage est profond, mais se lit facilement. Il s’oppose aux assignations péjoratives qui émanent du discours public. Par exemple lorsque le changement démographique n’est abordé que sous l’angle de la crise, ou qu’on lâche un «OK boomer» méprisant. D’après l’autrice, la recherche prouve qu’intérioriser les préjugés négatifs liés à la vieillesse cause du tort à la santé. Autrement dit: se libérer des stéréotypes ne peut que faire du bien. SUSANNE WENGER Un génie du son pour les espaces wellness Vieillir, c’est se redéfinir BORIS BLANK: «Resonance» (Universal, 2024) PASQUALINA PERRIG-CHIELLO: «Own your Age. Stark und selbstbestimmt in der zweiten Lebenshälfte», Beltz Verlag, 2024, 285 pages, 32.50 francs Revue Suisse / Mai 2024 / N°3 21 Lu pour vous Écouté pour vous

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