Revue Suisse 1/2024

Derrière les volutes d’encens, les noirs abîmes de l’Église catholique «Formule magique» ou formule statique? L’élection du Conseil fédéral ne réserve presque aucune surprise Caquetage et battements d’ailes en ville: la poule de compagnie conquiert les jardins suisses JANVIER 2024 La revue des Suisses·ses de l’étranger

Profitez d’une version claire et lisible de la «Revue Suisse» sur votre tablette ou smartphone. L’application est gratuite et sans publicité. Vous la trouverez en recherchant «Swiss Review» dans votre Appstore. Lisez comme sur papier. Derrière les volutes d’encens, les noirs abîmes de l’Église catholique «Formule magique» ou formule statique? L’élection du Conseil fédéral ne réserve presque aucune surprise Caquetage, fouissement et battements d’ailes en ville: la poule de compagnie conquiert les jardins urbains JANVIER 2024 La revue des Suisses·ses de l’étranger REVUE SUISSE Toute l’info, sans frontière Les nouvelles pertinentes en provenance de Suisse La plateforme des Suisses de l’étranger Toute l’info, sans frontière Les nouvelles pertinentes en provenance de Suisse Toute l’info, sans frontière Les nouvelles pertinentes en provenance de Suisse La plateforme des Suisses de l’étranger © Lloyd Alozie, pexels.com Les services consulaires partout, facilement accessibles depuis vos appareils mobiles Bakou www.dfae.admin.ch Scannez le code QR pour faire un don dès maintenant et participez ainsi activement à l’accomplissement de notre mission commune. Ensemble, créons un avenir solide pour les plus de 800’000 Suisses·ses vivant à travers le monde. AIDEZ-NOUS À MAINTENIR LE LIEN Votre soutien joue un rôle essentiel pour l’Organisation des Suisses de l’étranger, SwissCommunity. Chaque don contribue à maintenir ce lien indéfectible entre vous et la Suisse, à soutenir nos programmes et nos projets, tels que la « Revue Suisse » ou les camps pour les jeunes Suisses et Suissesses vivant à l’étranger, et à renforcer notre communauté.

Effroyable et honteux: en Suisse, des centaines – au bas mot – d’enfants et d’adolescents ont été abusés sexuellement par des directeurs de conscience catholiques. Les agressions sexuelles sont toujours inexcusables. Mais lorsqu’elles sont commises par des individus qui, aux yeux des enfants, incarnent la bonté et la protection, la foi et la morale, elles prennent une dimension monstrueuse. Pour les victimes. Mais aussi pour l’Église. Et c’est ce dont fait actuellement l’expérience l’Église catholique romaine de Suisse, in extremis. Ayant initié elle-même l’exploration de ce sombre passé, elle n’en est pas moins exposée à une tempête d’indignation. Les fidèles lui tournent le dos en grand nombre. Et les organismes laïcs responsables de la vie de l’Église en Suisse, les paroisses et leurs comités élus démocratiquement, se rebellent un peu partout contre le clergé catholique. Nous abordons ce grave sujet dans notre dossier «En profondeur», et y citons un théologien, qui affirme que l’Église catholique traverse là sa crise la plus profonde depuis la Réforme. Ce cataclysme a-t-il un intérêt au-delà des cercles catholiques? Oui, car l’Église est en perte de vitesse depuis des dizaines d’années en Suisse, et le phénomène est de plus en plus frappant: la société dans son ensemble, qui aime à se réclamer des valeurs de l’Occident chrétien, se sécularise à toute allure. La chronologie le montre: en 1970, près de 98 % des citoyens faisaient partie de la communauté de croyance catholique, protestante ou juive en Suisse; en 2020, ils étaient un peu plus de 60 %. Les personnes qui ne sont pas du tout portées sur l’Église et la religion au sens classique du terme forment d’ores et déjà la plus grande «communauté de croyance». Les dossiers qui viennent d’être extraits des archives catholiques accélèrent encore cette évolution. La façon dont le gouvernement suisse est élu ne fait quant à elle l’objet d’aucune évolution accélérée, bien au contraire. D’abord, on discute avec ardeur: faut-il, oui ou non, remanier la mystérieuse loi non écrite qui régit la répartition des sièges entre les partis politiques au Conseil fédéral, la fameuse «formule magique»? On débat, on débat… et finalement, tout reste comme avant. La «formule magique» est donc plutôt une «formule statique». Comprenons-nous bien: de nombreux Suisses apprécient l’ennuyeuse fiabilité de leur système politique, qu’ils trouvent préférable aux séismes populistes. Eh bien, à ce propos, la Suisse vient d’élire son nouveau gouvernement pour quatre ans. Rendez-vous en page 18. MARC LETTAU, RÉDACTEUR EN CHEF 4 En profondeur De nombreuses agressions sexuelles ébranlent l’Église catholique 8 Sélection / Nouvelles 9 Reportage La poule est un animal de compagnie de plus en plus apprécié en Suisse 12 Élections La formule déterminant la composition du gouvernement national reste inchangée 14 Société Le crack se répand dans de nombreuses villes suisses, et surtout à Genève Actualités de votre région 17 Chiffres suisses On déménage de moins en moins en Suisse, et la raison est vite trouvée 18 Politique L’avenir de la prévoyance vieillesse fait l’objet d’idées diamétralement opposées 20 Nature et environnement Nucléaire: pas de nouvelles centrales à l’ordre du jour, et pourtant… 24 Littérature En 1941, Rudolf Kuhn décrivait déjà les conséquences d’une bombe atomique 25 Nouvelles du Palais fédéral 28 Infos de SwissCommunity Exceptionnellement, vous trouverez le courrier de notre lectorat sur www.revue.ch Lorsque le prêtre protecteur se mue en agresseur Photo de couverture: le rite de l’encens dans l’église d’un monastère suisse. Photo Keystone La «Revue Suisse», magazine d’information de la «Cinquième Suisse», est éditée par l’Organisation des Suisses de l’étranger. Revue Suisse / Janvier 2024 / N°1 3 Éditorial Table des matières

4 SUSANNE WENGER Pendant un an, une équipe de recherche de l’Université de Zurich, dirigée par les historiennes Monika Dommann et Marietta Meier, a exploré les archives de l’Église dans toutes les régions linguistiques de Suisse. Elle a passé en revue des dizaines de milliers de dossiers jusqu’ici secrets, et mené un grand nombre d’entretiens. Les résultats de cette étude pilote, publiée en septembre dernier, dévoilent un abîme. Les chercheurs ont trouvé des preuves d’un large éventail d’abus sexuels, allant du «franchissement problématique des limites aux abus systématiques les plus graves» sur de nombreuses années. Pour la période allant du milieu du XXe siècle à nos jours, l’étude a identifié en tout 1002 cas, 510 personnes accusées et 921 victimes. Trois quarts quelle irresponsabilité l’Église a géré ces abus. Le droit ecclésiastique, dans lequel l’abus sexuel sur mineurs constitue depuis longtemps une infraction grave, n’a guère été appliqué. Les responsables ont détourné le regard, minimisé ou dissimulé les faits. Souvent, les prêtres accusés ou reconnus coupables ont simplement été transférés (voir encadré). Ainsi, l’Église a pris le risque de faire d’autres victimes. Elle a placé ses propres intérêts au-dessus de la protection de ses membres, notent les chercheurs. Pour les auteurs de l’étude, les cas identifiés ne constituent que la pointe de l’iceberg, certains documents étant toujours tenus secrets, par exemple dans la nonciature apostolique, autrement dit la représentation diplomatique du Vatican en Suisse. Ce sont des organismes de l’Église catholique en L’Église a protégé les abuseurs, pas les victimes Une étude scientifique a établi pour la première fois des faits sur les abus sexuels commis dans l’Église catholique suisse ces 70 dernières années. Depuis, la base des fidèles est en état de choc. Les responsables ecclésiastiques sont sous pression, et la plus grande Église nationale est en crise. des victimes étaient mineures, un peu plus de la moitié étaient des hommes. Les accusés étaient presque tous des hommes, principalement des prêtres qui travaillaient dans les paroisses en tant que curés ou ecclésiastiques auxiliaires, tels que des vicaires ou des aumôniers. D’après les chercheurs, ce sont surtout dans les «espaces sociaux présentant des modèles spécifiques de rapports de pouvoir» qu’ont été commises les agressions: rites spirituels, liturgie, enseignement religieux, groupes de jeunes, foyers et internats catholiques. Transférés au lieu d’être suspendus Les agressions sexuelles n’existent pas que dans l’Église catholique, et tous les membres du clergé ne sont pas soupçonnés. Toutefois, en lisant ce rapport de 134 pages, on voit avec Photo Keystone Revue Suisse / Janvier 2024 / N°1 En profondeur

Les souffrances des victimes Aujourd’hui âgée de 62 ans, Vreni Peterer a été victime de graves abus de la part du prêtre d’un village du canton de Saint-Gall au début des années 1970, alors qu’elle avait dix ans. Pour encourager d’autres victimes à parler de ce qu’elles ont subi, elle a récemment rendu son histoire publique, après l’avoir tue durant des décennies. Pendant le catéchisme, le curé se livrait régulièrement à des attouchements déplacés sur les fillettes. Un jour, il a insisté pour ramener Vreni à la maison en voiture. Mais au lieu de se rendre chez elle, il l’a entraînée à l’orée de la forêt et l’a violée. L’écolière, arrivée en retard à la maison, fut réprimandée par sa mère. Parler de ce qui s’était produit était impensable, relate aujourd’hui Vreni Peterer. Son bourreau l’avait en effet menacée d’aller en enfer. De plus, en tant que curé, son autorité était intouchable. Une fois adulte, Vreni Peterer a souffert de troubles physiques et psychiques et a dû recourir à des thérapies. Ce n’est qu’en 2018 qu’elle a réussi à s’adresser à la commission d’experts du diocèse de Saint-Gall, instituée en 2002, et à dénoncer le curé. Il était déjà décédé. En ayant accès au dossier, elle a appris qu’il avait déjà été soupçonné dans une autre paroisse. Un tribunal laïc l’avait même condamné à une peine de prison avec sursis pour attentat à la pudeur des enfants. Malgré cela, il avait été nommé plus tard curé de la paroisse de Vreni. Pour celle-ci, le constat est amer, car ses souffrances auraient pu être évitées. Vreni Peterer préside aujourd’hui une communauté d’intérêts pour les victimes d’abus sexuels au sein de l’Église. Elle n’a pas quitté cette dernière. Elle n’a rien contre l’Église, dit-elle, seulement contre les abus qui y sont commis. (SWE) 5 Suisse qui ont commandé eux-mêmes cette étude en 2021, entre autres la Conférence des évêques suisses (CES) et la Conférence centrale catholique romaine de Suisse (RKZ), une sorte de faîtière des Églises cantonales de droit public. Cette étude suisse arrive tard en comparaison internationale, et ses résultats ont ébranlé l’Église. Une enquête préliminaire visant des évêques Qu’une institution qui se présente comme une instance morale produise tant de victimes sans réellement se soucier de leur sort: voilà le véritable scandale, s’est offusqué le théologien Daniel Kosch dans la «Neue Zürcher Zeitung». D’après lui, il s’agit là de la crise la plus profonde de l’Église catholique en Suisse depuis la Réforme. Pourtant, depuis l’an 2000, les catholiques suisses ont renforcé leur lutte contre les abus sexuels. En 2002, la CES a édicté des directives. Désormais, chacun des six diocèses doit posséder un concept de prévention et une commission d’experts à qui les personnes concernées doivent pouvoir s’adresser. Les victimes d’abus prescrits reçoivent de l’argent d’un fonds d’indemnisation créé en 2016. Réagissant à l’étude, la CES a reconnu «la souffrance des victimes et la faute de l’Église». Son président, l’évêque bâlois Felix Gmür, a annoncé des mesures supplémentaires, notamment la création de centres de signalement indépendants de l’Église. En mauvaise posture, l’évêque de Saint-Gall, Markus Büchel, a présenté des excuses: un des cas graves décrits dans l’étude et remontant à un passé récent s’est en effet produit dans son diocèse. Les responsables de l’Église n’ont cependant pas réussi à convaincre le grand public. Il faut dire qu’ils se retrouvent eux-mêmes au cœur d’investigations, comme l’ont révélé les médias. En été, le pape avait ordonné une enquête préliminaire de droit canonique visant notamment quatre membres de la CES en activité sur neuf. L’évêque Joseph Bonnemain enquêtera Le père-abbé de l’abbaye de Saint-Maurice, en Valais – qui, en tant que responsable d’un diocèse territorial, est membre de la CES –, est lui-même accusé d’avoir harcelé sexuellement un jeune. Il a provisoirement quitté son poste. Dans les cas d’abus concernés, trois évêques n’auraient pas agi conformément aux règles. Ils ont déjà admis des erreurs, tout en rejetant certains reproches. Rome a chargé JoLa vénérable abbaye de Saint-Maurice (VS), où plusieurs enfants et adolescents auraient été victimes d’agressions sexuelles. Photo Keystone Revue Suisse / Janvier 2024 / N°1

Il a transmis une intervention demandant à l’évêque bâlois Felix Gmür de lutter plus énergiquement contre les abus, en menaçant de ne pas verser la seconde partie de sa contribution annuelle au diocèse à l’automne 2024. Une commission spéciale du synode jugera si les efforts ont été suffisants. «C’est un véritable coup de tonnerre dans l’Église catholique», a commenté le portail d’information kath.ch. «Mon supérieur est le pape» L’évêque de Bâle, en qui les fidèles plaçaient leurs espoirs, a été déconcerté par cette confrontation ouverte du synode. Il a indiqué qu’une partie des exigences avait déjà été satisfaite, et que les autres seraient portées à Rome par les évêques suisses. Il a aussi souligné que beaucoup de choses ne dépendaient pas de lui: «Mon supérieur est le pape, et nul autre», a déclaré Felix Gmür à l’adresse du synode. D’autres Églises cantonales ont proclamé leur soutien à l’Église lucernoise sur le fond, tout en renonçant à prévoir des sanctions. Beaucoup s’accordent sur le fait que l’affaire des abus révèle des problèmes plus profonds au sein de l’Église catholique. Non seulement en ce qui concerne ses structures hiérarchiques, mais aussi ses positions et ses principes. D’après la RKZ, l’Église doit abandonner sa morale sexuelle rigide et homophobe et permettre aux employés ecclésiastiques de vivre en couple. Dans leur étude, les chercheurs zurichois se demandent eux aussi si les «spécificités catholiques» pourraient avoir favorisé les abus: la morale sexuelle, le célibat, la vision des genres au sein de l’Église, sa relation ambivalente avec l’homosexualité. Ils continueront de creuser cette question parmi d’autres, car leur étude pilote sera suivie de recherches approfondies. L’Église s’est engagée à les mener jusqu’en 2026. L’étude est disponible sous ce lien: revue.link/eglise L’évêque de Coire, Joseph Bonnemain, a dû enquêter sur des accusations de dissimulation dirigées contre ses pairs. C’est Rome qui l’a chargé de l’enquête. Photo Keystone seph Bonnemain, évêque de Coire depuis 2021, de mener une enquête préliminaire. Dans son diocèse, celui-ci combat activement les abus. Des voix critiques se sont cependant élevées, doutant du fait que l’évêque puisse enquêter en toute indépendance contre ses pairs. Joseph Bonnemain s’est ainsi vu adjoindre les services d’une experte en droit pénal et d’un juge cantonal. L’évêque de Coire prévoit de rendre son rapport d’ici la fin de 2023 (après le bouclage de ce numéro de la «Revue Suisse»). Selon ses résultats, l’autorité papale pourra prononcer des mesures disciplinaires ou ouvrir des procédures pénales ecclésiastiques. Entretemps, une partie des fidèles ont été gagnés par l’impression que les évêques, en dépit de leurs protestations, ne s’attaquent pas assez résolument aux points faibles en matière d’abus. La RKZ a formulé plusieurs demandes, exigeant notamment la séparation des pouvoirs dans le droit canonique et la création d’un tribunal pénal ecclésiastique suisse rassemblant des laïcs et des spécialistes. Rébellion en terre catholique Dans tout le pays, les paroisses catholiques ont senti le mécontentement des fidèles après la publication de l’étude, en faisant face à une vague de départs. Il est vrai que ces défections durent depuis un certain temps déjà, et qu’outre l’Église catholique – la plus grande du pays –, elles touchent aussi l’Église protestante, deuxième en taille. Des milliers de fidèles leur tournent le dos chaque année. Dans le canton de Lucerne, terre à l’ancrage catholique très fort, l’Église s’est tellement alarmée qu’elle est entrée en rébellion ouverte. En septembre, 14 paroisses ont décidé de suspendre le paiement de leur impôt ecclésiastique au diocèse de Bâle (voir interview). En novembre, le synode, parlement de l’Église catholique du canton de Lucerne, s’est rangé derrière les rebelles. Les bancs des églises, comme ici celle de Saint-Gall, se vident depuis des années. L’Église catholique romaine est confrontée au départ de nombreux fidèles. Photo Keystone Revue Suisse / Janvier 2024 / N°1 6 En profondeur

célibat obligatoire dans la prêtrise. Ceux qui veulent rester célibataires et chastes doivent pouvoir continuer de le faire, mais cela ne doit plus être une obligation. La sexualité est un cadeau de Dieu. Le célibat obligatoire constitue en outre un facteur de risque pour les abus. Des études montrent qu’il attire parfois des personnes ayant des problèmes, par exemple des tendances pédophiles. Vous exigez que les évêques suisses promeuvent des réformes. Mais ils répondent qu’ils ne peuvent rien faire sans l’aval de Rome. Pour moi, il s’agit là d’une excuse. La lenteur de Rome passe complètement à côté des réalités de la vie en Suisse. Les évêques suisses se disent prêts à adopter des réformes, mais ils n’agissent pas. Nous devons faire preuve de courage et trouver un moyen de mettre en œuvre des réformes, au moins partielles, en Suisse, en prenant le risque de déplaire au Vatican. Nous n’avons plus beaucoup de temps. À mes yeux, il est presque déjà trop tard pour l’Église catholique. Aujourd’hui, quel est votre rapport personnel à l’Église catholique? J’ai grandi en son sein, elle me tient à cœur. Et je n’ai pas encore tout à fait perdu l’espoir qu’elle puisse évoluer. C’est pourquoi j’investis de l’énergie et du temps pour faire bouger les choses. L’initiative de notre petite paroisse d’Adligenswil a reçu beaucoup de soutien: c’est encourageant. Les gens voient qu’il se passe quelque chose. L’avenir dira si l’Église parviendra à rétablir sa crédibilité. Monika Koller Schinca préside la paroisse d’Adligenswil, près de la ville de Lucerne, depuis 2021. Âgée de 50 ans, elle dirige un bureau de coaching. Elle est mariée et mère de trois enfants. Monika Koller Schinca exige que «les faits soient élucidés sans ménagement et que des mesures soient prises en conséquence», car la confiance des gens en l’Église catholique s’érode. Photo DR «Faire preuve de courage et mettre en œuvre des réformes» Après la révélation de plus d’un millier de cas d’abus sexuels au sein de l’Église catholique, la paroisse d’Adligenswil, dans le canton de Lucerne, a suspendu ses paiements au diocèse. Beaucoup de choses doivent changer dans l’Église, déclare la présidente de la paroisse, Monika Koller Schinca, une voix de la base des fidèles. insuffisante à nos yeux, des évêques aux résultats de l’étude. À présent, nous avons besoin d’actes, et plus seulement de paroles: il faut élucider les faits sans ménagement et que des mesures soient prises en conséquence. Car la confiance des gens en l’Église catholique s’érode. Ils sont extrêmement nombreux à la quitter. C’est la raison pour laquelle vous avez choisi un acte fort, bien que les abus sexuels soient un sujet connu de longue date? Oui. La base des fidèles doit réagir, et de façon énergique. C’est pourquoi nous appuyons nos exigences sur une pression financière. Dans les villages de notre région, l’Église est toujours un pilier important de la société: de nombreuses personnes s’y engagent et s’y rendent utiles. Après la publication de l’étude, nous avons reçu un nombre de démissions supérieur à la moyenne. Ce qui m’a particulièrement affectée est le fait que cette fois, ces départs concernent aussi de nombreuses personnes âgées, qui font partie de la génération des gens qui vont encore régulièrement à l’église. C’est le signe que quelque chose cloche. Outre les enquêtes sur les abus, des réformes et un changement culturel sont urgents. Nous voulons faire bouger les choses et secouer le système. Qu’est-ce qui doit changer? L’un des points essentiels est que les femmes doivent obtenir les mêmes droits que les hommes. Dans le canton de Lucerne, 60 % des employés ecclésiastiques et 75 % des bénévoles sont des femmes. Notre Église est donc portée en grande partie par les femmes, mais plus on grimpe dans la hiérarchie, plus les hommes dominent. Les femmes ne peuvent toujours pas être ordonnées prêtres ou diacres. Par ailleurs, il faut abolir le INTERVIEW: SUSANNE WENGER Revue Suisse: Vous présidez la paroisse d’Adligenswil. En quoi consiste votre fonction? Monika Koller Schinca: L’Église catholique romaine en Suisse possède un pilier pastoral, avec les diocèses et les paroisses, et un pilier de droit public ecclésiastique ou laïc, avec les Églises nationales cantonales et les communes ecclésiastiques. C’est un système unique au monde. Quant à moi, je travaille dans la structure laïque. Notre conseil de paroisse, élu démocratiquement, s’occupe des finances, des constructions et des engagements, tandis que les services pastoraux sont responsables des contenus ecclésiastiques. Nous travaillons en étroite collaboration. Votre paroisse est entrée en rébellion en cessant ses paiements au diocèse, ce que le parlement cantonal de l’Église a aussi menacé de faire par la suite (voir article principal). Qu’est-ce qui vous a poussés à faire cette démarche inhabituelle? Le grand nombre d’abus sexuels avérés nous a choqués. Nous nous sentons solidaires avec les victimes. Dans de nombreuses affaires, les responsables de l’Église ont dissimulé les faits. Nous trouvons cela honteux. Mais le déclencheur a été la réaction, Revue Suisse / Janvier 2024 / N°1 7

La Suisse réduit la protection du loup Depuis le 1er décembre 2023, le Conseil fédéral autorise les tirs de loups à titre préventif. Dans des cas fondés, il est également possible d’abattre des meutes complètes. Ainsi, le gouvernement réduit considérablement la protection du loup. Jusqu’ici, seuls les tirs de loups qui causaient des dommages et s’attaquaient aux animaux de rente étaient autorisés. Aujourd’hui, 32 meutes de loups vivent en Suisse. D’après le ministre de l’environnement, Albert Rösti, l’objectif est de conserver toujours au moins douze meutes en Suisse. Ce nombre est insuffisant pour la survie de l’espèce. Il y a trois ans, Reinhard Schnidrig, le spécialiste de la faune sauvage de la Confédération, indiquait à la «Revue Suisse»: «Environ 60 meutes regroupant 300 animaux pourraient vivre dans les Alpes suisses et le Jura: c’est la limite écologiquement tolérable. En termes de protection de l’espèce, un seuil minimal est décisif car pour conserver le loup sur plusieurs générations, on a besoin d’environ 20 meutes.» L’assouplissement de la protection est ainsi avant tout motivé par des considérations politiques, et non scientifiques. Rappelons que les citoyens s’étaient clairement exprimés en faveur de la protection du loup dans les urnes il y a trois ans. Lien vers l’interview: revue.link/loup. (MUL) Les réfugiés ukrainiens peuvent rester plus longtemps Depuis l’agression de l’Ukraine par la Russie, des dizaines de milliers d’Ukrainiens ont trouvé refuge en Suisse. Le pays leur accordait le statut de protection «S», qui permet un accueil rapide et temporaire, sans procédure d’asile. Le Conseil fédéral, qui ne s’attend pas à une fin rapide de la guerre, vient de décider de prolonger le statut S des réfugiés ukrainiens au moins jusqu’au 4 mars 2025. La Suisse s’aligne ainsi sur l’Union européenne, qui avait déjà prononcé cette prolongation plus tôt. (MUL) Augmentation des actes de violence antisémites Depuis l’attaque terroriste du Hamas en Israël et la réaction d’Israël, le nombre d’actes de violence antisémites a augmenté en Suisse aussi, et ce de près d’un quart. La présidente de la Commission fédérale contre le racisme, Martine Brunschwig Graf, indique qu’outre le nombre des incidents, c’est leur intensité qui frappe. Cependant, elle observe aussi un surcroît des tensions dirigées contre les musulmans. La Fédération suisse des communautés israélites a vivement réagi en novembre, exigeant une condamnation sans appel de l’antisémitisme par le Conseil fédéral. (MUL) Applaudissements modérés pour le onze suisse L’an prochain aussi, l’équipe nationale suisse de football prendra part à un grand tournoi. Elle s’est qualifiée pour les championnats européens de football, qui auront lieu durant l’été 2024 en Allemagne. En se retrouvant dans le groupe de qualification réunissant Andorre, le Bélarus, Israël, le Kosovo et la Roumanie, le onze suisse, emmené par l’entraîneur Murat Yakin, pensait clairement être en position de favori. Cela s’est avéré plus difficile que prévu. (MUL) Simon Ammann Combien de secondes le champion suisse de saut à ski Simon Amman aura-t-il passé en l’air lors de sa carrière, débutée à l’âge de onze ans? Environ 4000, avec une durée moyenne de quatre secondes par saut. Soit un peu plus de quatre heures passées entre ciel et terre. Sachant que les adeptes de ce sport décrivent ces moments comme hors du temps, c’est énorme. Le vol dure dans la tête. C’est aussi là que le saut à ski se gagne à 80%. Cette joie impossible à décrire de voler skis aux pieds à plus de 100 km/h, voilà le ressort de la vie sportive de Simon Amman, le sauteur du village d’Unterwasser (SG) qui continue de voler alors que la presse annonce son départ saison après saison. Sur une photo datée de 2002, le natif de Saint-Gall fête deux médailles d’or glanées aux Jeux olympiques de Salt Lake City. Ses cheveux ébouriffés pointent au-dessus d’une paire de lunettes ovales. Il porte une simple chemise à carreaux marron. Les Américains y ont vu Harry Potter. Pour les Suisses, il est la mésange du Toggenburg. Le fils d’un paysan. Simon? Simi? Les gens qui le connaissent le saluent comme un bon camarade. Les connaisseurs relèvent une position compacte au moment du saut et une capacité à évoluer de façon stable dans les airs. La précision de ses atterrissages est remarquable. Ces qualités ont fait de Simi une star planétaire: quadruple champion olympique, deux fois médaillé d’or. Sa vie n’a pas été rectiligne pour autant. En 2015, il chute lourdement. À partir de là, Simon retiendra l’élan de ses sauts, décidant au passage de se poser avec le pied droit plutôt que le gauche. Une petite révolution. En mars 2023, Simi, âgé de 41 ans, a été le vétéran et le meilleur représentant suisse au grand tremplin des Mondiaux de Planica, en Slovénie. Et il volera encore. STÉPHANE HERZOG Revue Suisse / Janvier 2024 / N°1 8 Sélection Nouvelles

DENISE LACHAT L’animal domestique préféré des Suisses? Exact: c’est le poisson. Peutêtre que comme beaucoup, vous auriez répondu spontanément le chat, mais en termes de chiffres, le poisson nage clairement au-dessus de la mêlée, comme l’indique la Protection suisse des animaux (PSA). On ne sait pas exactement combien de poissons frétillent dans les petits et grands aquariums privés, mais il doit y en avoir beaucoup. Car au classement des animaux de compagnie préférés, le chat arrive numéro deux: il y en a près de deux millions en Suisse. Arrive ensuite le chien, avec un demi-million. Actuellement, c’est toutefois un animal qu’on n’associe pas spontanément aux câlins et aux caresses (tout comme le poisson, d’ailleurs) qui attire l’attention: la poule. Oui, le gallinacé a la cote auprès des Suisses. On estime que 70 000 ménages privés détiennent des poules, et la tendance est à la hausse. «Les poules sont de plus en plus appréciées. La pandémie de Covid pourrait y avoir contribué», confirme Sarah Camenisch, porte-parole de l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV). Les raisons précises de ce succès ne sont établies par aucune enquête solide, mais Sarah Camenisch évoque entre autres un La poule, le nouvel animal domestique qui fait fureur dans les jardins suisses D’animal d’élevage, la poule devient plus en plus souvent un animal domestique. Les jardins privés comptent déjà des dizaines de milliers de poulaillers. L’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires réagit lui aussi à ce phénomène. besoin croissant de nature. Des sondages généraux liés au Covid montrent en effet que la période de la pandémie a renforcé les liens des Suisses avec la nature. Boutiques, restaurants, écoles, centres de fitness et domaines skiables étant fermés, les gens ont tout à coup eu le temps d’aller se balader dans la nature, de confectionner leur propre pain et d’acheter des légumes frais à la ferme. Ils ont également adopté de nombreux chiens et chats, car ils se sentaient seuls en télétravail ou en formation à distance. Pour Samuel Furrer, zoologue et directeur du Domaine technique de la PSA, cet engouement pour la poule Photo iStockphoto Plus haut, plus grand, plus rapide, plus beau? À la recherche des records suisses qui sortent de l’ordinaire. Aujourd’hui: l’animal domestique le plus tendance du moment. Revue Suisse / Janvier 2024 / N°1 9 Reportage

«Il est crucial de préserver les intérêts des animaux, que l’on détienne des baleines bleues, des abeilles mellifères ou des poules.» Bernd Schildger, ancien directeur du zoo de Berne talents de bricolage que l’on a, il faut compter entre 1500 et 4000 francs. À cela s’ajoutent des coûts de fourrage annuels d’environ 400 francs. Les poules ne doivent en effet pas être nourries avec les restes de la cuisine familiale, mais avec des granulés ou des farines à base de maïs. Et, comme les autres animaux domestiques, elles ont parfois besoin du vétérinaire. D’après la Société des vétérinaires suisses, certains cabinets se domestique est aussi lié à une tendance globale: de plus en plus de consommateurs veulent savoir d’où proviennent leurs aliments et comment ils sont produits. Pour cela, qu’y a-t-il de mieux que de posséder son propre animal? «Certains particuliers tuent et mangent leurs poules», note-t-il. Cependant, la plupart se contentent de leurs œufs. C’est particulièrement vrai pour les personnes objectif: protéger le bien-être animal et éviter la propagation d’épizooties. Les particuliers qui veulent élever des poules doivent d’abord avoir assez de place à disposition. Dans l’idéal, trois poules ont besoin d’une surface herbeuse de 50 m³ pour fouir, picorer et prendre des bains de poussière. Précisons d’emblée que les poules sont des animaux qui vivent en groupe, et qu’elles ne doivent donc pas être détenues seules. Il en faut ainsi au moins deux, et idéalement trois. Le poulailler doit être verrouillable et compter au moins 2 m² pour trois poules. Il faut enfin une volière close, afin de protéger les poules contre les renards et les martres. La volière sert également à ne pas devoir enfermer les animaux à l’intérieur en cas d’épizootie telle que la grippe aviaire. Samuel Furrer, de la PSA, note que cette infrastructure peut rapidement s’avérer onéreuse. Selon les La poule domestique intéresse même l’État: les détenteurs privés doivent s’annoncer auprès des autorités vétérinaires. Cela permet de lutter contre la propagation d’épidémies. Photo Keystone La poule n’est pas une peluche, mais elle tolère la proximité de l’être humain. Photo Keystone qui donnent un nom à leurs protégées et les serrent tendrement dans leurs bras, comme on peut très bien se figurer la scène avec, par exemple, une pelucheuse poule Pékin. Pour le bien-être animal, contre les épizooties Pourtant, les poules ne devraient pas être câlinées ou portées dans les bras. «La plupart d’entre elles n’aiment pas ça», explique Sarah Camenisch, en soulignant que les poules sont des animaux «d’observation». Et comme les éleveurs privés doivent observer un certain nombre d’autres points encore, l’OSAV et la PSA ont lancé à l’échelle suisse au printemps 2023 une campagne ayant un double Revue Suisse / Janvier 2024 / N°1 10 Reportage

sont spécialisés dans le traitement d’animaux de compagnie tels que les oiseaux et les lapins. Ces cabinets ont l’habitude de soigner les poules comme d’autres les chiens et les chats. Ils traitent des infections des voies respiratoires, des blessures ou des maladies de l’appareil de ponte, des vers, des puces, des acariens et d’autres parasites. Ainsi, il faut bien réfléchir avant d’acquérir des poules. Et il convient de les inscrire auprès des offices cantonaux compétents, afin que des mesures d’urgence puissent être prises en cas d’épizooties comme la grippe aviaire ou la maladie de Newcastle. Pour éviter la propagation d’une épidémie, les poules doivent parfois être confinées dans le poulailler. Adopter des poules Il est vrai que la poule domestique reste marginale par rapport à la poule d’élevage, dont on dénombrait plus de 13 millions d’individus en Suisse en 2022, soit environ 4 % de plus que l’année précédente. En même temps, de plus en plus de poules pondeuses «mises au rebut» et adoptées par des particuliers fouissent et picorent dans des jardins privés. C’est que l’industrie de l’élevage intensif se désintéresse des poules pondeuses durant la mue, qui dure entre quatre et six semaines, car elles ne pondent pas d’œufs pendant ce temps. Les poules connaissent ainsi une fin de vie précoce, à un an environ, alors qu’elles peuvent tout à fait vivre jusqu’à quatre, voire six ans. Après la mue, les poules se remettent à pondre un œuf par jour, indique Samuel Furrer, qui apprécie les initiatives comme «Adopte une cocotte» ou «Rettet das Huhn». «De cette façon, les poules peuvent vivre de vieux jours agréables.» Elles doivent cependant pouvoir s’acclimater et s’adapter socialement, car elles sont issues d’élevages intensifs, où elles ont été engraissées avec des aliments riches en énergie. Une place dans la conscience humaine La poule est-elle actuellement l’animal domestique le plus tendance de Suisse? «En l’absence de chiffres nous permettant d’établir des comparaisons, nous ne le savons pas vraiment», admet Samuel Furrer. Le zoologue pense néanmoins qu’il n’est pas faux de parler d’un boom. Du reste, cela ne serait pas le premier. Les réseaux sociaux regorgent d’histoires attendrissantes de mignons cochons nains, par exemple, même si ceux-ci, tout comme les poules, ne devraient pas avoir leur place dans le lit de leurs propriétaires. Pour le vétérinaire Bernd Schildger, ancien directeur du parc zoologique Dählhölzli à Berne, dont fait également partie le Parc aux ours, il s’agit là du point essentiel: «Il est crucial de préserver les intérêts des animaux avant de satisfaire les besoins des êtres humains, et ce, que l’on détienne des baleines bleues, des abeilles mellifères ou des poules.» Bernd Schildger est cependant tout à fait favorable au principe de la détention privée d’animaux. Car l’être humain, dit-il, s’est détaché d’eux et de la nature et les a bannis de son environnement et de sa conscience: «Pourquoi pensez-vous que les abattoirs sont entourés de fils barbelés?». En d’autres termes: ce que l’être humain ne voit pas l’indiffère. Si l’animal, grâce à la détention privée, retrouve une place dans la conscience humaine, il est protégé. Pour les poules, qui dans l’élevage industriel vivent parfois dans des conditions atroces, «les éleveurs privés font donc quelque chose de bien». Bien sûr, les poules sont bien plus que de simples productrices d’œufs. Elles ont leur propre charme et leur personnalité. Ces créatures amusantes, qui nous regardent attentivement avec la tête penchée et nous font sourire, sont en outre communicatives et donc plutôt bruyantes. Avant d’en acquérir, il vaut donc la peine de discuter avec son voisinage, conseille la représentante de l’OSAV, Sarah Camenisch. Quand on pense que des Suisses sont attaqués en justice pour un simple bruit de cloches d’église ou de vaches, on se dit qu’elle a sans doute raison. Dans l’ensemble, néanmoins, la poule semble appréciée, parce qu’elle amène avec elle un morceau de campagne dans les villes suisses. Elle est moins controversée que le chat, qui a la mort de milliers d’oiseaux sur la conscience. Le représentant de la PSA, Samuel Furrer, prend tout de même la défense du petit félin: outre l’utilité des colliers à grelots, un plus grand nombre de haies et de buissons dans les jardins privés pourraient offrir des abris aux oiseaux. Ainsi, dans ce cas aussi, renforcer la proximité avec la nature pourrait être une solution. Quand la poule renouvelle son plumage, après un an, elle cesse de pondre et perd ainsi son intérêt commercial. Souvent, des particuliers «adoptent» ces poules écartées de la production. Photo iStock Pourquoi les gens adoptent-ils une poule? Le plus souvent pour ses œufs, très rarement pour sa viande. Photo iStock Revue Suisse / Janvier 2024 / N°1 11

THEODORA PETER Le renouvellement du Conseil fédéral du 13 décembre 2023 a été placé sous le signe de la continuité. La majorité du Parlement n’a pas voulu bouleverser les rapports de pouvoir actuels. Ainsi, ces quatre prochaines années, le Conseil fédéral continuera de compter deux membres de l’UDC, du PS et du PLR ainsi qu’un membre du Centre (voir p. 13). La loi non écrite de la «formule magique» prévoit un gouvernement de coalition dans lequel les quatre plus grands partis sont représentés en fonction de leur part d’électeurs. Après la victoire électorale de l’UDC et le renforcement du PS, leurs sièges n’étaient pas contestés. Les deux plus grands partis de Suisse représentent des parts d’électeurs de 27,9 % (UDC) et de 18,3 % (PS). La place au gouvernement du troisième parti, le PLR, se tient nettement moins: après les élections fédérales, sa force électorale n’atteignait plus que 14,3 % et ne dépassait donc plus que d’un cheveu celle du Centre (14,1 %). En d’autres termes, il devient difficile d’expliquer pourquoi le PLR occupe deux sièges au Conseil fédéral, tandis que le Centre, presque aussi fort, n’en occupe qu’un. Malgré cela, en décembre, le Centre a renoncé à briguer un second siège au gouvernement au détriment du PLR. Il a justifié sa décision par le «respect des institutions». Le président du parti, Gerhard Pfister, a déclaré d’emblée que le Centre ne souhaitait pas obliger l’un des conseillers fédéraux en place à s’en aller. Les deux membres du gouvernement arborant les couleurs du PLR, Ignazio Cassis et Karin Keller-Sutter, s’étaient en effet tous deux présentés à leur réélection. L’UDC a elle aussi plaidé pour la stabilité en cette époque marquée par les crises, et n’a donc pas voulu affaiblir inutilement son allié dans le camp de droite, le PLR. L’assaut des Verts échoue Les Verts, qui constituent le cinquième parti de Suisse, ont tout de même tenté d’attaquer l’un des deux sièges du PLR. «Un gouvernement n’est stable et fort que s’il représente autant d’électeurs que possible», a déclaré Aline Trede, présidente du groupe parlementaire. Les Verts reLe Parlement mise sur la stabilité du Conseil fédéral La fameuse «formule magique» est toujours d’actualité pour la composition politique du Conseil fédéral: les quatre plus grands partis du pays se partagent les sept sièges du gouvernement. Néanmoins, on constate un malaise croissant face à ce «cartel du pouvoir». présentent une part d’électeurs de près de 10 %. «Arithmétiquement parlant, nous sommes ainsi plus proches d’un siège au Conseil fédéral que le PLR, avec ses 14 %, de deux sièges.» Les Vert’libéraux (PVL, force du parti: 7,6 %) ont eux aussi critiqué le fait que l’actuelle composition du gouvernement tienne trop peu compte de la volonté des électeurs. «Un quart d’entre eux ne sont pas représentés au Conseil fédéral», a souligné Corina Gredig, présidente du groupe parlementaire du PVL, en notant qu’il était par conséquent légitime de remettre en question le second siège du PLR. Le candidat Vert, Gerhard Andrey, a toutefois clairement échoué à se faire élire, tandis que les deux conseillers fédéraux PLR ont été confortablement confirmés dans La joie du nouvel élu: Beat Jans (PS) succède au sortant Alain Berset au Conseil fédéral. Le canton de Bâle-Ville fête ainsi son retour au gouvernement après 50 ans d’absence. Photo Keystone Les petits partis restent à l’écart du Conseil fédéral. Ainsi, un quart des électeurs ne sont pas représentés au gouvernement. Revue Suisse / Janvier 2024 / N°1 12 Politique

leurs fonctions. Cela est également dû au fait que le PS ne s’est pas montré désireux, lors du renouvellement intégral du Conseil fédéral, de bouleverser la «formule magique» en vigueur. C’est que le parti de gauche, le 13 décembre, avait besoin de voix du camp bourgeois pour conserver le siège de son magistrat sortant, Alain Berset. Cela lui a valu le reproche des Verts d’avoir vendu son âme au «cartel du pouvoir». Les socialistes faisaient également face à un dilemme en raison du processus électoral même. Le siège vacant du PS était le dernier à devoir être attribué, après la réélection des membres du gouvernement en place. Le parti craignait donc d’être puni par l’UDC et le PLR s’il défendait au préalable trop ardemment la candidature électorale des Verts. Ce froid calcul a porté ses fruits: le Parlement a finalement élu un des deux candidats officiels du PS pour succéder à Alain Berset. Nouveau visage au Conseil fédéral C’est Beat Jans, président du gouvernement bâlois et ancien conseiller national, qui a remporté la mise. Âgé de bientôt 60 ans, ce socialiste s’est présenté comme un bâtisseur de ponts, promettant un mandat placé sous le signe de l’ouverture. Il y avait 50 ans que le canton de Bâle-Ville n’avait plus eu de conseiller fédéral. Avec l’élection de Beat Jans, les centres urbains sont à nouveau mieux représentés au gouvernement suisse. Le départ du Fribourgeois Alain Berset met aussi fin à la majorité provisoire des cantons latins au Conseil fédéral: quatre des «sept Sages» sont à nouveau issus de régions germanoloir poursuivre sur la lancée actuelle. Il est évident, a-t-il déclaré, que «le vote électronique constitue pour de nombreux Suisses de l’étranger un instrument de participation politique essentiel». Pour lui, il est par conséquent juste que les citoyens suisses de l’étranger fassent partie du groupe cible prioritaire. SP Elisabeth Baume-Schneider Département fédéral de l’intérieur (DFI) SP Beat Jans Département fédéral de justice et police (DFJP) Le Centre Viola Amherd Dép. de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS) PLR Karin Keller-Sutter Département fédéral des finances (DFF) PLR Ignazio Cassis Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) UDC Albert Rösti Dép. environnement, transports, énergie et communication (DETEC) UDC Guy Parmelin Dép. de l’économie, de la formation et de la recherche (DEFR) phones, à l’image de la Valaisanne Viola Amherd (Le Centre), qui présidera le gouvernement en 2024. Le Parlement a également élu un nouveau Chancelier fédéral, qui, en tant que chef de l’état-major, coordonne les affaires du gouvernement. Au démissionnaire Walter Thurnherr, membre du parti du Centre (cf. Revue 6/2023 pour son portrait) succède ainsi Viktor Rossi, affilié aux Vert’libéraux. Il s’agit de la première fois qu’un membre d’un parti non gouvernemental conquiert ce poste au cœur du pouvoir. À la tête de la Chancellerie fédérale, Viktor Rossi sera aussi responsable du développement du vote électronique. Dans un sondage préélectoral de l’Organisation des Suisses de l’étranger, il a assuré vouGlissement nuancé à droite Lors des élections fédérales de l’automne 2023, l’Union démocratique du centre (UDC), parti conservateur de droite, a clairement remporté la mise au Conseil national (cf. «Revue Suisse» 6/23). Au Conseil des États, deuxième Chambre du Parlement, l’avancée du plus grand parti de droite a toutefois été freinée. Dans plusieurs cantons, et notamment à Zurich, les candidats UDC ont échoué au second tour malgré leur position favorable. Le PLR est lui aussi resté bien en deçà de ce qu’il espérait. Le Centre, en revanche, a consolidé sa position de force au Conseil des États. À gauche, le PS a progressé, tandis que les Verts ont continué à perdre du terrain. Les Vert’libéraux (PVL) sont de retour à la Chambre haute, dont voici la répartition détaillée des 46 sièges (en comparaison avec les élections de 2019): 15 sièges pour Le Centre (+2 sièges), 11 pour le PLR (-1), 9 pour le PS (-), 6 pour l’UDC (-), 3 pour les Verts (-2), 1 pour le PVL (+1) et 1 pour le MCG (+1). Ces résultats montrent que le Conseil des États restera dominé par les forces conservatrices à l’avenir. Mais c’est le Centre qui, encore davantage qu’aujourd’hui, fera pencher la balance. (TP) Aperçu de tous les résultats des élections parlementaires: www.wahlen.admin.ch/fr/ch/ Revue Suisse / Janvier 2024 / N°1 13

STÉPHANE HERZOG Trente ans après la fermeture du Platzspitz et du Letten, scènes ouvertes de l’héroïne zurichoises, l’usage de drogues dures en pleine rue revient. «On observe ces scènes dans les grandes villes suisses, mais aussi à Vevey, Bienne, Soleure, Brugg ou encore Coire», observe Frank Zobel, directeur adjoint d’Addiction Suisse. Dans la capitale grisonne, un parc a été investi par des consommateurs. Idem au centre de Zurich, à la Bäckeranlage. À Genève, le quartier de la gare de Cornavin est peuplé de consommateurs de crack. Cette fois, c’est la cocaïne qui est au centre de cette irruption. La poudre blanche inonde les pays européens, supplantant l’héroïne. Elle est proposée à bas prix et sa pureté dépasse parfois les 70%. «C’est du jamais vu», commente Frank Zobel, qui a rédigé un rapport sur le déferlement de crack à Genève. Fabriqué à base de cocaïne, ce produit est fumé dans une pipe de verre. Son effet est foudroyant. Le reflux des sensations appelle rapidement la prochaine fumette. Cette drogue est consommée en Suisse depuis des années. Mais sa disponibilité a fait un bond. «L’offre a doublé en une année. Elle a créé la demande», résume Nicolas Dietrich, délégué cantonal aux questions liées aux addictions à Fribourg. Du crack prêt à consommer Il s’avère que cette explosion a pris un tour exceptionnel à Genève. Cela, à cause d’un crack vendu prêt à l’emploi par des dealers francophones d’origine africaine venus de France. Les «modous», petit vendeur en wolof, ont mis en place un marché basé sur la vente de petites quantités à de petits prix. Avant, les consommateurs de crack achetaient de la cocaïne dans la rue et du bicarbonate de soude à la Migros, puis ils allaient faire leur cuisine chez eux. Le crack dans sa version discount a accéléré le rythme. Chaque jour, des dizaines de fumeurs s’amassent aux alentours de Quai 9, le local de consommation de drogues de Genève, situé à côté de la gare Cornavin. «Un tiers sont de Genève, un tiers viennent de France, un tiers sont issus de la migration», estime Camille Robert, co-directrice du Groupement romand d’étude des addictions. En juin, Première ligne, l’association qui gère Quai 9 a fermé ses portes une semaine durant. En cause, les comportements agressifs d’usagers de crack et des bagarres devant ce local. «Des collaborateurs se sont retrouvés au milieu de disputes à l’intérieur des locaux», raconte Thomas Herquel, directeur de l’association. Depuis, la «salle de fume» n’a plus ouvert ses portes aux fumeurs de crack, avec une exception pour les perLe crack déferle sur les villes suisses et provoque un choc Depuis 2022, une cocaïne concentrée et bon marché inonde la Suisse. Une partie de ce produit est vendu sous forme de crack. Des scènes ouvertes de drogue sont apparues dans plusieurs cantons. La ville de Genève est particulièrement touchée. sonnes qui viennent dormir au sleep-in de Quai 9, qui comporte douze lits de camp. Cette fermeture a créé un choc, reconnait Pascal Dupont, responsable d’Entracte, une structure d’accueil de jour pour personnes toxicomanes basée à Genève. L’explosion percute les structures spécialisées. «Le crack, c’est comme une série d’explosions qui se succèdent rapidement. Pour les usagers, issus d’un public vulnérable et déprimé, tout est ramené à l’instant immédiat, il n’y a plus de perspective temporelle», commente Gérald Thévoz, intervenant psychosocial et spécialiste des addictions. Les consommateurs ne s’alimentent plus, ne boivent plus, ne dorment plus. «Les personnes sous influence n’ont plus conscience de leur entourage social», décrit Gérald Thévoz. Leur état effraie les gens et les liens qu’ils ont avec leur entourage se défont. «Mon premier objectif, c’est de faire en sorte qu’un usager de drogues qui vient à Entracte revienne une deuxième fois», souligne Pascal Dupont. Ce responsable voit des habitués de longue date rompre le contact. Il faut parfois une hospitalisation pour ouvrir une porte de sortie. Médicaments à Fribourg Face à cette crise, le Conseil d’État genevois a déclenché un programme de six millions de francs, qui prévoit notamment une hausse de la présence policière. Le local Quai 9 sera agrandi, le personnel renforcé. De nouvelles places d’accueil de nuit seront proposées aux usagers. L’idée est d’offrir des lieux de répit à ces toxicomanes, dont une partie n’a droit à aucune aide sociale. C’est le cas des consommateurs venus de France, mais aussi de personnes vivant sans toit à GeLes petites doses prêtes à la consommation et vendues à bas prix ont fortement accéléré la propagation du crack à Genève. Photo Nils Ackermann, Lundi13 Revue Suisse / Janvier 2024 / N°1 14 Société

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