Revue Suisse 4/2023

Après la débâcle, que reste-t-il de Credit Suisse, à part le fameux bonnet? Quel cap prendra la Suisse? Notre sondage des partis en vue des élections 2023 Cardada Cimetta, le lieu le plus ensoleillé de Suisse, a aussi sa part d’ombre AOÛT 2023 La revue des Suisses·ses de l’étranger

Liberté. Solidarité. Responsabilité. Partout. Le 22 octobre 2023, c’est le jour des élections. N'oubliez pas de voter! Découvrez notre grand sondage électoral à partir de la page 17. Vous le trouverez aussi dans son intégralité sur www.revue.ch/fr POUR LES SUISSESSES ET SUISSES DE L’ÉTRANGER PROGRESSISTES ET SOLIDAIRES AU CONSEIL NATIONAL. Nous prenons parti LISTE PS HOMMES, CANTON DE BERNE Pascal Cuttat, travailleur humanitaire, Nairobi (Kenya)

Il y a près de 50 ans, la banque CS faisait en sorte que les Suisses aient les oreilles bien au chaud. L’ancêtre de Credit Suisse frappait un grand coup en distribuant gratuitement 800 000 bonnets. Tricotés dans une laine acrylique bleue, rouge et blanche qui grattait un peu, ces articles publicitaires avaient une esthétique plus criarde que raffinée, mais ils sont devenus des objets cultes. Les Suisses se les arrachaient, et donnaient ainsi un visage à la banque. Gratuit à l’origine, il coûte aujourd’hui jusqu’à 200 francs dans les ventes aux enchères en ligne. Et, au mois de mars, il valait 280 fois plus qu’une action de Credit Suisse. Entre-temps, la banque s’est définitivement effondrée, et le bonnet a pris le statut de relique. Dans l’urgence, le gouvernement suisse a contraint UBS à racheter sa rivale en perdition. L’État et la Banque nationale ont assuré la transaction avec des garanties à hauteur de plusieurs milliards de francs. Mais la chute de Credit Suisse n’appartient pas encore au passé, loin de là. Et les répliques du séisme se font sentir. De plus, la Suisse a appris au fil des ans qu’une crise bancaire en précède souvent une autre. Dans l’entretien qu’il a accordé à la «Revue Suisse», l’historien de l’économie Tobias Straumann note ainsi prosaïquement que même UBS, qui est désormais la seule grande banque suisse encore debout, aura probablement besoin un jour de l’aide de l’État, autrement dit de la collectivité (p. 4). Pour une grande partie de cette «collectivité», il y a belle lurette que «la banque» n’est plus la caisse d’épargne du quartier, qui offrait aux enfants leur première tirelire, accompagnait les projets et les rêves des gens et leur garantissait la sécurité financière à leur retraite. Les sentiments qui dominent, vis-à-vis des grandes banques mondialisées, sont le détachement et la distance, l’incompréhension des excès tels que ceux auxquels se sont livrés les dirigeants de Credit Suisse: s’accorder des millions de francs de bonus même pendant les années de perte! Ainsi, la descente aux enfers de Credit Suisse n’a pas suscité beaucoup de compassion. Le 22 octobre, la Suisse élira son nouveau Parlement. Celui-ci durcira-t-il la réglementation des banques? Quoiqu’il en soit, ces élections sont décisives pour l’orientation de la Suisse dans de nombreux domaines. Pour les quelque 220 000 Suisses qui vivent à l’étranger et sont inscrits au registre électoral, nous avons interrogé les six plus grands partis politiques du pays. Vous trouverez une partie de leurs réponses dans ces pages, et leur intégralité sur www.revue.ch/fr. MARC LETTAU, RÉDACTEUR EN CHEF 6 En profondeur L’avis d’un historien de l’économie sur la fin fracassante de Credit Suisse 8 Nouvelles Démission d’Alain Berset: il renonce à un nouveau mandat au Conseil fédéral Mise à l’épreuve réussie: les derniers essais d’e-voting sont concluants 10 Politique Le peuple accepte l’abandon progressif des sources d’énergie fossiles 20 Culture Comment un musée se défait-il de ses objets? L’exemple de Langnau 14 Reportage Cardada Cimetta, le lieu le plus ensoleillé de Suisse, a aussi sa part d’ombre 17 Élections 2023 Le sondage de la «Revue Suisse» auprès des six plus grands partis de Suisse 20 Chiffres suisses 26 Politique Le phénomène Pierre Maudet: réélu à Genève, malgré les scandales 30 Littérature En souvenir d’Anne-Lise Grobéty 31 Nouvelles du Palais fédéral Le nombre de Suisses de l’étranger a grimpé à plus de 800 000 34 Infos de SwissCommunity Cybercriminalité: des hackers dérobent des adresses de la «Revue Suisse» 38 Débat Une laine qui gratte Photo de couverture: le célèbre bonnet de ski CS des années 1970. Photo Silas Zindel, www.silaszindel.com La «Revue Suisse», magazine d’information de la «Cinquième Suisse», est éditée par l’Organisation des Suisses de l’étranger. Revue Suisse / Août 2023 / N°4 3 Éditorial Table des matières

4 Schwerpunkt INTERVIEW: SUSANNE WENGER La Revue Suisse: Monsieur Straumann, la fin de l’histoire de CS est-elle une rupture ou un tournant pour la Suisse? Tobias Straumann: Il s’agit tout au moins d’un événement. CS était la plus ancienne des grandes banques encore existantes. Mais sa faillite ne représente pas un tournant majeur. De grandes banques ont déjà disparu dans les années 1990. La Suisse en pos- «L’État devra probablement stabiliser aussi cette nouvelle banque» Fleuron de la tradition bancaire suisse, Credit Suisse (CS) a fait naufrage après 167 ans d’existence: l’État a forcé UBS à racheter sa rivale en perdition. Tobias Straumann, historien de l’économie, nous livre sa vision de la Suisse et des banques, nous parle des illusions de la politique et répond à la question suivante: un petit pays comme la Suisse a-t-il vraiment encore besoin d’une grande banque internationale? 1856 1934 1977 La banque des chemins de fer Alfred Escher (photo), politicien libéral et entrepreneur, fonde le Schweizerische Kreditanstalt (SKA) à Zurich. L’ancêtre de Credit Suisse (CS) devient vite la plus grande banque commerciale du pays; elle cofinance l’extension du réseau ferroviaire suisse. Bonnets de ski pour le peuple Pour se donner une image proche du peuple, Crédit Suisse distribue gratuitement 800 000 bonnets gratuits, qu’on verra sur les pistes de ski jusqu’à la fin des années 1990. Devenus un objet culte, ils valent bien plus que les actions de la banque au moment de la chute de CS. Adoption du secret bancaire Le Parlement inscrit dans la loi le secret bancaire pour les clients des banques en Suisse. Bien que controversé en Suisse et à l’étranger, le secret bancaire sera longtemps ardemment défendu. Face à la pression internationale croissante, surtout liée à l’évasion fiscale, la Suisse abandonne progressivement le secret bancaire pour la clientèle étrangère à partir de 2009. sédait cinq il y a un peu plus de 30 ans, il n’en reste qu’une aujourd’hui. La crise financière mondiale de 2008, avec le sauvetage par l’État de la plus grande banque suisse, UBS, puis la disparition du secret bancaire pour la clientèle étrangère ont été des traumas bien plus importants. Sauvetage d’UBS, fusion contrainte de CS: en 15 ans, l’État a dû secourir à deux reprises des grandes banques en difficulté. Or, la Suisse est un pays qui met en avant les valeurs de l’économie de marché libre. N’est-ce pas paradoxal? L’économie de marché est loin d’être parfaite en Suisse. Nous avons de nombreuses entreprises d’État ou pseudo-entreprises d’État et, dans le secteur bancaire, les banques cantonales, qui sont aussi des entreprises d’État. En outre, je pense que l’intervention de l’État dans les affaires des grandes Photo ETH-Bibliothek, Bildarchiv 4 En profondeur

banque était en difficulté. Or, il a fallu attendre mars pour qu’un plan de sauvetage voie le jour. Le tout a paru quelque peu improvisé, contrairement à ce qu’il s’était passé avec UBS. Cela m’a surpris. Nous n’en savons pas encore assez pour juger le comportement des autorités: la commission d’enquête parlementaire nous éclairera à ce sujet. Et CS devrait lui aussi faire sa part, spontanément, en livrant un rapport détaillé sur ce qui a capoté. Il le doit à la Suisse. Malgré les pertes et les scandales, CS distribuait des rémunérations et des bonus astronomiques. Certains En tant qu’historien, je suis moins surpris que cela n’ait pas fonctionné. En cas de crise, on a besoin de plans simples. La réglementation «too big to fail» était trop complexe, immature et un peu irréaliste. Un cas comme celui-ci implique toujours l’aval politique d’autorités étrangères. Or, cela peut prendre du temps. Face aux marchés financiers mondialisés, que peut encore faire la capitale fédérale? Plusieurs choses. L’État peut et doit agir énergiquement quand il s’agit de stabiliser des banques. Dans le cas d’UBS, il l’a très bien fait. La banque a été étatisée, partiellement et temporairement, et à la fin la Confédération y a même gagné quelque chose. Et UBS a adapté sa culture du risque. Dans le cas de CS, les autorités ont estimé qu’une fusion était plus sûre. L’avenir dira s’il s’agissait de la bonne solution. À qui ou à quoi est dû le naufrage de CS? Au management et au conseil d’administration. CS était mal dirigé depuis des années. Mais les autorités aussi doivent répondre à des questions. Depuis octobre 2022, on savait que la 1991 1997 2008 Crash d’une banque régionale La Caisse d’épargne et de prêt de Thoune, dans l’Oberland bernois, voit trop grand en matière de financements immobiliers et fait faillite. Les images de ce crash bancaire dans une Suisse réputée riche et solide font le tour de la planète. Plus de 220 millions de francs issus de fortunes privées et commerciales partent en fumée. Fusion au sein d’UBS Les deux banques historiques que sont l’Union de Banques Suisses et la Société de Banque Suisse fusionnent au sein d’UBS, qui devient la plus grande banque de Suisse. Son but est de renforcer ses activités financières internationales pour faire partie de l’élite mondiale. L’État sauve UBS Après la faillite de la banque américaine Lehman Brothers, UBS plonge dans le chaos de la crise financière. La Confédération et la Banque nationale suisse (BNS) injectent 60 milliards de francs pour éviter sa faillite. Finalement, l’opération ne coûte rien aux contribuables. banques n’est plus un tabou. Depuis les années 1990, la vulnérabilité du système bancaire, hypermondialisé et hyperlibéralisé, est évidente. Il est devenu tout à fait normal que les États interviennent régulièrement. Ils ne peuvent pas faire autrement, car sans cela, les grandes crises financières mondiales s’enchaîneraient. À l’étranger aussi, on attend de la Suisse qu’elle prévienne les incidents qui mettraient en péril tout le système bancaire. Après le sauvetage d’UBS, le Parlement a toutefois voulu éviter, à l’aide de la loi «Too big to fail», que l’État et les contribuables soient à nouveau confrontés à des risques financiers aussi importants. Peut-on parler d’un réveil politique brutal? Tobias Straumann (57 ans) est professeur d’histoire contemporaine et économique à l’Université de Zurich. Ses recherches portent notamment sur l’histoire de la finance et de la monnaie. Il s’intéresse en particulier à l’interaction entre les crises économiques, les institutions et la politique. «L’importance économique de la place financière est surestimée.» Photos Keystone

mal avec la culture d’entreprise suisse. En outre, les grandes banques suisses plaçaient souvent des employés de seconde classe à Londres et à New York, qui se comportaient comme des mercenaires et ne pensaient qu’à se faire un maximum d’argent en peu de temps. UBS a racheté CS en juin: la banque géante qu’elle est désormais est-elle viable? Elle est plus petite que ne l’était UBS avant la crise financière, et elle réduira certainement encore un peu sa voilure. Mais il est vrai qu’elle reste immense, puisque que la somme de son bilan atteint le double du produit intérieur brut (PIB) suisse. Je ne sais pas si elle est viable. Il est très probable qu’elle aussi connaisse un jour des difficultés et que l’État doive intervenir. Et l’on peut d’ores et déjà affirmer qu’introduire des règles plus strictes n’y changera rien. Pourtant, certains politiques exigent actuellement des réglementations plus strictes pour les banques d’importance systémique. Il serait bon d’exiger un peu plus de réserves, c’est-à-dire une plus grande part de fonds propres. Mais même ainsi, UBS ne sera pas à l’abri, il faut le savoir. Le système financier mondial est très vulnérable. CS était en maubanquiers semblent n’être plus guidés que par l’appât du gain, qui leur fait prendre tous les risques. Où est la banque entrepreneuriale d’autrefois, qui a fait avancer la Suisse? CS a conservé un secteur entrepreneurial jusqu’à la fin. Dans le domaine des crédits accordés aux entreprises, il a fait du très bon travail. Il est vrai que les fondateurs de la banque autour d’Alfred Escher, au XIXe siècle, ont investi dans les infrastructures. Mais les activités ferroviaires étaient déjà risquées, elles aussi. CS a connu des débuts mouvementés, car les cours boursiers des sociétés de chemin de fer n’arrêtaient pas de fluctuer. Quand ça allait bien, les banquiers aussi gagnaient bien. Et quand ça allait mal, ils ne touchaient pas de bonus. Voilà la différence avec aujourd’hui. Les erreurs de CS sont dues à la cupidité, oui, mais surtout à l’incompétence du conseil d’administration et de la direction. En quoi étaient-ils incompétents? À partir des années 1990, les grandes banques suisses se sont fortement internationalisées. Or, il est très difficile pour un management suisse de tenir bon sur les places financières de Londres et de New York. Les banquiers d’investissement anglo-saxons ont une tout autre mentalité, qui s’accorde 2010 2011 2021 Excès de bonus à CS Le patron du groupe CS, Brady Dougan (photo), touche un bonus de 71 millions de francs en plus de son salaire annuel (env. 19 millions), battant un nouveau record. Cette culture de bonus excessifs sera régulièrement critiquée en Suisse, mais les actionnaires de CS laissent faire. Milliards de pertes pour CS Des investissements risqués dans la société financière Greensill et le hedge fund Archegos entraînent des milliards de pertes pour CS. L’Autorité suisse de surveillance des marchés financiers (FINMA) ouvre une procédure contre Greensill et impose des mesures à CS. Loi «Too big to fail» Le Parlement suit la ministre des finances Eveline Widmer-Schlumpf (photo) et impose des règles plus strictes aux banques dont la faillite serait dommageable pour l’économie nationale, notamment UBS et CS. Elles sont «too big to fail», trop grandes pour faire faillite. Les exigences financières sont accrues, le cas d’insolvabilité est réglementé. 6 En profondeur

vaise posture, mais pas tant que cela. Il respectait tous les chiffres clés de l’Autorité de surveillance des marchés financiers. Il suffit qu’un incident se produise quelque part, et la contagion commence. Les États ne peuvent ni prédire, ni empêcher une crise financière, seulement l’endiguer à temps pour éviter des conséquences catastrophiques. Il est toutefois difficile de déterminer le bon moment pour intervenir. Face à de tels risques, ce petit pays qu’est la Suisse peut-il encore se permettre d’avoir une grande banque active sur le plan international? Avoir sur sa place financière une grande banque qui propose tous les services a des avantages. Si UBS, par volonté politique, devait à présent se défaire de ses secteurs internationaux problématiques, ou déplacer son siège, elle perdrait ces avantages. Mais elle gagnerait en stabilité. Des filiales étrangères «On peut d’ores et déjà affirmer qu’une réglementation plus stricte ne changera rien.» La place financière internationale suisse a-t-elle été importante pour la prospérité du pays? Son importance économique est surestimée. La Suisse est devenue une place financière internationale durant la Première Guerre mondiale, mais en 1914, juste avant la guerre, elle était déjà le pays le plus riche du continent européen pour ce qui est du PIB par habitant. Et ce, surtout grâce à son industrie, qui était très dynamique et qui a fait sa prospérité au XIXe et au XXe siècles, et jusqu’à ce jour. La place financière est née après l’industrialisation et s’est dotée, avec la gestion de fortune, d’une nouvelle source de revenus très florissante. Pour l’économie nationale, cela a toujours eu des avantages et des inconvénients. Quels ont été les inconvénients? Les salaires élevés du secteur bancaire ont attiré de nombreux travailleurs qualifiés, qui ont manqué à d’autres secteurs plus innovants. À présent, sans l’appel d’air du secteur bancaire, il y a de nouveau plus de place pour d’autres branches et innovations. Zurich a beaucoup de succès dans le secteur des assurances, qui est plus prévisible et plus stable. Je trouve qu’il convient bien mieux à la mentalité suisse. Mars 2023 Avril 2023 Juin 2023 Rachat d’urgence par UBS La crise s’aggrave à CS, les clients retirent leur argent. Le soir du dimanche 19 mars, la ministre des finances Karin Keller-Sutter annonce le rachat de CS par UBS. La Confédération garantit la transaction à hauteur de 109 milliards de francs. Le Suisse Sergio Ermotti est nommé à la tête d’UBS. Critiques au Parlement Lors d'une session spéciale, le Conseil national rejette les crédits d'urgence pour la reprise du CS, mais cela reste sans conséquence. Le Conseil des États les approuve. Une fois de plus, le débat s'engage pour savoir si la politique doit davantage encadrer les banques. Au Conseil national, les interventions en faveur d'une interdiction des bonus et d'une augmentation des fonds propres trouvent une majorité. Enquête sur la chute de CS Les deux Chambres du Parlement recourent à leur instrument de contrôle le plus puissant: une Commission d’enquête parlementaire (CEP). Dirigée par la conseillère d’État du Centre Isabelle Chassot (photo), la CEP se mettra au travail cet automne. Elle enquêtera sur l’action du Conseil fédéral, de la BNS et de la FINMA avant et pendant la crise bancaire. pourraient se charger de certaines opérations, comme c’est le cas pour la compagnie aérienne Swiss, qui appartient à la société allemande Lufthansa. Cela pourrait fonctionner. Même la disparition du secret bancaire ne nous a pas fait de tort. Zurich ne s’est pas appauvri, bien au contraire. Photos Keystone 7

Zelensky s’adresse au Parlement suisse La Suisse a offert au président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky, la possibilité de s’adresser au Parlement suisse par visioconférence. Dans son bref discours tenu le 15 juin 2023, Zelensky a notamment prié la Suisse d’organiser un sommet pour la paix. Dans les jours qui ont précédé, les infrastructures informatiques de la Suisse ont été victimes de plusieurs grandes cyberattaques de hackers pro-russes. Les services web de l’administration fédérale et du Parlement ainsi que de nombreux sites web officiels de villes suisses ont été paralysés. Peu auparavant, des informations de l’Office fédéral de la police, de l’Office fédéral de la douane et de la sécurité des frontières, des polices cantonales et de l’entreprise d’armement Ruag, détenue par l’État, avaient été dérobées par des hackers. (MUL) La négociatrice Suisse-Europe jette l’éponge Livia Leu, négociatrice en chef dans le dossier SuisseUnion européenne (UE), a décidé de quitter ses fonctions pour devenir ambassadrice à Berlin dès l’automne. Son départ, moins de trois ans après sa prise de fonction, intervient à un moment délicat pour la Suisse, car les discussions exploratoires sur un nouvel accord-cadre entre la Suisse et l’UE se trouvent dans une phase importante. Livia Leu a la réputation d’être une diplomate coriace, qui connaît bien ses dossiers. Cependant, on lui prête depuis peu des relations tendues avec le ministre des affaires étrangères, Ignazio Cassis. Le poste qu’elle occupait à la tête des négociations entre la Suisse et l’UE a changé de mains plusieurs fois au cours des dix dernières années: avant Livia Leu, Roberto Balzaretti, Pascale Baeriswyl, Jacques de Watteville et Yves Rossier l’ont occupé. (MUL) Thomas Zurbuchen fait le bonheur de l’EPFZ L’ancien directeur de recherche de l’agence spatiale américaine NASA, le Suisse Thomas Zurbuchen (55 ans), revient en Suisse pour devenir professeur des sciences et technologies spatiales à l’EPF de Zurich où, dès août 2023, il dirigera l’initiative «ETH Zurich Space». Thomas Zurbuchen est considéré comme l’un des chercheurs les plus influents du monde; à la NASA, il a apporté une contribution décisive aux sciences spatiales. D’après le président de l’EPFZ, Joël Mesot, «il a choisi l’EPFZ malgré les nombreuses offres qu’il a reçues d’universités de pointe du monde entier». (MUL) Un don russe de 100 millions de francs pour Unicef Suisse Unicef Suisse a reçu un don de 100 millions de francs de la part du journaliste russe dissident Dmitri Mouratov, lauréat du prix Nobel de la paix en 2021. Mis sous pression par les autorités, Dmitri Mouratov a dû suspendre les activités de son quotidien, la «Novaïa Gazeta». Il a alors décidé de vendre sa médaille d’or Nobel aux enchères à New York, puis d’offrir les fonds ainsi récoltés à Unicef Suisse et Liechtenstein. L’organisation fournit aussi une aide d’urgence en Ukraine. (MUL) Alain Berset En costume bleu, le conseiller fédéral Alain Berset est assis sur une bordure de trottoir à New York et consulte ses notes. Relax comme un gymnasien, insouciant comme un artiste, souverain comme un diplomate. La photo, prise en 2018 pendant l’Assemblée générale de l’ONU, traduit bien le style à la fois décalé, sûr de lui et conscient de sa mission du socialiste fribourgeois, membre du gouvernement suisse. Alain Berset, 51 ans, a surpris en annonçant qu’il quitterait le Conseil fédéral après les élections fédérales de l’automne. Pendant les douze ans qu’il a passés au ministère de l’intérieur, il s’est battu avec des dossiers complexes comme la hausse des coûts de la santé ou la prévoyance vieillesse, qu’il n’est guère parvenu à faire avancer. Mais ce bon vivant assumé a réussi à se faire aimer du peuple dans son rôle de père protecteur de la nation lors de la crise du Covid. Parfois, son statut d’homme d’État a souffert de son comportement. Pilote d’avion amateur, Alain Berset a pénétré sans autorisation dans l’espace aérien français. Il s’est permis une escapade extraconjugale, à la suite de laquelle il a été victime d’une tentative de chantage. Il a encaissé ces affaires avec nonchalance, sans qu’elles remettent en cause sa popularité. Plus grave: durant la pandémie, son chef de la communication aurait transmis des informations confidentielles à l’éditeur Ringier. Alain Berset a ainsi mis en jeu la crédibilité du Conseil fédéral. Avec l’annonce de son départ, il électrise une fois de plus la politique suisse. Si, lors des élections parlementaires d’octobre, des changements se produisent dans la force des partis, l’attribution du siège d’Alain Berset en décembre pourrait chambouler la formule magique au Conseil fédéral (2 UDC, 2 PLR, 2 PS, 1 Centre). JÜRG STEINER Revue Suisse / Août 2023 / N°4 8 Sélection Nouvelles

9 EVELINE RUTZ La «Cinquième Suisse» aimerait voter en ligne: c’est ce que démontre le premier essai appliqué du nouveau système d’e-voting. Le 18 juin 2023, les Suisses de l’étranger ont eu la possibilité de donner leur voix en ligne dans trois cantons. Après un arrêt de près de quatre ans, ils ont été nombreux à saisir l’occasion. «Ils apprécient beaucoup le fait qu’un canal de vote numérique leur soit à nouveau proposé», relève Barbara SchüpbachGuggenbühl, chancelière d’État du canton de Bâle-Ville. Dans ce canton, près de 53 % des votants vivant à l’étranger et ayant participé aux élections ont fait le choix de l’urne électronique. Ils ont été 54 % à Saint-Gall, et 56 % en Thurgovie. Un premier bilan positif Tous les participants se disent satisfaits. Benedikt van Spyk, secrétaire d’État du canton de Saint-Gall, note que les votants ont bien réussi à utiliser le système: «Notre service de support a reçu très peu de questions». Les retours des Suisses de l’étranger ont été positifs. Pour le canton de Thurgovie aussi, l’expérience a été concluante. «Nous sommes très satisfaits du fonctionnement du système d’e-voting», indique le chancelier d’État Paul Roth. La Poste, qui a développé ce nouveau système, les trois cantons et la Chancellerie fédérale s’apprêtent à analyser l’essai en détail et à procéder, le cas échéant, à des adaptations. Comme l’évoque Benedikt van Spyk, la procédure d’inscription, par exemple, devra encore être simplifiée: «Elle constitue un obstacle relativement important.» Pas de cyberattaques, pas de tentatives de manipulation La Poste parle d’une «première réussie». Elle a supervisé les essais et fourni de l’aide aux responsables cantonaux sur le terrain. Selon Michael Egger, responsable de l’e-voting à la Poste, aucune irrégularité n’a été reLes nouveaux essais d’e-voting sont concluants Les cantons de Bâle-Ville, Saint-Gall et Thurgovie ont mis en place un nouveau système d’e-voting le 18 juin 2023. Ils sont satisfaits des essais menés. Les Suisses de l’étranger sont les plus nombreux à avoir utilisé ce canal de vote. levée: «Toutes les voix électroniques se sont avérées valables, le secret du vote a été garanti en tout temps et le résultat, décompté correctement.» Le système n’a pas subi de cyberattaques, comme plusieurs entreprises suisses, la Chancellerie fédérale et d’autres autorités depuis le début de juin. «La sécurité informatique n’est pas donnée une fois pour toutes, c’est un processus continu», souligne encore Michael Egger. Après ce «bon début» il se dit persuadé que le vote électronique sera utilisé lors des élections fédérales de l’automne. La décision appartient aux cantons. Bâle-Ville, Saint-Gall et Thurgovie entendent continuer à proposer l’e-voting. Ils ont reçu du Conseil fédéral une autorisation générale s’étendant jusqu’à mai 2025. Pour les élections au Conseil national du 22 octobre 2023, ils ont demandé une autorisation séparée: la procédure est en cours. Aucun autre canton ne s’ajoutera à leur liste d’ici octobre. D’après la Chancellerie fédérale, il est trop tard pour cela, notamment pour des raisons logistiques. L’Organisation des Suisses de l’étranger (OSE) estime que les essais du 18 juin sont une «réussite totale». Ils ont montré que le vote électronique répond à un besoin de la «Cinquième Suisse». Dans les trois cantons, 25 494 Suisses de l’étranger avaient la possibilité de donner leur voix en ligne; 3616 l’ont fait. 85,3 % de tous les votes électroniques recueillis venaient de la diaspora. Bilan de la directrice de l’OSE, Ariane Rustichelli: «Le nouveau système d’e-voting a réussi sa mise à l’épreuve.» Version de démonstration du système d’e-voting: demo.evoting.ch Pour en savoir plus à ce sujet, voir page 35 Pour Barbara Schüpbach-Guggenbühl, chancelière d’État du canton de Bâle-Ville, ici lors d’une conférence de presse avant le test, le bilan est positif. Photo: Keystone Revue Suisse / Août 2023 / N°4 Nouvelles

THEODORA PETER «Le peuple a accepté un objectif ambitieux», a déclaré le conseiller fédéral Albert Rösti (UDC) après la votation. Le ministre de l’énergie et de l’environnement, qui n’est entré au gouvernement qu’en janvier, a défendu la loi climat adoptée par le Parlement contre la volonté de son parti. L’UDC estime en effet que l’abandon du pétrole et du gaz met en péril la sécurité de l’approvisionnement énergétique de la Suisse et a attaqué en référendum ce qu’elle a appelé la «loi sur le gaspillage de l’électricité». Mais la majorité des votants ont suivi la consigne de vote des autres partis, puisque 59,1 % d’entre eux se sont déclarés favorables à la neutralité climatique d’ici 2050. Les Suisses de l’étranger ont même voté à 76,8 % pour cet objectif. Un élan pour les énergies renouvelables La loi climat contraint l’industrie, les transports et les ménages à réduire fortement leurs émissions de gaz à effet de serre nocifs pour l’environnement au cours des trois prochaines décennies. En contrepartie, des investissements massifs dans des technologies sans CO2 sont nécessaires. Pour cela, le Parlement a débloqué des fonds d’encouragement à hauteur de 3,2 milliards de francs au total, par exemple pour inciter les propriétaires immobiLa Suisse veut atteindre la neutralité climatique d’ici 2050 Le 18 juin 2023, le peuple suisse a accepté la loi climat à près de 60 % des voix. Celle-ci prévoit l’abandon progressif des sources d’énergie fossiles comme le pétrole et le gaz. Toutefois, de nouveaux conflits s’esquissent autour des options sans CO2. liers à remplacer leurs chauffages polluants au mazout ou au gaz par des pompes à chaleur. Sur les routes, les véhicules électriques remplaceront progressivement ceux à essence et les diesels. L’industrie et le commerce doivent opter pour une production respectueuse du climat. Pour Albert Rösti, la Suisse ne pourra toutefois atteindre l’objectif dit «de zéro net» que si elle produit davantage d’électricité elle-même: «Nous ne pouvons pas nous contenter de compter sur les importations.» Le ministre de l’énergie et de l’environnement espère que le Parlement entérinera encore en septembre la nouvelle loi relative à un approvisionnement en électricité sûr. Ce projet donnerait de l’élan à l’énergie hydraulique, solaire et éolienne. La question de savoir dans quelle mesure on acceptera l’impact des nouveaux barrages, éoliennes ou centrales solaires sur la nature et le paysage fait toutefois l’objet d’une controverse politique. Selon l’issue des débats au Parlement, cette loi pourrait elle aussi faire l’objet d’un référendum, puis d’une nouvelle votation populaire. Les centrales nucléaires reviennent sur le tapis Les partis bourgeois et les associations économiques doutent que les énergies renouvelables parviennent à couvrir les besoins en électricité de la Suisse. Ainsi, le La nouvelle loi climat donnera aussi de l’élan à de nouveaux grands projets solaires et éoliens. Mais leur impact sur la nature et le paysage fait l’objet d’une controverse. Ici, le parc éolien le plus en altitude d’Europe, au bord du lac de Gries (VS), non loin du col du Nufenen. Photo Keystone Revue Suisse / Août 2023 / N°4 10 Politique

0 5 1015202530354045 50 55 60 65 70 75 80 85 90 95 100 76.9% dimanche même de la votation, certaines voix se sont élevées pour réclamer de nouvelles centrales nucléaires. Le PLR et l’UDC notent qu’on ne peut pas renoncer à la légère à l’énergie issue de la fission nucléaire, «respectueuse du climat». Seulement, la construction de nouvelles centrales nucléaires est interdite par la loi suisse depuis 2017, quand le peuple a approuvé la stratégie énergétique 2050 et l’abandon de l’énergie nucléaire. Néanmoins, l’urgence climatique et la crainte d’une pénurie d’électricité pourraient rebattre les cartes, et retarder au moins la sortie prévue du nucléaire. Ainsi, Albert Rösti plaide lui aussi pour un maintien en activité des centrales nucléaires suisses «jusqu’à ce que l’approvisionnement soit garanti». Or, pour cela, des rééquipements parfois coûteux seraient nécessaires. Reste à savoir si les exploitants des centrales seront prêts à faire ces investissements. En 2019, le groupe énergétique BKW a débranché la centrale nucléaire de Mühleberg parce que la poursuite de son exploitation n’aurait plus été rentable. Le peuple suisse pourrait ainsi devoir revoter sur la question du nucléaire dans quelques années. Un comité de droite rassemble actuellement, sous le slogan «Stop au black-out», des signatures en vue d’une initiative populaire prévoyant de lever l’interdiction en vigueur sur les centrales et d’autoriser, dans la Constitution, «toute forme de production d’électricité respectueuse du climat». La gauche se contente de secouer la tête devant cette «revalorisation idéologique» de l’énergie nucléaire. Si l’on développe les énergies renouvelables comme prévu, aucune pénurie d’électricité ne menace même en hiver, souligne le conseiller national PS Roger Nordmann, spécialiste en politique énergétique. Les partis verts de gauche, quant à eux, estiment qu’outre l’énergie hydraulique et éolienne, les installations solaires sur les bâtiments recèlent un potentiel important, jusqu’ici inexploité. L’Alliance climatique veut accélérer le tempo La gagnante de ce dimanche de votations est l’Alliance climatique, une organisation interpartisane. Galvanisée par le oui du peuple, elle attend désormais de la Suisse qu’elle «élève ses ambitions» et accélère le rythme, en particulier en vue de la révision de la loi sur le CO2. Le projet actuellement débattu par le Parlement est insuffisant, d’après elle, pour atteindre les objectifs de protection climatique dans les délais. L’Alliance climatique veut aussi que la place financière prenne ses responsabilités. Les banques suisses, dit-elle, doivent pousser les «grandes entreprises polluantes» à revoir leur philosophie et à agir. Le mouvement de protection du climat compte donner du poids à ses revendications lors d’une manifestation sur la Place fédérale de Berne le 30 septembre – trois semaines avant les élections fédérales. Oui à la loi sur le climat Les votants ont accepté à 59,1 % la loi fédérale sur les objectifs en matière de protection du climat, sur l’innovation et sur le renforcement de la sécurité énergétique, en vertu de laquelle la Suisse doit atteindre la neutralité climatique d’ici 2050. Oui à l’imposition minimale Avec 78,5 % des voix, le peuple a accepté l’introduction d’une imposition minimale pour les grands groupes d’entreprises actifs à l’échelle internationale. Par cette réforme, la Suisse prend part à un projet de l’OCDE et du G20. Oui à la prolongation de la loi Covid-19 61,9 % des votants ont accepté une prolongation de la loi Covid-19 à titre préventif jusqu’à la fin de 2024. Ainsi, les certificats Covid pourraient être réactivés si nécessaire, par exemple pour voyager dans d’autres pays. Suisses·ses de l’étranger Voix favorables (en %) à la loi sur le climat 0 5 1015202530354045 50 55 60 65 70 75 80 85 90 95 100 85.9% Suisses·ses de l’étranger Voix favorables (en %) à l’imposition minimale 0 5 1015202530354045 50 55 60 65 70 75 80 85 90 95 100 68.7% Suisses·ses de l’étranger Voix favorables (en %) à la loi Covid-19 Revue Suisse / Août 2023 / N°4 11

Elle fait connaître au public le processus complexe de l’aliénation dans les musées au moyen d’affiches, de séances d’information et d’appels à la participation démocratique: Carmen Simon, responsable du musée régional de Langnau (BE). Photos Andreas Reber Revue Suisse / Août 2023 / N°4 12 Société

EVA HIRSCHI «C’est un sujet tabou», affirme Carmen Simon (37 ans), responsable du musée régional Chüechlihus à Langnau, en Emmental (BE). «Mais le fait qu’un musée doive céder des objets de sa collection n’est pas nouveau.» Et pas surprenant, en réalité, car aucun musée ne peut collectionner à l’infini. Dans un musée régional, où la grande majorité des objets proviennent de donations, certains existent parfois en plusieurs exemplaires, quand d’autres peuvent être abîmés. Et un beau jour, la place vient à manquer. «Par conséquent, prendre soin d’une collection n’implique pas seulement de recueillir des objets, mais aussi d’en céder», souligne Carmen Simon, qui a repris la direction du musée en 2021. Les musées doivent revoir régulièrement leur inventaire et, le cas échéant, se séparer de certaines pièces. Ce processus s’appelle «l’aliénation». Un esprit pionnier en Emmental Le Chüechlihus à Langnau, qui est l’un des plus grands musées régionaux de Suisse, emprunte une voie pionnière à cet égard: dans le cadre d’un projet unique en Europe, voire au monde, il offre la possibilité à la population de décider de quels objets le musée se défera et ce qu’il en adviendra. «Selon nous, les Emmentalois doivent pouvoir se prononcer sur l’avenir de leur patrimoine culturel», expose Carmen Simon. Le conseil communal a donné son feu vert: «Nous avons bien compris qu’un musée n’a pas besoin de vingt cannes de marche et de douze rouets», note le responsable de la culture, Martin Lehmann. Hauts-de-forme et chemises de nuit, tabliers et cols de chemise, cosUn musée se désencombre Chapeaux, cols de chemise et bretelles: en Emmental, un projet pionnier permet à la population de décider de quels objets son musée régional se séparera et ce qu’il en adviendra. Il démocratise ainsi un procédé que tout musée connaît bien: «l’aliénation», soit la cession d’objets de sa propre collection. tumes folkloriques et foulards: lors d’une première étape, plus de 2000 objets textiles ont été cédés par la direction du musée et le «Conseil des objets», qui réunit des représentants du musée, de l’administration et de la politique, mais aussi cinq citoyens de Langnau tirés au sort. Et notamment Jacqueline Maurer, 36 ans: «J’ai tout de suite accepté, excitée à l’idée de participer à ce processus.» La sélection d’objets a été débattue en réunion. En même temps, la population et les titulaires du droit de cité ont pu donner leur avis dans le cadre d’un vote en ligne organisé sur le site www.entsammeln.ch. Tous les objets ont été photographiés et publiés sur le site web. Ils sont également exposés en libre accès à l’étage supérieur du musée. Des codes QR permettent d’obtenir la description de chaque robe, chapeau et manteau. «L’idée est que la population mène une réflexion active à ce sujet. Et le lien des gens avec les objets est renforcé chez nous par le fait qu’ils puissent les toucher: ce n’est pas le cas dans tous les musées», note Carmen Simon. Quelques voix critiques Ce processus décisionnel démocratisé a aussi suscité des critiques. «Au début, beaucoup se sont montrés sceptiques, surtout dans les milieux muséographiques», relate Carmen Simon. À ce scepticisme, elle a opposé la transparence: tout le processus est clairement documenté sur le site web du musée. Et même si les directives du Conseil international des musées exigent notamment qu’un objet cédé soit tout d’abord proposé à un autre musée, Carmen Simon pense qu’un musée n’est pas le seul endroit où le grand public peut profiter d’un objet. Quand le musée cède des objets de sa collection, il règne comme une ambiance de marché aux puces à Langnau: meubles, vaisselle et objets textiles anciens appartenant au fonds du musée. Photos Andreas Reber et Eva Hirschi Revue Suisse / Août 2023 / N°4 13

GERHARD LOB Le Tessin est considéré comme le «solarium de la Suisse». En effet, le soleil brille très souvent dans ce canton méridional, même si le Valais lui dispute âprement la place du lieu le plus ensoleillé de Suisse. La course est dominée tantôt par une localité valaisanne, tantôt par une tessinoise. Sur la moyenne à long terme, c’est toutefois le Tessin qui l’emporte, comme le montre une statistique de MétéoSuisse portant sur les années 1990 à 2020. Sur les dix destinations les plus ensoleillées, cinq se situent au Tessin. Et c’est Cardada Cimetta, la montagne emblématique de Locarno, qui arrive en tête du classement, avec une durée moyenne d’ensoleillement de 2256 heures par an. Elle est suivie par le chef-lieu valaisan, Sion, qui affiche 2192 heures d’ensoleillement. Ce n’est donc pas par hasard que le sommet de Cimetta, qui culmine à 1670 mètres d’altitude, est un lieu d’excursion apprécié par les locaux et les touristes. On y accède facilement par les airs: d’Orselina (395 m), «Nous interprétons les directives avec souplesse», indique-t-elle, précisant immédiatement: «mais nous traitons en priorité les candidatures professionnelles des musées.» Ce projet ne pose aucun problème à Jacqueline Maurer non plus. «L’équipe du musée n’a cédé que des objets qu’elle possédait déjà dans sa collection. Cette action sert en outre à rappeler le musée au bon souvenir des gens.» Cela semble fonctionner: la consultation publique a notamment permis au musée de récolter de nouvelles informations. Ainsi, certains biens culturels n’ont finalement pas été cédés. «Nous possédons l’expertise professionnelle qui nous permet de déterminer la fonction qu’avaient les objets. Mais pour certains, nous ne objet, mêmes dans d’autres régions, voire à l’étranger. Qu’ils comptent les utiliser pour un projet de recyclage, une performance artistique ou une décoration d’intérieur n’a pas d’importance. L’attribution de chaque objet fera à son tour l’objet d’une décision commune. Très prochainement – à la mi-août – une votation sera ainsi organisée au Conseil des objets, qui prendra aussi en compte les voix de la population recueillies en ligne. L’ensemble de ce processus de désencombrement prendra plus de six mois. Mais Carmen Simon trouve que cela est justifié: «Ces objets nous sont devenus familiers. Mon éthique professionnelle comprend un devoir de diligence.» Le scepticisme initial au sein de la population semble s’être dissipé, et l’intérêt croît aussi dans les milieux professionnels. Le musée a même reçu des demandes de l’étranger pour savoir comment le projet est organisé. La responsable du musée se dit très satisfaite. Il s’agit déjà de la deuxième action de cession d’objets: le musée en avait organisé une première l’an dernier pour se défaire d’une centaine d’objets. Et la prochaine est prévue en 2024. D’après un sondage réalisé par le musée auprès des personnes ayant participé au vote en ligne, nombreuses sont celles qui se sentent désormais encore plus liées au musée. «C’était bien l’idée: le musée ne doit pas rester enfermé entre ses quatre murs. L’important est d’établir un lien, car les personnes sont plus importantes que les objets», conclut Carmen Simon. Jacqueline Maurer abonde dans le même sens: «J’avais oublié à quel point notre région est intéressante et que nous pouvons être fiers d’être des Emmentalois.» Car l’objectif de cette action n’est pas juste de faire de la place à la cave, mais plutôt de se faire une place dans le cœur de la population. Le credo de Carmen Simon: «Les Emmentalois doivent pouvoir se prononcer sur l’avenir de leur patrimoine culturel.» Photo Eva Hirschi savons pas qui étaient leurs propriétaires et par quelles mains ils ont transité», explique Carmen Simon. Une blouse de travail cédée, par exemple, a été reprise dans la collection. «Pour nous, il s’agissait simplement d’une veste déchirée. Mais nous venons d’apprendre qu’elle avait appartenu à un réparateur de radios connu dans tout le village», poursuit la responsable. Le Conseil des objets a donc voulu la conserver. Bien plus qu’un musée La phase d’adjudication, enfin, qui détermine l’avenir des objets, a eu lieu pendant l’été. Pas dans le cadre d’une vente aux enchères ou en ligne – il n’y a pas d’argent en jeu –, mais d’une mise au concours très élaborée. Musées, organisations ou particuliers peuvent se porter acquéreurs d’un Vous trouverez des photos d’autres objets cédés par le musée régional de Langnau sur le site web revue.link/langnau Revue Suisse / Août 2023 / N°4 14 Société Reportage

un téléphérique rejoint d’abord Cardada (1340 m), localité de montagne dotée d’une petite église et de deux restaurants, où de nombreux Locarnais possèdent une résidence secondaire. En 2000, le téléphérique a été rénové par le célèbre architecte Mario Botta, qui en a aussi relooké les gares. Depuis, les portes de la cabine s’ouvrent et se ferment automatiquement. Une fois arrivé à Cardada, on respire littéralement un autre air. En été surtout, lorsque Locarno est une fournaise, la fraîcheur de Cardada fait l’effet d’une libération. Un télésiège permet ensuite de franchir les 300 bons mètres de dénivelé qui séparent Cardada de Cimetta. Il s’agit du dernier télésiège de Suisse à posséder des sièges latéraux, ce qui en fait une sorte de monument industriel des années 1950. Le panorama est sublime. De la station supérieure, il ne reste que quelques mètres à gravir à pied pour atteindre la plate-forme de Cimetta. On jouit ici d’un panorama incroyable allant du lac Majeur à la pointe Dufour, dans les Alpes valaiLa montagne sous le soleil Nul autre lieu en Suisse ne jouit d’un ensoleillement aussi important que Cardada Cimetta, au-dessus de Locarno. Cela attire les spécialistes de la recherche solaire. Petit tour d’horizon. sannes, et donc du point le plus bas au point le plus haut de Suisse. La plate-forme est traversée par la «ligne insubrienne», qui sépare les Alpes centrales du Sud alpin. C’est en quelque sorte ici que passe la frontière entre le nord et le sud du Tessin, entre les plaques continentales de l’Europe et de l’Afrique. Cette ligne est marquée en rouge sur la plate-forme. Plus haut, plus grand, plus rapide, plus beau? À la recherche des records suisses qui sortent de l’ordinaire. Aujourd’hui: l’endroit le plus ensoleillé de Suisse… et sa part d’ombre Juste au-dessous du point de vue, on voit, bien en évidence, plusieurs instruments de mesure de MétéoSuisse. C’est ici que l’on mesure la durée de l’ensoleillement, révèle le météorologue Nicola Gobbi. Il travaille pour la «station météorologique de Locarno», comme on a longtemps appelé le centre régional de MétéoSuisse à Locarno-Monti. Sur le toit de la station, l’homme nous montre le SPN-1, l’appareil moderne aujourd’hui utilisé pour mesurer la durée de l’ensoleillement, mais aussi le Solar 111 B de la société Hänni, un appareil plus ancien, dont on se sert encore à Cimetta. Grâce à des ailettes pivotant rapidement, ce dernier permet de couvrir d’ombre les cellules solaires les unes après les autres à de brefs intervalles. La durée d’ensoleillement est déterminée comme étant la somme de tous les instants durant lesquels un écart minimal est dépassé entre l’ensoleillement non perturbé et la valeur relevée lors de la projection d’ombre. Il existe 260 stations de mesure automatiques telles que celle-ci La plate-forme de tous les extrêmes: ici, sur la montagne des Locarnais, le soleil brille en moyenne 2256 heures par an. La terrasse est située à la jonction entre les plaques continentales d’Europe et d’Afrique. Photo Gerhard Lob © Swisstopo Revue Suisse / Août 2023 / N°4 15

en Suisse, qui forment ensemble le réseau de mesures au sol SwissMetNet. Avec MétéoSuisse, l’ensoleillement sur la montagne des Locarnais prend un tour scientifique. On y établit des statistiques et l’on interprète des données météorologiques. Mais pas seulement: dans le jardin de l’institut météorologique se trouve le Specola Solare Ticinese, un observatoire solaire qui mesure la périodicité des taches solaires. Fondé au cours de l’Année géophysique internationale, en 1957, il a fait partie de l’Observatoire fédéral de l’EPFZ jusqu’en 1980. Depuis, il est géré par une association privée et fournit des données à l’Observatoire royal de Belgique, l’organisme désormais responsable de la publication de la périodicité des taches solaires. Une curiosité: les cartes de ces taches sont encore dessinées à la main. Un peu plus loin en amont se trouve, quelque peu caché dans la verdure, un autre institut de recherche solaire, l’Istituto Ricerche Solari Locarno (IRSOL), spécialisé en physique solaire. L’IRSOL a été fondé en 1960 par l’université allemande de Göttingen, qui l’a géré jusqu’en 1984. Plusieurs lieux en Europe avaient été envisagés, et c’est finalement Locarno qui s’est avéré le plus adéquat en raison de sa position et de ses nombreuses heures d’ensoleillement. Dans les années 1990, des partenariats ont été conclus avec plusieurs universités, notamment l’EPFZ. Aujourd’hui, l’IRSOL est associé à l’Université de la Suisse italienne (USI). «Grâce à l’appareil spécial Zimpol, il parvient à mesurer très précisément la polarisation de la lumière solaire», révèle Michele Bianda, ancien directeur de l’IRSOL aujourd’hui retraité, en nous guidant à travers l’institut. Un coin de soleil qui attire la science Le soleil de Cardada Cimetta n’aimante donc pas que les touristes, mais aussi les scientifiques. Cependant, cet ensoleillement abondant, associé à des températures en hausse, a aussi sa part d’ombre. Pendant de nombreuses années, Cardada Cimetta était une destination d’hiver. Skier sur ce sommet, avec le lac Majeur à ses pieds, était une expérience unique. Et un premier téléski avait été construit encore avant le téléphérique. Mais les chutes de neige se font de plus en plus rares à cette altitude Michele Bianda, de l’institut de recherche solaire IRSOL, grimpe sur le spectrographe. Photo Gerhard Lob moyenne. En 2019, décision a été prise d’arrêter les activités hivernales. Depuis, presque tous les téléskis ont été démontés: leur entretien coûtait trop cher pour une utilisation épisodique. Cimetta est devenue une destination estivale. En hiver, la montagne attire encore quelques amateurs de randonnée à pied, en raquettes ou à ski, lorsqu’il y a de la neige. Le soleil est bon pour le corps et l’esprit. De manière surprenante, il ne joue pas un rôle essentiel dans le marketing de Cardada Cimetta, même s’il apparaît sur le logo de la destination. La montagne est surtout mise en avant comme un lieu d’aventures et un paradis de la randonnée pour les familles. C’était différent à la fin du XIXe siècle, alors que le tourisme tessinois prenait son essor et que le chemin de fer du Gothard était inauguré. À l’époque, des affiches publicitaires officielles faisaient encore mention des heures d’ensoleillement relevées à Locarno et Lugano, à côté de celles de Londres et de Hambourg. Aujourd’hui, le cliché du Tessin «solarium de la Suisse» paraît quelque peu éculé. Autrefois très fréquentée l’hiver, la destination devient de plus en plus appréciée l’été. Presque tous les téléskis de Cardada Cimetta ont été démontés. Photo ascona-locarno.com Revue Suisse / Août 2023 / N°4 16 Reportage

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