donna à Berne un motif pour réglementer les liens du pays avec sa diaspora. Deuxièmement, durant la guerre froide des années 1960, la Suisse raviva le concept de «défense spirituelle» du pays, misant sur «la particularité» et «l’exception» suisses. Tout ce qui était suisse était bon et prisé, y compris hors de nos frontières. Troisièmement, la Suisse fit face à une poussée de mondialisation. Si elle insistait tellement sur sa particularité, c’est parce qu’en réalité, beaucoup de choses changeaient. Le boom économique des années 1950 et 1960 entraîna une forte immigration, l’essor de la construction et une croissance démographique. L’économie suisse s’internationalisa, la place bancaire grandit et, en 1966, le pays adhéra au GATT, l’organisation mondiale du commerce devenue OMC. Schmid nourrissaient le débat d’un «petit pays en proie au malaise» («Unbehagen im Kleinstaat», 1963). En 1966, l’intégration de la «Cinquième Suisse» convenait à la fois aux nationalistes et aux citoyens ouverts sur le monde. Ils dirent oui à une Suisse qui ne s’arrêtait pas à ses frontières. L’article sur les Suisses de l’étranger fut accepté à une large majorité, par tous les cantons et presque 70 % des votants. C’est à Genève qu’il fut le mieux reçu, et à Schwytz, en Valais et à Obwald qu’il suscita le moins d’enthousiasme. Le fait que plus de 30 % de la population ait voté non montre tout de même que certains Suisses continuaient de considérer les émigrants comme des déserteurs, pour qui il ne fallait rien dépenser. Les effets Cette votation a remodelé la relation entre la Suisse et sa diaspora. Les expatriés et leurs familles avaient désormais leur place dans la Constitution fédérale et se sentaient valorisés. Décrivant cet événement de 1966, l’OSE parle de «tournant décisif». En s’appuyant sur le nouvel article, la Confédération s’attaqua à plusieurs questions en suspens. Elle réglementa l’accès des émigrés aux prestations d’assistance (qui relèveront, dès 1974, de la Confédération, et plus des cantons d’origine), leurs obligations de servir en temps de paix et, enfin, leur droit à la participation politique. Une loi fédérale en vigueur depuis 1977 accorde aux Suisses de l’étranger le droit de vote et d’élection actif et passif. Celui-ci ne s’éteint pas et se transmet d’une génération à l’autre avec la nationalité. Limiter le droit de vote à un certain nombre d’années après le départ (comme au Canada, par exemple) n’a pas été envisagé. Au début, les Suisses de l’étranger n’ont guère fait usage de leur droit de vote, car il fallait encore se rendre en personne en Suisse pour voter. Cela n’a changé qu’en 1992, quand le vote par correspondance fut introduit. Aujourd’hui, les Suisses de l’étranger En 1966, l’intégration de la «Cinquième Suisse» convenait à la fois aux nationalistes et aux citoyens ouverts sur le monde. Ils dirent oui à une Suisse qui ne s’arrêtait pas à ses frontières. Ces changements suscitaient des craintes, et l’Action nationale, un parti conservateur de droite violemment opposé à l’immigration, vit le jour en 1961. Ce double mouvement, entre ouverture économique et repli sur soi, caractérise la Suisse des années 1960. À l’exposition nationale de 1964, les appels à la vigilance nationale côtoyaient l’ouverture et l’optimisme face à l’avenir. Des intellectuels comme le germaniste zurichois Karl Trois ou quatre fois par an, les enveloppes contenant les documents de vote arrivent dans les boîtes aux lettres. En Suisse, ce processus est si commun que nombre de citoyens n’ont plus conscience du privilège qu’offre la démocratie directe. Or, les votations populaires peuvent transformer durablement le pays, comme David Hesse et Philipp Loser le montrent dans leur ouvrage. Les deux journalistes et historiens ont eu la bonne idée de sélectionner 30 scrutins particulièrement importants parmi les centaines de votations qui ont eu lieu depuis la naissance de l’État fédéral en 1848. Certaines votations font évidemment partie de la sélection, comme l’imposant oui à l’AVS (1947), l’acceptation tardive du droit de vote des femmes (1971) ou le tout petit non à l’Espace économique européen (1992). Mais l’ouvrage évoque aussi d’autres scrutins, peut-être un peu oubliés aujourd’hui, avec lesquels le peuple a modelé le destin du pays: la naissance des Chemins de fers fédéraux (1898), l’intégration des Suisses de l’étranger (1966, voir article principal) ou la fin du patriarcat dans le droit matrimonial (1985). La Suisse a fait œuvre de pionnière en matière de protection des travailleurs en 1877 en acceptant la loi sur les fabriques. Et tandis que l’initiative «contre l’emprise étrangère» a échoué en 1970, l’initiative populaire «contre l’immigration de masse» a été acceptée 44 ans plus tard. Bon nombre des décisions présentées ont fait l’objet d’âpres et brûlantes controverses. Cet ouvrage passionnant raconte sur un ton vif le contexte, les débats, les résultats et les conséquences réelles des votations. En le lisant, on comprend pourquoi ses auteurs soulignent ceci: «La Suisse est façonnée par l’eau, les intempéries et la pierre – et par les votations populaires.» (SWE) Voter, ça compte! Extrait du livre «Heute Abstimmung! 30 Volksabstimmungen, die die Schweiz verändert haben»; David Hesse et Philipp Loser, Limmat-Verlag, 2024, 248 pages, CHF 38.- Revue Suisse / Avril 2025 / N°2 21
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