Revue Suisse 5/2023

et à Bondo, évacué à temps, en 2017 –, le conseiller fédéral en charge s’est à chaque fois rendu sur les lieux de la catastrophe. Le message ainsi transmis est le suivant: le pays entier est derrière la population touchée. Mais aussi: nous faisons tout pour tenir tête à la montagne. Lorsqu’elle s’éboule ou menace de s’effondrer, la Suisse ne libère pas facilement le terrain, même quand le réchauffement climatique complique la situation. Tout est donc sous contrôle? Ce qui n’a pas changé depuis la catastrophe de Goldau en 1806, c’est qu’il n’a jamais été question d’abandonner ou de ne pas reconstruire les villages menacés ou touchés par ce type de phénomènes. Mais toujours de mieux les protéger. «À cet égard, relève le géologue Flavio Anselmetti, ce que quelle ils extrayaient de l’ardoise. Au contraire, des curieux escaladèrent même son flanc. L’après-midi, une avalanche rocheuse se précipita dans la vallée, tuant plus d’une centaine de personnes. On acceptait alors ces effondrements comme des catastrophes inévitables. Les découvertes des sciences naturelles sur la prévention des dangers se heurtaient au scepticisme d’une population pétrie de religiosité. L’éveil de l’esprit de solidarité Ce que les grands écroulements du XIXe siècle ont tout de même favorisé, c’est l’esprit de solidarité nationale. Après la catastrophe de Goldau, on organisa pour la première fois une collecte de dons nationale pour aider les Schwytzois en détresse. Ce type de solidarité interrégionale est par la suite devenu «une marque de fabrique de la Suisse», écrit Christian Pfister, professeur émérite d’histoire environnementale à l’Université de Berne. La Suisse a ainsi trouvé son propre moyen de se forger une identité propre, note l’historien. Car dans les pays voisins, ce sont plutôt les guerres qui ont donné lieu à des mouvements de mobilisation nationaux. Le motif identitaire qui a pris forme au XIXe siècle a continué de se développer ensuite. Après les trois grands écroulements des XXe et XXIe siècles – à Randa en 1991, à Gondo en 2000 nous avons vécu à Brienz est un tour de force.» Malgré la situation géologique complexe, on a réussi à interpréter correctement les mouvements de la montagne et à «évacuer la population au moment précis où l’événement s’est produit». Difficile, au fond, d’avoir meilleure prise sur la montagne. Cela ne signifie pas pour autant que la relation entre la Suisse et ses montagnes, dont l’imprévisibilité s’accroît, ne nécessite aucune retouche. L’alpiniste professionnel Roger Schäli connaît bien la sensation que provoque une montagne qui part en miettes. Il a gravi plus de 50 fois la face nord de l’Eiger, empruntant souvent la voie tracée par le tout premier alpiniste parvenu à son sommet, le célèbre champ de neige de l’Araignée blanche. Aujourd’hui, ce névé fond souvent intégralement en été. «La chaleur met la face nord de l’Eiger à rude épreuve, confie Roger Schäli. Il y a bien plus d’eau qui ruisselle, et les chutes de pierres se sont intensifiées en force et en durée. Il n’y a que dans les passages très raides que les alpinistes sont un peu protégés, car les pierres volent au-dessus d’eux.» Désormais, l’itinéraire classique ne peut pratiquement plus être emprunté qu’en hiver, lorsque les températures sont négatives. Le phénomène que ce professionnel côtoie dans les conditions extrêmes de l’Eiger, les alpinistes amateurs y sont aussi confrontés. Le Club Alpin Suisse (CAS) possède 153 cabanes en montagne, dont bon nombre sont potentiellement menacées par le réchauffement climatique. En 2021, le CAS a pour la première fois abandonné l’exploitation d’une cabane – la Mutthornhütte, dans la vallée de la Kander – en raison du danger imminent d’écroulement. Sa reconstruction à un endroit plus sûr coûtera 3,5 millions de francs. Avoir les montagnes sous contrôle est un luxe qu’il faut pouvoir s’offrir… Le 2 septembre 1806, une coulée de pierres de 40 millions de mètres cubes a dévalé du Rossberg vers Goldau. Bilan: 500 morts et d’incommensurables ravages. Illustration: Franz Xaver Triner (1767–1824) et Gabriel Lory (1763–1840); archives du canton de Schwyz Des riverains de Bondo (GR) regardent leur village ravagé par une coulée de boue, le 25 août 2017. La cause: un immense effondrement survenu au Piz Cengalo deux jours auparavant. Photo Keystone Revue Suisse / Octobre 2023 / N°5 7

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