Les hivers blancs réchauffent le cœur, mais ils sont de plus en plus rares À Huttwil, un petit journal résiste à la disparition du journalisme local Comme un froid: le climat politique vis-à-vis de la Cinquième Suisse se glace JANVIER 2025 La revue des Suisses·ses de l’étranger
Pour l’avenir de la Cinquième Suisse Grâce à un legs, permettez à lʼOrganisation des Suisses de lʼétranger de soutenir et représenter les droits des Suisses.ses de l’étranger. www.swisscommunity.link/legs Lisez comme sur papier. Profitez d’une version claire et lisible de la «Revue Suisse» sur votre tablette ou smartphone. L’application pour ce faire est gratuite et sans publicité. Vous la trouverez en recherchant «Swiss Review» dans votre magasin d’applications. REVUE SUISSE Les hivers blancs réchauffent le cœur, mais ils sont de plus en plus rares À Huttwil, un petit journal résiste à la disparition du journalisme local Comme un froid: le climat politique autour de la «Cinquième Suisse» se glace JANVIER 2025 La revue des Suisses·ses de l’étranger Nos partenaires : Save the Dates ! Rejoignez-nous dans ces lieux emblématiques au cœur de la capitale suisse, pour des moments de rencontres et d’échanges autour des enjeux qui vous concernent. 22 août 2025 – Kursaal de Berne 23 août 2025 – Salle du Conseil national Days © www.pexels.com Les services consulaires partout, facilement accessibles depuis vos appareils mobiles Bucarest (2022) www.dfae.admin.ch © www.pexels.com
On se serait cru dans un conte d’hiver étrange: dans la nuit du 21 au 22 novembre 2024, la Suisse a été recouverte en peu de temps d’une montagne de neige fraîche. Tout s’est arrêté un peu partout. À Lucerne, il est tombé 42 centimètres de neige. Le record de 1919 a ainsi été pulvérisé. À Berne, le trafic a été paralysé à un tel point que des petits malins ont décidé de faire du snowboard entre la gare principale et le quartier de Monbijou, situé un peu en contrebas. Du point de vue des adeptes de la glisse, les conditions étaient idéales: neige fraîche, piste impeccable. Cette neige précoce et très abondante a réveillé le souvenir du temps jadis, des hivers qui étaient et qui ne sont plus. Mais le voyage dans le temps n’a pas duré longtemps, car l’or blanc a rapidement fondu. Le début de l’hiver a finalement repris l’apparence qu’on lui connaît désormais en plaine: d’infinies nuances de gris pluie et de vert mouillé. Cet immense contraste vient souligner le constat suivant: l’hiver est en pleine mutation. L’image de carte postale d’une Suisse recouverte d’un blanc manteau appartient de plus en plus au passé, ou se transforme en décor maquillé par la neige artificielle. La situation des domaines skiables rend cette mutation particulièrement palpable: un grand nombre de remontées mécaniques situées à plus ou moins basse altitude ont dû définitivement tirer la prise ces dernières années. Les hivers sont tout simplement devenus en moyenne trop chauds. Le ski n’est plus ce sport populaire que tout le monde ou presque pouvait pratiquer non loin de chez soi. C’est ce que montre notre dossier «En profondeur» (page 4). Malgré la douceur des températures hivernales, certains éprouvent comme un froid. En décembre, le Parlement suisse a adopté un paquet d’économies radicales (page 9). Les conséquences sont lourdes, surtout pour les plus vulnérables: la Suisse baisse massivement ses dépenses pour l’aide au développement. Un vent froid souffle également en direction des Suisses de l’étranger, du moins de ceux qui ont des attentes concrètes vis-à-vis de la Suisse. Le Parlement a en effet décidé de réduire aussi les prestations en faveur de la Cinquième Suisse. Notre sondage au Palais fédéral montre que cette dernière fait actuellement l’objet d’un certain désamour politique. Vous trouverez notre «bulletin météo» à ce sujet en page 28. Et votre avis sera le bienvenu. MARC LETTAU, RÉDACTEUR EN CHEF 4 En profondeur En Suisse, les hivers blancs fondent comme neige au soleil 9 Nouvelles Les économies font l’objet d’un âpre débat au Parlement 10 Portrait Le tissage en Suisse: une technique culturelle vivante 12 Politique Le vote du peuple enterre les plans d’aménagement des autoroutes 16 Société Une feuille de Huttwil défie la crise du journalisme local Actualités de votre région 19 Chiffres suisses Où il est question d’argent, d’or… et de jardins 20 Reportage Bâle est la ville qui compte le plus de ménages solos 23 Littérature En 1861, Johann Jakob Bachofen défendait l’émancipation des femmes 28 Cinquième Suisse Le climat politique vis-à-vis de la «Cinquième Suisse» se refroidit 30 Nouvelles du Palais fédéral L’action du Contrôle fédéral des finances profite aussi à la Cinquième Suisse 33 Infos de SwissCommunity Dernière ligne droite avant l’élection du Conseil des Suisses de l’étranger La neige d’aujourd’hui Photo de couverture: moment de plaisir dans les Alpes suisses (Weisshorn, 2653 mètres d’altitude). Photo Keystone La «Revue Suisse», magazine d’information de la Cinquième Suisse, est éditée par l’Organisation des Suisses de l’étranger. Photo Keystone Revue Suisse / Janvier 2025 / N°1 3 Éditorial Table des matières
THEODORA PETER Les téléskis de proximité existent encore, mais plus pour longtemps. À Langenbruck, par exemple, commune la plus haute du canton de Bâle-Campagne culminant à 700 mètres d’altitude, le téléski du village risque d’être démonté, 73 ans après son inauguration. Il y a longtemps que l’or blanc se fait rare à cette altitude: l’installation, qui grimpe à 900 mètres, est restée fermée durant les deux hivers passés. Ici, d’innombrables enfants et adolescents ont chaussé les lattes pour la toute première fois. Parmi eux, Peter Hammer, architecte et gérant du téléski, aujourd’hui âgé de 74 ans. Son père faisait partie des fondateurs du remonte-pente ouvert en 1952, le premier du nord-ouest de la Suisse. Enfant Les hivers blancs se raréfient La Suisse colle de moins en moins à son image de carte postale aux paysages enneigés. Pour profiter de la neige ou faire du ski, il faut désormais souvent gagner les stations alpines d’altitude. Le ski, sport populaire helvétique par excellence, n’est pas menacé de disparition, mais devient un loisir de luxe. Revue Suisse / Janvier 2025 / N°1 4 En profondeur
5 Sur les 545 domaines skiables et remontées mécaniques de moyenne montagne que comptait la Suisse, 230 ont disparu, soit près de 40 %. D’après une étude de l’université technique de Dortmund, la mort des remonte-pentes est due à l’absence de neige, mais aussi à l’intérêt décroissant des gens pour les sports d’hiver et à une rentabilité en berne. Tous les domaines skiables abandonnés n’ont pas été démontés: à plusieurs endroits, des pylônes rouillés, des cabines décaties ou des restaurants en ruine témoignent de ces paradis du ski perdus. Leurs anciens géDepuis le milieu du XIXe siècle, les hivers se sont réchauffés de 2,4 degrés en Suisse. D’ici 2050, les températures pourraient encore augmenter d’un degré. La pénurie de neige se fera alors ressentir jusqu’à une altitude de 1500 mètres. canon à neige avait été installé en 1978. On skiait aussi la nuit, sur des pistes éclairées: ainsi, les amateurs de sports d’hiver de toute la région pouvaient s’adonner à leur hobby après le travail. Mais au début des années 1990, les hivers doux et sans neige ont commencé à se multiplier. «On ne parlait pas encore vraiment de changement climatique, mais on sentait bien qu’il se passait quelque chose», raconte Peter Hammer à la «Revue Suisse». 230 téléskis ont tiré la prise Depuis, le nombre de jours d’ouverture des pistes n’a cessé de fondre, «de vingt à zéro». Le gérant espère quand même que cette dernière saison sera bonne. S’il ne trouve aucun acheteur, le téléski s’arrêtera définitivement au printemps 2025. Ce qui fait le plus de peine à Peter Hammer, c’est que «l’installation est encore en bon état». Le permis d’exploiter court jusqu’en 2031. Le gérant jette un regard nostalgique sur ces dernières décennies en songeant «qu’ici, des familles entières et plusieurs générations ont grandi avec le ski». Langenbruck n’est pas la seule station de sports d’hiver à devoir capituler, loin de là. Une multitude d’autres stations ont déjà connu le même sort. déjà, Peter Hammer donnait un coup de main au téléski pendant ses loisirs, un engagement auquel il est resté fidèle jusqu’à ce jour: «Mon moteur, c’est de voir la joie des gens.» Jusque dans les années 1980, le ski était en plein essor à Langenbruck, qui n’est située qu’à un trentaine de kilomètres à vol d’oiseau de la ville de Bâle. À l’époque, la neige n’était pas encore une denrée rare, d’autant plus qu’un Pour skier jusque dans la vallée, la neige artificielle est souvent devenue indispensable. Ci-dessus, la descente vers Flims (1000 m d’altitude) dans les Grisons à Noël 2022. Photo Keystone Le téléski géré par Peter Hammer à Langenbruck est sur le point de fermer ses portes. Quand il a été inauguré, en 1952 (à droite), la neige n’était pas encore une denrée rare. Photo Volksstimme Sissach, Keystone Revue Suisse / Janvier 2025 / N°1
rants ont fait faillite et laissé derrière eux non seulement des dettes, mais aussi des décombres dans la nature. Des hivers toujours plus chauds Pour les stations de sports d’hiver situées plus en altitude aussi, la hausse des températures deviendra un problème majeur à moyen terme. Mandatés par le secteur des remontées mécaniques et Suisse Tourisme, des climatologues de l’EPFZ ont établi des prévisions allant jusqu’à 2050. Il apparaît que la pénurie de neige s’aggravera dans tous les domaines skiables situés au-dessous de 1500 mètres. Depuis le début des mesures, en 1864, les hivers se sont réchauffés de 2,4 degrés en Suisse, constate le climatologue de l’EPFZ Reto Knutti: «D’ici 2050, nous prévoyons encore une hausse d’un degré Celsius par rapport à aujourd’hui.» Selon l’évolution des émissions de CO2, ce chiffre variera d’un ou de plusieurs dixièmes de degré, avec des effets plus ou moins prononcés. Si les températures hivernales augmentent d’un degré, comme prévu, l’isotherme du zéro degré s’élèvera elle aussi et ce, de 300 mètres. L’isotherme du zéro degré est un indicateur important pour le tourisme hivernal: elle montre à partir de quelle altitude la pluie se transforme en neige. Depuis les années 1960, cette limite s’est déjà élevée de 300 à 400 mètres, avec des conséquences fatales pour les téléskis de moyenne montagne. D’après le climatologue, la marge de manœuvre des domaines skiables dont les remontées mécaniques ne montent pas à plus de 1800 mètres se réduira à l’avenir. Et même la production de neige artificielle deviendra difficile, car les canons à neige ne fonctionnent que lorsque le thermomètre affiche moins de zéro degré. Or, d’après les prévisions climatiques, le nombre de jours de gel diminuera de 10 à 30 % selon l’altitude. «En début d’hiver surtout, de la mi-novembre à la mi-décembre, il fera trop chaud pour canonner», note Reto Knutti. Encore plus de neige artificielle Si dans les Alpes, de nombreuses stations de sports d’hiver sont situées au-dessus du seuil critique de 1500 mètres, le changement climatique les oblige tout de même à revoir leur stratégie. Selon un sondage mené par l’Université de Saint-Gall auprès de 100 exploitants de remontées mécaniques, plus de 75% d’entre eux s’attendent à enneigement incertain et à une saison hivernale raccourcie ces 20 prochaines années. Néanmoins, la plupart d’entre eux pensent que le ski et le snowboard resteront des sports appréciés à l’avenir. Ils investissent donc encore plus d’argent dans des canons à neige performants, Le mythe de la «nation du ski» «Alles fährt Ski...alles fährt Ski...Ski fährt die ganze Nation» [«Tout le monde skie, tout le monde skie… Toute la nation fait du ski]: ce tube de 1963 de Vico Torriani fait partie de la bande-son du boom du ski, qui a atteint son apogée dans les années 1960 et 1970. L’offre de téléskis, notamment dans les régions de basse altitude, a largement contribué à la popularité du ski en Suisse. À l’époque, tout le monde avait un remonte-pente près de chez soi, et presque chaque écolier allait régulièrement en camp de ski. Le mythe de la Suisse «nation du ski» a aussi été façonné par «les jours dorés de Sapporo», autrement dit, les Jeux olympiques d’hiver de 1972 au Japon, lors desquels la délégation suisse a gagné dix médailles, dont celles, inoubliables, remportées par les doubles vainqueurs en descente, Bernhard Russi et Roland Collombin, et les deux médailles d’or de Marie-Theres Nadig. «Un peuple capable de se défendre grâce aux sports d’hiver» En Suisse, ce sont d’abord les alpinistes qui ont découvert le ski pour leurs randonnées, comme l’écrit l’historien du sport Simon Engel dans un blog du Musée national suisse. Le premier club de ski a été fondé en 1893 à Glaris, et la Fédération suisse de ski a vu le jour en 1904. Au début, le ski était surtout une activité de loisir pour les touristes fortunés. Des Britanniques de la classe supérieure, férus de sport, s’élançaient sur les pentes sur le principe du «downhill only». La consécration du ski au rang de sport national doit être mise en lien, selon l’historien, avec les deux guerres mondiales, qui ont mis fin au tourisme international. Pour attirer davantage de Suisses sur les pistes, des fonds publics ont été investis dans le sauvetage d’hôtels et de remontées mécaniques, mais aussi dans des rabais sur les forfaits et les cours dans les écoles de ski. À partir des années 1940, certains cantons ont introduit les vacances d’hiver annuelles, qui devaient être mises à profit pour aller skier. L’armée a elle aussi soutenu ce projet national. Ainsi, pendant la Seconde Guerre mondiale, le général Guisan avec le slogan: «Une jeunesse saine. Un peuple capable de se défendre grâce aux sports d’hiver», faisait des montagnes et de la pratique du ski le terrain idéal pour cultiver les forces physiques et morales nécessaires à la défense du pays. Cette action de propagande concertée atteignit son objectif, attirant les clients du Plateau dans les stations de sports d’hiver. (TP) Vers le blog du Musée national: www.revue.link/skier Souvenir des «jours dorés de Sapporo»: les champions olympiques suisses de descente Bernhard Russi (n° 4, médaille d’or) et Roland Collombin (n° 11, médaille d’argent) sur les épaules de leurs supporters aux JO d’hiver de 1972. Photo Keystone Revue Suisse / Janvier 2025 / N°1 6 En profondeur
la taille de la station, une journée de ski coûte entre 40 et 90 francs pour un adulte. Plusieurs exploitants de remontées mécaniques misent sur des prix «dynamiques», qui varient selon la demande et le moment de la réservation. Dans certains lieux à la mode comme Saint-Moritz, Zermatt ou Laax – haut lieu du snowboard –, les prix peuvent s’envoler à plus de 100 francs par jour. Une déclaration du patron des remontées mécaniques de Laax, Reto Gurtner, a fait grand bruit l’automne dernier. D’après lui, le pic des prix n’est pas encore atteint: «Dans dix ans, un forfait journalier à Laax coûtera entre 200 et 300 francs». Reto Gurtner part du principe que l’affluence dans les endroits où l’enneigement est assuré continuera d’augmenter, et qu’il y aura toujours assez de passionnés prêts à débourser ces sommes. Sur les terrains de golf, dit-il, les joueurs sont d’ores et déjà prêts à payer jusqu’à 1000 francs par parcours. Jürg Stettler, expert en tourisme de la Haute école de Lucerne, ne pense pas que des prix aussi exorbitants puissent capables de produire de grandes quantités d’or blanc en peu de temps. Dans la mesure du possible, les pistes de ski seront déplacées «vers le haut», avec d’autres remontées mécaniques qui emmèneront les sportifs encore plus près des sommets. Ces stratégies ont un prix: des investissements de plusieurs millions sont nécessaires. Parfois, des investisseurs étrangers prennent le relais. Ainsi, le groupe américain Vail Resorts a déjà racheté il y a deux ans la station d’Andermatt-Sedrun, entre les cantons d’Uri et des Grisons. Depuis 2024, le domaine valaisan de Crans-Montana appartient lui aussi au géant américain des sports d’hiver, qui possède plus de 40 domaines skiables dans le monde. Vail Resorts veut investir au total près de 50 millions de francs dans les infrastructures – canons à neige, remontées mécaniques et restaurants. Cela permettra d’appâter d’autres investisseurs qui, de leur côté, construiront des hôtels et des centres de vacances pour attirer les clients fortunés dans les stations de sports d’hiver. De sport populaire à loisir de luxe D’autres domaines skiables investissent eux aussi massivement dans leurs infrastructures. Ce qui entraîne une hausse des coûts de l’énergie, mais aussi du prix des forfaits. Selon s’imposer partout. Néanmoins, il souligne que nombre de Suisses se demandent si pratiquer un sport d’hiver présente encore un intérêt. «Le ski n’est plus le sport populaire qu’il était il y a encore 40 ans», a déclaré Jürg Stettler à la radio SRF. Un tiers de la population pratique encore des sports d’hiver, mais «les personnes qui skient le font de plus en plus rarement». Pour les familles en particulier, ces activités sont en passe de devenir un luxe inabordable: une semaine de ski pour deux adultes et deux enfants peut rapidement coûter plusieurs milliers de francs. La tradition des camps de ski en perte de vitesse Dans les écoles aussi, l’ancien sport national a perdu en importance. Si, dans les années 1970, les camps de ski annuels faisaient encore partie du programme standard, cette tradition n’a cessé de s’effriter. Le plan d’études alémanique se contente, à ce sujet, de formuler l’objectif suivant: les enfants doivent pouvoir évoluer «sur des appareils de glisse», ce qui comprend aussi les patins à glace. La Confédération subventionne les camps de sports d’hiver avec les fonds du programme «Jeunesse+Sport». Environ 100 000 écoliers en profitent chaque année. La branche espère attirer à nouveau davantage d’enfants et d’adolescents à la neige avec l’Initiative sports de neige, lancée en 2014. La plate-forme «GoSnow.ch» offre aux écoles et aux enseignants des camps clé en main à des prix avantageux, matériel inclus. Cet hiver, elle organisera près de 400 camps pour plus de 18 000 participants au total. Pour Fränzi Aufdenblatten, présidente de l’Initiative et ancienne skieuse de compétition, le ski est non seulement un plaisir, mais aussi un «bien culturel suisse». Pour elle, il est inimaginable que les enfants qui grandissent en Suisse ne se frottent pas, au moins une fois dans leur vie, à un sport d’hiver: «Ce serait comme vivre à Hawaï sans jamais monter sur une planche de surf.» L’utilisation de canons à neige n’est possible que lorsque la température descend au-dessous de 0 °C. Photo Keystone L’avenir du domaine skiable de Crans- Montana (VS) est assuré grâce à des investisseurs étrangers: en 2024, il a été racheté par le groupe américain Vail Resorts. Photo Keystone 7
L’âge de la retraite des femmes est définitivement relevé La messe est dite: dès cette année, l’âge de la retraite des femmes en Suisse sera progressivement relevé de 64 à 65 ans. Le peuple en avait décidé ainsi il y a deux ans déjà, acceptant de justesse une réforme complète de l’AVS qui englobait, entre autres, ce report de l’âge de la retraite. Seulement, le Conseil fédéral avait quelque peu noirci la situation financière de l’AVS avant la votation, et les chiffres de ses prévisions étaient erronés. Ainsi, les Vert-e-s et les femmes du PS avaient porté le cas devant le Tribunal fédéral (TF) pour exiger l’annulation du résultat du scrutin. Le 12 décembre 2024, le TF les a déboutés. Il a critiqué l’erreur des autorités, mais a estimé qu’une annulation saperait la sécurité juridique. (MUL) Zurich peut continuer à écrire «Zürcher*innen» Le langage prend-il en considération tous les sexes? La question est particulièrement controversée en Suisse alémanique. L’astérisque inclusif, tel qu’utilisé, par exemple, dans le mot «Zürcher*innen», fait l’objet de vives critiques. Cette forme est concurrencée par la solution un peu plus discrète des deux points, qu’utilise parfois, depuis quatre ans, la «Revue Suisse» dans sa version allemande (comme dans le mot «Schweizer:innen»). En revanche, le «I intérieur» placé au milieu des mots (comme dans «AusländerInnen»), qui était très répandu depuis quelques années, s’est raréfié. C’est la raison pour laquelle en 2022, les autorités de la ville de Zurich ont délaissé le «I intérieur» pour l’astérisque inclusif. Mais une initiative populaire a voulu leur interdire d’utiliser cet astérisque dans leurs textes et leurs documents. Le 27 novembre 2024, le peuple a clairement rejeté cette initiative. Les autorités zurichoises pourront donc continuer de s’adresser aux «Zürcher*innen». Cette votation est la première à être consacrée à l’écriture inclusive en Suisse. (MUL) Pas de refus de l’Eurovision 2025 Bâle accueillera bien le Concours Eurovision de la chanson en 2025, le plus grand concours musical au monde. L’Union démocratique fédérale (UDF), petit parti conservateur de droite, a voulu interdire l’Eurovision par la voie d’un référendum, estimant que l’événement ressemble parfois à un freak show sataniste, est immoral et horriblement cher de surcroît. Bâle devra dépenser 35 millions de francs pour l’organiser. Mais les Bâlois ne partagent pas les craintes de l’UDF. Le 24 novembre, le référendum du parti a très clairement échoué dans les urnes. Voir aussi: www.revue.link/escbasel (MUL) Oppositions contre le 30 km/h Notre édition en ligne vous apporte une valeur ajoutée journalistique. Vous y découvrirez, par exemple, l’enquête que nous avons réalisée pour comprendre pourquoi la limitation de la vitesse dans les villes suisses reste controversée malgré la longue expérience du pays en la matière: www.revue.link/vitesse30 (MUL) Laurent Debrot Dans «Le Petit Prince», un homme allume et éteint des réverbères à chaque minute de la journée. Éclairer toutes les rues d’un pays, est-ce aussi absurde? C’est l’avis du Neuchâtelois Laurent Debrot, qui a fait de la nuit sa mission. Cet ancien agriculteur bio, aujourd’hui à la retraite, a ancré son combat dans sa commune du Val-de-Ruz. Celle-ci a éteint progressivement l’éclairage public de ses villages de minuit à 4h45, devenant ainsi la plus grande commune de Suisse à rendre la nuit noire. Ce mouvement, bénéfique pour la faune et l’humain, permet à la nuit de retrouver sa splendeur. Il a fait florès. Depuis 2022, les autres communes neuchâteloises pratiquent aussi l’extinction de l’éclairage public dès minuit. Laurent Debrot aime l’action. En 2017, il était allé mesurer l’intensité lumineuse sur un passage pour piétons situé devant le Service cantonal des automobiles, à Malvilliers. «Sachant qu’il n’est quasiment jamais utilisé la journée et que les bureaux ferment en fin d’après-midi, on se demande à quoi peuvent bien servir ces lampadaires», avait déclaré l’ancien député écologiste. Dans le Val-de-Ruz, l’homme se baladait avec des journalistes, regrettant que les passages piétons soient exclus de la nouvelle politique nocturne. «Ça casse l’ambiance.» Cette question a été tranchée. Au Locle par exemple, tout est éteint, passages cloutés compris. Un bon point pour Laurent Debrot, car «il n’est pas impossible, selon lui, que l’éclairage des passages piétons entraîne des comportements mettant en danger la vie des usagers». Cet activiste de la nuit noire vient de mener un sondage auprès des habitants du Locle, justement, au sujet de l’extinction de l’éclairage public dans les rues. «Les réponses sont positives», se réjouit-il. STÉPHANE HERZOG Revue Suisse / Janvier 2025 / N°1 8 Sélection Nouvelles
hausse ne fait pas l’unanimité: le gouvernement vise 2035 tandis que le Parlement veut atteindre l’objectif trois ans plus tôt. C’est pourquoi, dans le budget de cette année, il a alloué à la défense du pays 530 millions de francs de plus que ce que le Conseil fédéral avait prévu, soit 6,3 milliards au total. Des perspectives financières incertaines La majorité bourgeoise du Conseil national voulait à l’origine réduire la coopération internationale de 250 millions de francs, soit de près de la moitié de la hausse prévue pour l’armée. Mais même Karin Keller-Sutter, l’économe ministre des finances, a indiqué qu’une telle coupe mettrait en péril des projets d’aide au développement. Le Conseil des États a réduit cette baisse à 30 millions, mais a aussi insisté pour compenser les dépenses militaires en raison du frein à l’endettement et de perspectives financières incertaines. Finalement, les deux Chambres ont trouvé un compromis: la Suisse économisera 110 millions de francs dans la coopération internationale. D’autres coupes sont prévues, notamment dans le personnel de la Confédération. Les appels à générer des recettes supplémentaires au lieu de se contenter d’économiser n’ont pour l’heure pas été entendus. La droite – l’UDC, le PLR et Le Centre – s’est montrée satisfaite du budget 2025, tandis que la gauche – le PS et Les Vert-e-s – l’a critiqué. La controverse politico-financière reprendra en février. Dès 2027, le pays est menacé par des déficits structurels, raison pour laquelle le gouvernement mettra en consultation un paquet d’assainissement du budget fédéral, basé sur les propositions d’un groupe d’experts. 9 SUSANNE WENGER Le budget fédéral de 2025 a été fixé peu avant Noël. Il prévoit des dépenses de 86,5 milliards de francs et des recettes de 85,7 milliards. Le frein constitutionnel à l’endettement autorise le déficit attendu pour des raisons conjoncturelles. L’adoption du budget a été précédée par trois semaines de débats houleux entre les Chambres du Parlement. L’une des questions les plus disputées a été celle de savoir dans quelle mesure les coupes dans la collaboration internationale (aide au développement, contributions aux organisations multilatérales et coopération économique) devaient compenser la hausse des dépenses militaires. Le débat a aussi tourné autour du rôle de la Suisse dans un monde marqué par l’insécurité (voir citations). L’augmentation du budget de l’armée à 1 % du PIB fait plus ou moins l’objet d’un consensus. Mais le rythme de cette Plus d’argent pour la défense, moins pour l’aide à l’étranger L’armée suisse voit son budget augmenter, notamment grâce aux économies réalisées dans la coopération internationale. C’est ce qu’a décidé le Parlement lors de sa session d’hiver, après des débats houleux et de longues tergiversations. Le Parlement insiste sur un renforcement rapide de l’armée. Ici, lors d’un exercice des forces aériennes, des avions de combat ont atterri sur l’autoroute près de Payerne (VD) le 5 juin 2024. Foto Keystone Échos du débat «Depuis des décennies, nous envoyons des milliards de francs de recettes fiscales à l’étranger. À la chute du Mur, le Parlement a misé sur le fait que la paix serait éternelle. Cette insouciance nous rattrape à présent.» LARS GUGGISBERG (UDC/BE) «On ne peut pas donner à l’armée un chèque en blanc supplémentaire d’un demi-milliard de francs sans savoir pour quoi elle le dépensera.» TAMARA FUNICIELLO (PS/BE) «Les dividendes de la paix ont pu être mis à profit ces dernières années à l’étranger, à présent la priorité doit à nouveau être accordée aux projets de la Suisse.» PETER SCHILLIGER (PLR/LU) «Augmenter le budget de l’armée d’un demi-milliard en mettant en danger la tradition humanitaire de la Suisse n’est pas la bonne façon de faire.» CORINA GREDIG (PVL/ZH) «Pour un petit pays neutre comme la Suisse, une politique de paix globale est la meilleure politique de sécurité; la négliger n’est pas responsable.» GERHARD ANDREY (LES VERTS/FR) «Voyez comme la crise de l’endettement fait tache d’huile dans le monde. Les États financièrement affaiblis le sont aussi militairement. On ne saurait accorder trop d’importance au frein à l’endettement.» BENEDIKT WÜRTH (LE CENTRE/SG) Revue Suisse / Janvier 2025 / N°1 Nouvelles
GERLIND MARTIN Isabel Bürgin tisse depuis qu’elle a commencé sa formation en design textile et tissage à la main, en 1981. Son atelier, situé dans une cour intérieure du quartier de Klybeck, à Bâle, est lumineux, haut de plafond et possède une longue histoire: dans le temps, le grand-père et l’un des oncles de la tisserande tenaient ici une pâtisserie. La pâtisserie et le tissage sont tous deux des artisanats traditionnels, relève Isabel Bürgin. «Je poursuis l’histoire familiale.» Abritant trois métiers à tisser, son atelier fait aussi office de bureau et de show-room. Les visiteurs peuvent y admirer tapis et couvertures colorés et foulards moelleux, les toucher et s’informer. Rester assise dans une boutique à attendre le chaland ne conviendrait pas à Isabel Bürgin. Elle doit s’activer, œuvrer, bouger. «Je ne tiens pas en place», déclare celle qui voulait devenir danseuse quand elle était jeune. Des marches quotidiennes stimulent la créatrice: «Un bruit, une association de couleurs dans la tenue d’une passante, la nature, une ambiance lumineuse: l’inspiration ne se force pas, il faut savoir l’accueillir.» Isabel Bürgin conçoit ses créations sur son métier à tisser. Elle teste des formes, évalue, rejette, modifie, essaie des couleurs et des fils. C’est ainsi que lentement, le motif émerge, qu’elle affine ensuite avec un logiciel de tissage. «Les idées viennent en faisant», explique-t-elle. «Je transpose l’artisanat en tableaux.» Fascinant… et trop ardu C’est dans le cours textile de l’école de design de Bâle qu’Isabel Bürgin a appris à tisser. Au début, elle ne comprenait rien au fonctionnement technique du tissage. «Cela me fascinait, mais me semblait trop ardu.» Toutefois, quand elle s’est mise à suivre des cours intensifs avec les cinq autres étudiantes de sa filière, tout a changé: elle avait désormais le temps d’approfondir les exercices. Sa capacité de représentation spatiale s’est développée, elle a appris à voir à l’intérieur du tissu. «J’ai enfin compris comment le tissu fonctionnait. Cela a été une révélation.» Dans son travail de diplôme, Isabel Bürgin a cherché à répondre à la question suivante: qu’aimerais-je ressentir si j’étais aveugle, quelles sensations me transmettraient mes pieds au contact d’une surface? «J’ai alors tissé mon tout premier tapis, un tapis de couloir.» Elle n’imaginait pas que le tissage de tapis l’occuperait penIsabel Bürgin, tisserande: «Les idées viennent en faisant» Le tissage est l’une des techniques culturelles les plus anciennes du monde. En Suisse, plusieurs centaines de personnes pratiquent cet artisanat, et parmi elles Isabel Bürgin, tisserande et créatrice de tissus. dant 37 ans, et même sûrement plus longtemps. «C’est véritablement devenu une passion.» Sans craindre de se tromper En 1986, à l’âge de 24 ans, Isabel Bürgin a ouvert son propre atelier. Elle avait en poche un CFC de tisserande, un diplôme en design textile et des expériences encourageantes réalisées lors d’un stage dans l’atelier du designer Ulf Moritz à Amsterdam. La manière hollandaise de mettre spontanément en œuvre ses idées sans craindre de se tromper lui a particulièrement plu. Au début des années 1990, la jeune créatrice et femme d’affaires a remporté deux fois la bourse fédérale d’arts appliqués de l’Office fédéral de la culture. Ce qui lui a perIsabel Bürgin montre l’une de ses créations: un tapis souple et volumineux en laine de mouton. Photos Lisa Schäublin Revue Suisse / Janvier 2025 / N°1 10 Portrait
mis de travailler sans soucis financiers pendant un temps. Elle a alors créé le tapis ‹sch-nur-zufall› (une contraction de «die Schnurfarbe ist nur Zufall», «la couleur de la ficelle est due au hasard») en poil de chèvre gris nature et ficelle de couleur recyclée. «C’est la base de ma collection.» Les clients intéressés pouvaient désormais toucher le tapis et s’imaginer le dérouler chez eux. Aujourd’hui encore, elle tisse ce tapis avec enthousiasme. «C’est à chaque fois captivant de découvrir le résultat, car la couleur de la ficelle n’est jamais la même.» Des couvertures et des foulards à emporter Depuis des années, la tisserande expose ses produits dans des foires. À cette occasion, rares sont cependant les personnes qui achètent spontanément un tapis cher. Les produits à emporter se vendent mieux: c’est ainsi qu’elle a développé sa série de couvertures en laine polyvalentes et multicolores. Par exemple la ‹wollok›, tissée en sept couleurs et aux franges exubérantes, un «accessoire de mode multifonctionnel, pas une couverture de lit». Ou encore ses gammes d’écharpes colorées, souples et chaudes à la fois. «Il faut être réaliste», répond Isabel Bürgin lorsqu’on lui demande ce qu’elle gagne. Pour amortir les nids de poule financiers de son atelier de tissage, elle a exercé des jobs accessoires pendant 23 ans. Elle a notamment animé des ateliers et enseigné dans de hautes écoles d’art; en 2005, elle a été nommée à la haute école d’art de Kassel. Ce poste de professeure, qu’elle a occupé pendant trois ans, lui a demandé beaucoup d’efforts. Cela a été son dernier «job accessoire». «Toucher la matière» Les différents fils et bordures, la structure, la densité et le design contribuent à la diversité frappante de sa collection de tapis. Et ce, bien que son métier à tisser n’ait que deux cadres. Une contrainte qui l’oblige à être extrêmement créative. Le corps de la tisserande est aussi mis à rude épreuve: son métier à tisser les tapis mesure trois mètres de large! Pour travailler, elle ne s’assied donc pas, mais va et vient inlassablement devant son métier à tisser. Et même si le changement de cadre est assisté L’atelier de la tisseuse à Bâle (en haut) fait aussi office de bureau et de show-room. Au milieu se dresse son plus grand instrument de travail, un métier à tisser de trois mètres de large, dont le maniement est très physique. Outre les foulards et les couver- tures, les tapis (en bas) sont les principaux articles de sa collection. Nouveau livre sur le tissage en Suisse Le portrait ci-dessus est un extrait abrégé du livre «Alle Fäden in der Hand. Weben in der Schweiz», récemment paru. Les autrices y présentent 13 tisserandes et un tisserand appartenant à trois générations: la plus âgée a plus de 90 ans, et la plus jeune vient d’achever sa formation professionnelle de trois ans en création de tissus. Leurs différentes expériences et manières de travailler montrent le potentiel de cet artisanat ancien. L’ouvrage décrit aussi l’évolution du tissage sur ces 100 dernières années, et notamment les efforts qui ont été entrepris pour préserver cet artisanat, mais aussi pour en faire un métier moderne et attrayant. Actuellement, 650 tisseuses et tisseurs sont affiliés à une association professionnelle en Suisse. Gerlind Martin, Regula Zähner (éd.): Alle Fäden in der Hand – Weben in der Schweiz. 204 pages, 145 illustrations, la plupart en couleurs, relié, 21 x 27 cm. © 2024 Christoph Merian Verlag. CHF 49.– / EUR 49,– ISBN 978-3-03969-035-0 par un système à air comprimé, tisser des tapis demeure une tâche astreignante. Certains conseillent à Isabel Bürgin de déléguer le tissage de ses produits. Cette idée la fait rire: «C’est hors de question, car le tissage est l’une des plus belles choses qui soient! Travailler avec ses mains, toucher la matière!» Revue Suisse / Janvier 2025 / N°1 11
THEODORA PETER Non, non et non: la dernière votation de 2024 a été une gifle pour le gouvernement et le Parlement. Les Suisses ont rejeté d’un coup trois des quatre objets proposés par le Palais fédéral: l’aménagement des autoroutes et deux assouplissements du droit du bail contre lesquels l’association des locataires était montée aux barricades. Le peuple n’a donné son feu vert qu’à la réforme de la santé, qui uniformisera le financement des prestations de l’assurance-maladie. La Cinquième Suisse s’est montrée moins critique à l’égard des autorités le 24 novembre: contrairement à la majorité du peuple, les Suisses de l’étranger ont accepté tant le crédit pour les autoroutes que l’une des deux modifications controversées du droit du bail. Ils ont ainsi suivi l’avis du Conseil fédéral et du Parlement dans trois objets sur quatre. Ce qui confirme la tendance selon laquelle la Cinquième Suisse vote de manière plus favorable aux autorités. Victoire pour l’opposition rose-verte À l’intérieur du pays, au contraire, la confiance à l’égard des autorités semble quelque peu entamée. Au cours de la première année de sa nouvelle législature, le gouvernement n’a remporté que sept votations sur douze. La gauche (PS) et les syndicats ont triomphé cinq fois, notamment avec leur initiative sur l’introduction d’une 13e rente AVS (Revue 3/2024). Le peuple refuse l’aménagement des autoroutes Lors de la votation du 24 novembre 2024, le peuple suisse a rejeté à 52,7 % un crédit de cinq milliards de francs pour l’aménagement des autoroutes. Dans le domaine du droit du bail aussi, le peuple a désavoué deux fois les autorités fédérales. Crédit pour l’aménagement des routes nationales 0 5 1015202530354045 50 55 60 65 70 75 80 85 90 95 100 57,3% À l’échelle nationale, seuls 47,3 % des citoyens se sont prononcés en faveur des six aménagements prévus des autoroutes. La Cinquième Suisse a quant à elle accepté le crédit à pas moins de 57,3 %, restant dans la minorité à l’instar des citoyens de onze cantons. Financement uniforme des prestations de l’assurance-maladie 0 5 1015202530354045 50 55 60 65 70 75 80 85 90 95 100 58.8% Une majorité de 53,3 % a donné son feu vert au nouveau modèle de financement dans le secteur de la santé. La Cinquième Suisse y a été encore plus favorable. Le résultat a dessiné une «barrière des röstis» nette entre la Suisse romande et le reste du pays. Suisses:ses de l’étranger Suisses:ses de l’étranger Voix favorables à l’initiative «Financement uniforme des prestations de l’assurance-maladie» en % Voix favorables à l’initiative «Crédit pour l’aménagement des routes nationales» en % Ces succès de la gauche dans les urnes sont remarquables compte tenu du fait que le Parlement avait clairement glissé à droite lors des élections fédérales de l’automne 2023. Dans ce contexte, le triple non de la dernière votation est un signal clair contre la politique de force des partis bourgeois: l’UDC, le PLR et Le Centre, qui donnent le ton au gouvernement et au Parlement, ont été sévèrement rappelés à l’ordre par le peuple. Les femmes moins favorables à la voiture que les hommes Le 24 novembre, outre le PS, les Vert-e-s ont également renoué avec la victoire. La campagne du camp écologiste contre les projets autoroutiers «extrêmes» (Revue 5/2024) a visiblement fait mouche au sein de la population. Un sondage mené après le scrutin montre qu’outre les préoccupations climatiques, la crainte de voir le trafic augmenter avec l’élargissement des routes a joué un rôle. Cet argument, avancé par les opposants, a surtout convaincu les femmes dont pas moins de 60 % ont voté non. Les hommes, en revanche, se sont montrés plus favorables à la voiture: 56 % d’entre eux ont accepté le crédit qui, selon les partisans du projet, n’était destiné qu’à éliminer les goulets d’étranglement sur quelques tronçons autoroutiers. Pour cette raison, le camp du oui a probablement été trop sûr de lui. Son slogan, «Pour une Suisse qui avance», n’a toutefois pas convaincu la majorité. Revue Suisse / Janvier 2025 / N°1 12 Politique
Droit du bail I: règles de sous-location plus strictes 0 5 1015202530354045 50 55 60 65 70 75 80 85 90 95 100 53,6% Le durcissement de la loi au détriment des locataires n’a convaincu que 48,4 % des citoyens à l’échelle nationale. La Cinquième Suisse, en revanche, l’a accepté à 53,6 %. La Suisse romande et le canton de Zurich, fortement peuplé, ont tous deux contribué à la victoire du non. Droit du bail II: résiliation facilitée pour besoin propre 0 5 1015202530354045 50 55 60 65 70 75 80 85 90 95 100 47,9% La deuxième modification du droit du bail a été moins bien accueillie encore, avec seulement 46,2 % de oui. La Cinquième Suisse a elle aussi refusé de soutenir cet assouplissement en faveur des propriétaires immobiliers et s’est rangée dans le camp du non. Suisses:ses de l’étranger Voix favorables à l’initiative «Droit du bail I: règles de sous-location plus strictes» en % Suisses:ses de l’étranger Voix favorables à l’initiative «Droit du bail II: résiliation facilitée pour besoin propre» en % Après le non du peuple, ajouter des pistes à l’autoroute A1 (dont on voit ici le tronçon de Berne Wankdorf) n’est plus à l’ordre du jour. Photo Keystone Michael Hermann, politologue et directeur d’un institut de sondage, interprète le rejet de l’aménagement des autoroutes aussi comme l’expression d’un «mal de la croissance». Nombreux sont les gens qui ont le sentiment que la Suisse croît trop vite: «Ils redoutent une Suisse toujours plus grise et bétonnée», a-t-il expliqué. Après ce rejet du peuple, il est évident que les projets de construction routière ont du plomb dans l’aile. D’après le ministre des transports Albert Rösti (UDC), il ne sera plus question, par exemple, d’un aménagement complet de l’autoroute A1. Le Conseil fédéral et le Parlement voulaient élargir cet axe très fréquenté entre Lausanne et Genève ainsi qu’entre Berne et Zurich à six voies au moins. Le peuple unanime pour la réforme de la santé La Suisse avance, en revanche, dans les réformes du domaine de la santé. Avec 53,3 % de oui, les Suisses ont accepté le financement uniforme des prestations de l’assurance-maladie. La Cinquième Suisse a elle aussi validé la modification de la loi. Celle-ci entraînera un accroissement des soins ambulatoires et contribuera donc à alléger les coûts. Les autorités tablent sur des économies de près de 440 millions de francs. Dans cette votation, les syndicats n’ont pour une fois pas réussi à se faire entendre. Ils avaient combattu le projet, arguant notamment qu’il pourrait entraîner une baisse de la qualité des soins et des conditions de travail du personnel soignant. Une leçon pour le lobby des propriétaires Dans le droit du bail, en revanche, rien ne bouge. Le peuple a rejeté à 51,6 % des règles de sous-location plus sévères – la Cinquième Suisse a donc accepté en vain la modification de la loi. L’objectif du projet était de lutter contre les abus. Les locataires auraient dû obtenir l’accord écrit explicite de leur propriétaire en cas de sous-location. Ils continueront donc d’avoir la simple obligation de l’en informer. Le rejet d’une résiliation facilitée pour besoin propre a été un peu plus net (53,8 %). Les propriétaires de biens immobiliers devront donc toujours prouver qu’ils ont «urgemment» besoin d’un appartement ou d’une maison pour eux-mêmes ou pour des parents proches s’ils souhaitent résilier un contrat de bail. La Cinquième Suisse a elle aussi refusé d’assouplir cette règle en faveur des propriétaires. Forte de cette victoire, l’association des locataires se prépare déjà à de nouvelles batailles. Dès le dimanche de la votation, elle a brandi la menace du référendum au cas où le Parlement adopterait d’autres projets de «démantèlement des droits des locataires», par exemple concernant la fixation des loyers. Si cela se produit, le peuple aura une nouvelle fois le dernier mot. Revue Suisse / Janvier 2025 / N°1 13
Enfants, c’est au kiosque que nous investissions notre premier argent de poche, nous approvisionnant en grenouilles au Coca ou en Carambars malgré les rappels à l’ordre de nos parents. Adultes, nous y avons acheté des journaux, des revues, des cigarettes. Nous y avons rempli des bulletins de loto, rêvant d’un jackpot que nous n’avons jamais gagné. Les kiosquiers voyaient tout de suite si nous étions d’humeur à bavarder. Un nouveau livre, «Kiosk – Ein Kaleidoskop», rend un très bel hommage à ces points de vente ordinaires émaillant les quartiers, les gares et les centres commerciaux. La nostalgie affleure, car les kiosques classiques sont en voie de disparition en Suisse. Tabac, sucreries et journaux imprimés sont moins demandés qu’à l’âge d’or des kiosques, au XXe siècle. Le plus grand exploitant de kiosques, Valora, possède encore 800 filiales à l’offre étendue, allant des repas à emporter à la recharge de batteries externes. Mais ce bel ouvrage porte aussi un regard neuf sur le «bon vieux kiosque» à travers les yeux d’étudiants en journalisme culturel – des enfants du numérique –, et éclaire son contexte sous l’angle de l’histoire de la consommation et de l’architecture. Les textes et une centaine d’illustrations parviennent parfaitement à capturer l’atmosphère du kiosque, ce lieu «où les nouvelles du monde s’empilent», et où «les gens pressés et insomniaques commencent leur journée». SUSANNE WENGER Les kiosques: nouveau regard sur ces lieux de souvenirs hauts en couleur PLATTFORM KULTURPUBLIZISTIK, HAUTE ÉCOLE D’ART DE ZURICH «Kiosk – Ein Kaleidoskop», Limmat Verlag, 2024. 208 pages, CHF 38 (en allemand) Loterie à numéros et rêve de jackpot: les jeux de hasard font partie de l’offre des kiosques et sont très demandés. Vignettes de football, cigarettes, revues: la kiosquière Dora Meier en 1976 à Niederbipp (SO). Un bonbon suisse de légende: la grenouille au Coca-Cola. 14 Images
L’art d’exposer les marchandises en symétrie, mis en lumière par le livre consacré aux kiosques. Toutes les photos: Limmat Verlag Marques, objets et cultures se superposent dans ces petits commerces. Un lieu de passage aménagé avec soin: le kiosque. 15
SUSANNE WENGER Lorsqu’on visite le journal «Unter-Emmentaler» à Huttwil (BE), on est guidé à travers l’imprimerie bruyante par une employée de l’entreprise Schürch Druck & Medien AG. Au fond du bâtiment, un escalier de bois raide et tortueux mène à la rédaction et à une petite salle de réunion aux murs de laquelle sont accrochés des portraits de la famille des fondateurs. Une famille à laquelle l’entreprise, qui a vu le jour en 1875, appartient toujours. Lors d’une récente mise au concours d’un poste de rédacteur, l’«Unter-Emmentaler» s’est décrit comme l’«un des derniers journaux locaux indépendants de Suisse». Cet après-midi de novembre, la plupart des bureaux sont vides, les journalistes étant en route sous la neige. Six membres de la rédaction se partagent un peu plus de cinq équivalents plein temps et rédigent deux numéros par semaine avec l’aide de dix pigistes. Le bassin de diffusion englobe des parties de l’Emmental et de la Haute-Argovie bernoise ainsi que de l’arrière-pays lucernois. Walter Ryser, journaliste local chevronné, connaît la région comme sa poche. «Un terreau favorable» Responsable des médias de l’entreprise, Walter Ryser fournit des conseils stratégiques à la direction et signe des articles pour l’«Unter-Emmentaler». Il décrit la région comme «rurale et conservatrice» et déclare: «Ici, les traditions sont préservées et la vie s’écoule paisiblement: c’est un terreau favorable pour le journalisme local.» Mais la ville de Langenthal fait elle aussi désormais partie du bas- «Les gens veulent savoir ce qu’il se passe dans leur village» Économiquement sous pression, les groupes de médias suisses font des coupes dans le journalisme local. Cela devient un problème pour la démocratie. Mais le journal «Unter-Emmentaler», qui a 150 ans, continue de rapporter l’actualité des communes et défie la crise. sin de diffusion. «Entre Langenthal et Huttwil, il y a déjà un monde», explique le collègue de Walter Ryser, Thomas Peter, directeur de la rédaction du journal. De la diversité sur un petit territoire: c’est typique pour la Suisse. «Pour le journalisme, c’est un travail d’équilibriste», note Thomas Peter. Mais le journal le maîtrise bien. «Nous faisons ce que les grands éditeurs négligent: du vrai journalisme local», souligne Walter Ryser, en évoquant l’évolution de ces 20 dernières années. La Suisse a longtemps possédé un paysage médiatique très ramifié, un pan important de la structure fédérale. Mais depuis l’an 2000, la numérisation détruit le modèle d’affaires des éditeurs de journaux. Les mesures d’économies et les vagues de fusions ont particulièrement touché le journalisme local. De nombreux titres ont disparu Au moins 70 titres ont disparu entre 2003 et 2021. Les journaux ont cessé de paraître ou ont été intégrés aux rédactions centralisées de plus grandes entreprises de médias. Notamment la Zurichoise Tamedia, qui possède aussi des titres dans le canton de Berne et en Suisse romande. L’automne dernier, Tamedia a annoncé de nouvelles suppressions d’emplois et de nouveaux regroupements. Son objectif déclaré est de développer la présence numérique de ses plus grands titres. Dans les régions concernées, de Genève à Winterthour, la nouvelle a fait un tollé. La région Emmental-Haute-Argovie fait elle aussi les frais de cette évolution: l’ancien journal indépendant «Langenthaler Tagblatt», qui, depuis quelques années déjà, ne paraît plus que sous la forme d’une édition séparée de la «Berner Zeitung», a été entièrement absorbé par ce titre du groupe Tamedia. Séance de rédaction à l’«Unter-Emmentaler»: l’équipe se livre à la critique du journal et définit les nouveaux sujets. Au bout de la table: Walter Ryser. Photo DR «Ici, les traditions sont préservées»: Huttwil, dans le canton de Berne, où l’«Unter-Emmentaler» est produit depuis ses débuts. Photo Keystone Thomas Peter, directeur de la rédaction. Photo DR Revue Suisse / Janvier 2025 / N°1 16 Société
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