5 ton du Jura, qui gagnera ainsi 7 500 habitants. Ce sera là, peut-être, le point final du conflit épique qui a entouré la Question jurassienne. La création du canton du Jura a montré «la force que peut avoir la démocratie», a déclaré la conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider – qui habite Les Breuleux, non loin du Noirmont – dans une interview consacrée au 50e anniversaire du canton : «La liberté des peuples, la liberté de prendre des décisions soi-même est quelque chose d’essentiel pour le Jura et ses habitants.» À vélo dans les Franches-Montagnes, quand on lutte – face au vent, naturellement – sur des chemins déserts passant de temps à autre à proximité d’une ferme isolée pour rejoindre Saignelégier, on prend conscience que la brève définition de l’essence jurassienne donnée par la conseillère fédérale ne s’applique pas qu’à la politique, mais aussi pour la liberté en vertu duquel les grandes puissances européennes, après la victoire sur Napoléon et le congrès de Vienne, avaient adjugé le Jura – qui appartenait auparavant à l’évêché de Bâle – aux Bernois. En recevant ce territoire excentré, Berne s’était vu dédommagé du fait d’avoir dû céder ses possessions en Argovie et en pays de Vaud. Mais ce rattachement annonçait déjà les conflits, la discrimination et les poussées autonomistes qui suivraient, car le petit territoire catholique et francophone du Jura se retrouvait minoritaire au sein du grand canton de Berne, protestant et germanophone. Avec le recul, les politologues jugent que la situation du Jura, avant la votation historique de 1974, aurait même pu déboucher sur une guerre civile dans cet îlot de paix qu’était alors la Suisse. Ils n’exagèrent pas: à partir des années 1960, l’organisation séparatiste du Rassemblement jurassien, et sa section jeune, le Groupe Bélier, orchestraient la résistance contre Berne avec tant de virtuosité et de fureur qu’il s’en fallut souvent d’un cheveu que le conflit dégénère. Les Jurassiens faisaient forte impression en mettant le feu à des manuels de défense civile sur la Place fédérale et en prenant d’assaut la salle du Conseil national. Plus tard, des groupes dissidents radicaux allumèrent des incendies criminels. En juin 1974, toutefois, une décision de principe pacifique et démocratique en faveur de l’autodétermination jurassienne parvint à s’imposer. Mais cette décision ouvrait de nouvelles plaies. Car seuls les trois districts du nord – Franches-Montagnes, Porrentruy et Delémont – se déclaraient favorables à la création d’un nouveau canton, les districts du Jura-Sud demeurant fidèles au canton de Berne. La force de la démocratie En 1979, quand le nouveau canton fut créé et entra dans la Confédération, le Jura était douloureusement divisé en deux. Dans les esprits et les cœurs de la population jurassienne, les fronts étaient restés irréconciliables ou s’étaient même durcis. Des attentats et des provocations éclatèrent, par exemple le vol audacieux de la légendaire pierre d’Unspunnen (83,5 kilos) dans l’Oberland bernois, une pierre qui fait l’objet d’une compétition traditionnelle de lancer sportif. Au début de 2026, le district bernois de Moutier rejoindra lui aussi tout de même le canGuerre des symboles: en 2001, l’actrice Shawne Fielding présente la pierre d’Unspunnen, qui vient d’être retrouvée. En 1984, les séparatistes l’avaient volée, cachée et ornée de messages politiques. Photo Keystone L’opposition des séparatistes jurassiens au canton de Berne a été bruyante et véhémente. Ici, en 1972, le «Groupe Bélier» manifeste à Berne pour un canton du Jura indépendant. Photo Keystone Revue Suisse / Octobre 2024 / N°5
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