Revue Suisse 4/2023

à Saanen, dans le canton de Berne. Originaire du Kosovo, son père Hysni est grutier et maçon. Sa mère Elda, albanaise de naissance, a travaillé à la chocolaterie Cailler après que la famille a déménagé à Broc en 2000, résume d’un trait Wikipédia. Gjon grandit dans ce village de la Gruyère. Il tombe amoureux de la musique lors d’un cours de piano. Deux ans plus tard, dit la légende, il chantera «Can’t Help Falling in Love», d’Elvis Presley, à son grandpère. Qui n’aurait pu retenir ses larmes. Voilà pour ce nom de scène un peu bizarre, que les gens prononcent à l’anglaise, Gjon devenant John. Influencé par The Cure et Björk L’univers de l’artiste, dont le jeu de scène fait penser à celui d’un chanteur lyrique, s’inspire de plusieurs genres. La pochette de son premier album le montre dans une redingote noire, Doc Martins aux pieds. Une référence à la New Wave et à The Cure en particulier. «The Game» laisse aussi entendre un amour du disco. Gjon’s Tears, qui a joué Bach enfant et qui s’est essayé au yodel et au chant indien, cite aussi parmi ses influences Cesária Évora, Grace Jones, Björk et David Bowie. La tonalité et la profondeur des paroles de ses chansons donnent à sa pop une coloration poétique et littéraire. Quand il joue seul au piano, Gjon peut faire penser à la chanteuse française Barbara, mais aussi à Brel et, plus proche de nous, au Belge Stromae. Avec sa collection «Ramuz Graphique», la maison d’édition Helvetiq a eu une idée en or: faire vivre le patrimoine littéraire helvétique à travers des romans graphiques, une forme de bande dessinée qui autorise toutes les audaces formelles. «Cela peut permettre de connecter les jeunes aux classiques et leur donner envie de lire l’original», explique Hadi Barkat, son directeur. Dessinée par le neuchâtelois Quentin Pauchard, «La grande peur dans la montagne», parue en avril, constitue le deuxième tome de cette série. Nous voilà transportés sur l’alpage de Sasseinère, dans le Valais romand, où une poignée de paysans, jeunes et âgés, se sont résolus à amener leurs bêtes. Les lieux ont été abandonnés depuis vingt ans, suite à la mort de plusieurs hommes dans des circonstances mystérieuses. Après quelques jours, des vaches tombent malades. Le vétérinaire du village décrète une quarantaine. Peurs, superstitions, s’immiscent dans les cœurs. L’alpage se transforme en prison. Pour capter cette ambiance, Quentin Pauchard, né au Val-de-Ruz (NE), s’est rendu à Evolène (VS). Il a alors l’impression de marcher dans les pas de Ramuz. «Comme beaucoup j’avais découvert ses romans à l’école, mais sans en garder un très bon souvenir. Adulte, j’ai eu beaucoup de plaisir à le redécouvrir et à chercher comment rendre accessible son œuvre tout en respectant son essence», raconte-t-il. Ses dessins, avec leurs aplats sombres où éclatent parfois les lueurs roses et jaunes du soleil, prennent le lecteur par la main. Nous voilà désespérés quand la jeune Victorine prend tous les risques pour aller retrouver son amoureux enfermé là-haut sur la montagne. Les peurs des hommes se transforment en fantômes qui, la nuit, viennent taper sur le toit. La maladie rôde. La montagne nourricière oppresse les hommes. De fait, le roman graphique en question donne envie de relire Ramuz. C’est aussi le cas de «Derborence», premier tome de la collection «Ramuz Graphique», paru en 2022, qui raconte l’histoire de cet autre alpage du Valais central, dévasté par la montagne en l’an 1714. Quinze personnes et plusieurs centaines d’animaux y avaient perdu la vie. «Ramuz a une écriture croquis, a expliqué le jeune dessinateur genevois Fabian Menor. Il ne décrit pas beaucoup les paysages ou les rapports humains, il présente un scénario brut. En lisant Derborence, je comblais les trous dans ma tête. Avec les dessins, je peux montrer ce que Ramuz n’écrit pas». À découvrir. STÉPHANE HERZOG «La grande peur dans la montagne» «La grande peur dans la montagne», CHARLES FERDINAND RAMUZ / QUENTIN PAUCHARD , 35 CHF GJON’S TEARS: «The Game», 2023, Jo&Co, Paris; CD (EAN 3700187680213) ou vinyl (EAN 3700187680220 Revue Suisse / Août 2023 / N°4 29 Lu pour vous

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