Revue Suisse 3/2023

Du grabuge dans les assiettes suisses: un parfum de révolution? Survivante de l’Holocauste, Agnes Hirschi raconte aujourd’hui les souffrances du passé aux écoliers La Suisse va enfin honorer ses vieilles promesses en faveur du climat MAI 2023 La revue des Suisses·ses de l’étranger

LE 22 OCTOBRE VOTEZ PS Chères lectrices, chers lecteurs, Solidarité, égalité, liberté, ouverture au monde. Nos valeurs reposent sur un principe : les mêmes droits pour toutes et tous – sans privilèges. En tant que socialistes, nous avons une conception européenne, internationaliste. C’est pourquoi nous nous engageons par conviction et depuis toujours pour de bonnes et stables relations entre la Suisse et l’Union européenne (UE) – aujourd’hui plus que jamais, des solutions institutionnelles sont nécessaires. En tant que socialistes, nous prenons parti pour la paix, la justice sociale, les droits humains et la protection de l’environnement dans le monde entier. Nous ne pouvons relever les grands défis de notre époque qu’ensemble. Salutations solidaires, Sarah Wyss (conseillère nationale / BS) et Fabian Molina (conseiller national / ZH) Vice-présidence du PS International www.sp-ps.ch/fr/parti/ps-international Pour les Suissesses et les Suisses vivant à l’étranger, il existe un nouveau portail socialiste avec des informations de première main sur la politique suisse. DIRECT-MAGAZINE.CH zkb.ch/suisse-expatries Chaque client a ses propres besoins et mérite une approche sur mesure. Un conseil individuel et professionnel répondant à des exigences de très haute qualité? Notre Private Banking a la solution qu’il vous faut.

C’est une idée un peu naïve, mais plaisante: la cuisine change le monde, de manière sensorielle. Car ce que nous cuisinons et mangeons peut avoir une incidence directe sur certaines grandes questions de notre époque. Par exemple, la manière d’éviter le gaspillage alimentaire. Ou de réduire notre empreinte écologique surdimensionnée. Nos assiettes sont ainsi de véritables terrains de jeu en matière de durabilité. Et nous en arrivons au sujet de notre dossier «En profondeur»: la petite révolution en cours dans les cuisines suisses. Autour d’une table, nous ne parlons jamais de faim, car nous vivons une époque de satiété. Mais nous nous demandons de plus en plus souvent comment bien nous alimenter sans mettre en danger l’avenir de la planète. La Suisse propose quelques réponses intéressantes. Nous avions l’intention de vous proposer ici quelques recettes de cuisine raffinées pour changer le monde. Mais une dépêche tombée le jour de la clôture de la rédaction nous a coupé l’appétit: en une nuit ou presque, la grande banque Credit Suisse s’est effondrée. Son déclin repose sur une histoire troublante. Née sous le nom de «Schweizerische Kreditanstalt», cette banque a marqué comme nulle autre le développement industriel de la Suisse à partir de 1856. La Suisse d’aujourd’hui a été façonnée par la vision d’avenir de cette banque d’hier. À présent, toutefois, il reste surtout de mauvais souvenirs de cette institution pionnière. Le mélange de dettes du passé, de risques insupportables, de décisions erronées, d’abus de confiance ainsi que le comportement fautif de certains et les bonus exorbitants que les dirigeants se sont accordés, s’est avéré excessivement toxique. Les dommages sont importants. L’ensemble du pays doit payer les pots cassés. La Confédération et la Banque nationale doivent soutenir à coups de milliards l’UBS, contrainte de racheter Credit Suisse. Et si vous pensez que l’histoire de Credit Suisse prouve qu’il n’est pas bon de dépendre de banques trop grandes, vous constaterez avec étonnement qu’une banque unique et encore plus puissante verra à présent le jour. La «Neue Zürcher Zeitung», qui a son siège à Zurich, métropole des banques, l’a décrit en ces termes dès le lendemain: «La Suisse s’est débarrassée d’une banque-zombie, mais elle se réveillera lundi avec une banque-monstre.» La somme du bilan d’UBS s’élèvera, après le rachat de Credit Suisse, à près du double du produit intérieur brut de la Suisse. Nous déglutissons avec peine devant nos assiettes pleines. MARC LETTAU, RÉDACTEUR EN CHEF 4 En profondeur La Suisse est en train de chambouler ses habitudes alimentaires 9 Nouvelles Les nouveaux essais d’e-voting redonnent de l’espoir à la «Cinquième Suisse» 10 Politique La Suisse veut enfin honorer ses promesses en matière de protection climatique 12 Élections fédérales 2023 Des aides électorales aident à choisir parmi la pléthore de candidats 14 Reportage Le lapin en chocolat se porte bien, mais le vrai lièvre brun va très mal Actualités de votre région 18 Nature et environnement Le nombre de voitures électriques augmente rapidement en Suisse 22 Société Les souvenirs d’Agnes Hirschi sur l’horreur de l’Holocauste 26 Nouvelles du Palais fédéral Les Suisses de l’étranger peuvent toujours compter sur un quintette compétent 28 Infos de SwissCommunity Saint-Gall, où se tiendra le congrès cette année, vaut toujours le détour La «Cinquième Suisse» ouvre l’année électorale et définit ses attentes 30 Débat Bon appétit! Photo de couverture: le dessin du caricaturiste bernois Max Spring pour la «Revue Suisse». www.maxspring.ch La «Revue Suisse», magazine d’information de la «Cinquième Suisse», est éditée par l’Organisation des Suisses de l’étranger. Revue Suisse / Mai 2023 / N°3 3 Éditorial Table des matières

Saumon au fromage frais sur pain grillé? Ne nous fions pas aux apparences. Ce «saumon» est un succédané végane à base de carottes, et le «fromage» est fabriqué avec des amandes. Photo Keystone Un léger parfum de révolution dans les assiettes suisses Revue Suisse / Mai 2023 / N°3 4 En profondeur

5 DENISE LACHAT Pour son dix-heures, Luc mange une brochette de fruits. En cas de petit creux dans la journée, il croque des légumes crus trempés dans des sauces, et son repas principal se compose d’une salade de pâtes aux tomates cherry et halloumi. Son dessert? Une verrine composée de séré, yogourt, baies et granola. Le père de Luc, qui accompagne son fils de neuf ans au cours de cuisine, avoue dans un clin d’œil qu’il aurait choisi un autre menu: «Mais cela m’amuse beaucoup». Le cours proposé par l’école primaire de Berne a pour but d’encourager les enfants à cuisiner. Car les enfants qui peuvent et savent cuisiner ont une alimentation bien plus diversifiée et équilibrée. Ils sont aussi plus ouverts lorsqu’il s’agit de goûter de nouveaux plats. Changement de décor. Dans l’entreprise Planted Foods SA, au cœur du Kemptthal, la découverte du procédé de fabrication rappelle aussi le temps de l’école, mais plutôt les cours de physique-chimie. Une farine à base de pois, de tournesol et d’avoine est introduite dans une grosse machine, mélangée à de l’eau et de l’huile de colza, pétrie, chauffée et pressée. Le résultat est une plaque de pâte, qui peut être découpée dans n’importe quelle forme selon que l’on souhaite imiter un blanc de poulet, un émincé ou un kebab. Cette usine de l’Oberland zurichois produit un aliment végétal rappelant la viande dans des locaux aux allures de laboratoire, où l’on porte blouse blanche et charlotte de protection. Pas une goutte de sang animal n’est utilisée ici, ce qui correspond exactement à la philosophie de Planted Foods. «Chaque poulet compte» constigiques pour donner à la protéine végétale, globulaire, une forme longue semblable aux fibres musculaires? Pourquoi faire fermenter cette pâte en y ajoutant des microbes comme des champignons et des bactéries? Et, enfin, pourquoi user d’un procédé sophistiqué pour fabriquer des morceaux plus gros, plus complexes, plus juteux et plus tendres, et leur ajouter des micronutriments tels que la vitamine B12? À ces questions souvent posées, Planted Foods a une réponse bien rodée: «L’être humain est un animal d’habitudes. Pour préserver la planète, notre alimentation doit changer. Et cela marche mieux avec un produit qui ressemble à la viande, car il s’intègre mieux dans nos habitudes alimentaires préexistantes.» Des alternatives dans la grande distribution Cela semble correspondre à un besoin des consommateurs. Depuis 1997 déjà, Migros propose des aliments de substitution à base de Quorn, un produit fabriqué avec des champignons comestibles fermentés, et sa marque «Cornatur» a été la première en son genre. La porte-parole du géant orange, Carmen Hefti, indique que les succédanés de viande et autres produits innovants connaissent depuis peu une forte croissance. Aujourd’hui, Migros possède plus de 1000 articles véganes dans son assortiment. Ceux qui marchent le mieux sont, selon la porte-parole, les ersatz de viande et de lait. Autrefois produits de niche, ils séduisent à présent le grand public. Le grand distributeur Coop propose lui aussi depuis 2006 un assortiment complet de substituts de Les Suisses sont en train de modifier fortement leurs habitudes en matière d’achats et de cuisine. Leur intérêt pour la protection du climat joue un rôle dans cette évolution. Les protéines végétales s’invitent de plus en plus souvent dans leurs assiettes. Mais, de manière générale, la viande reste très appréciée. tue l’un des slogans de l’entreprise, qui affirme avoir déjà sauvé plus d’un million de poulets de l’abattoir. Planted Foods se soucie aussi de la protection de l’environnement, l’industrie traditionnelle de la viande étant, selon elle, l’une des principales responsables de la crise climatique. Une alimentation nouvelle pour un animal d’habitudes Davantage de légumes et de céréales dans les assiettes, donc, et moins de viande. Mais pourquoi «reconstruire» de la viande à base de végétaux? Pourquoi ces immenses efforts technoloÀ la recherche de solutions viables pour l’avenir Près de dix milliards d’êtres humains peupleront la terre en 2050. Pour pouvoir tous les nourrir sans mettre en péril notre environnement, la production et nos habitudes alimentaires doivent radicalement changer: nous devrons consommer moins de viande, d’œufs et de sucre, et davantage de légumes et de fruits à coques. À côté des autorités, diverses organisations non-gouvernementales travaillent à cet objectif en Suisse. L’association Fourchette verte Ama Terra, par exemple, qui distingue des entreprises de restauration collective avec son label pour la qualité et la santé, est présente dans 17 cantons. L’objectif est d’encourager la réduction de la consommation de viande et de poisson, l’achat de produits écologiques et respectueux des animaux et la fin du gaspillage alimentaire. Des outils tels qu’«Eaternity», qui calcule le bilan CO2 des menus dans les cafétérias, ou «Beelong», qui attribue une note de A à G aux produits alimentaires, aident eux aussi les cuisiniers des EMS, des hôpitaux, des crèches et des cantines à favoriser une alimentation responsable. (DLA) De bons exemples d’alimentation responsable pour les cantons et les communes: revue.link/menu Revue Suisse / Mai 2023 / N°3

l’évolution du commerce de détail suisse entre 2016 et 2020, note lui aussi une forte croissance. En 2020, le commerce de détail suisse a réalisé un chiffre d’affaires de 117 millions de francs grâce aux succédanés de viande, contre 60 millions de francs en 2016. Cela représente presque le double, avec un taux de croissance annuel moyen de 18,4 %. D’après le rapport, les taux de croissance les plus élevés ont été enregistrés par les produits analogues à la viande, c’est-àdire ceux qui ont l’apparence et le goût de la viande. Ce changement des habitudes de consommation est attribué à une mutation des valeurs. Dans le monde industrialisé occidental, le seul besoin de satiété a perdu en importance face aux besoins de santé, de plaisir et d’un mode de vie qui préserve les ressources naturelles, relève le rapport. En 2019, une étude de l’institut Gottlieb Duttweiler sur les tendances alimentaires européennes, à laquelle ont participé 39 experts d’Europe, d’Amérique du Nord et d’Asie, établissait déjà le constat suivant: «De plus en plus d’individus prennent conscience de l’impact de nos habitudes de consommation et d’alimentation sur l’environnement, le climat et le bien-être animal». D’après l’étude de Coop, en Suisse, la protection de l’environnement est aujourd’hui la première raison déclarée du renoncement à la viande, et ce par tous les types de consommateurs, des flexitariens aux véganes. Et plus les personnes interrogées sont jeunes, plus cette raison est invoquée fréquemment. Un peuple de carnivores Malgré des taux de croissance impressionnants, les succédanés de viande restent un marché de niche. Selon les statistiques de Proviande, interprofession suisse de la filière viande, notamment sous sa marque Délicorn. Les premiers produits à être commercialisés ont été des saucisses à rôtir et des escalopes à base végétale. Coop propose actuellement plus de 2000 produits végétariens, dont plus de 1800 sont véganes, indique Caspar Frey, porte-parole de l’enseigne. On compte parmi eux plus d’une centaine de succédanés véganes de viande et de poisson, plus de 50 substituts du lait, 40 yogourts véganes, 20 ersatz de beurre et une vingtaine de fromages véganes. Les laits véganes ont aussi du succès chez Migros, qui vend du lait de soja depuis 2010, et désormais aussi du lait d’avoine, de riz, d’amande, de quinoa, de pois chiche, de coco et de noisette. Selon Carmen Hefti, les substituts de lait de vache ont enregistré un taux de croissance à deux chiffres ces dernières années. Migros ne communique cependant pas de chiffres précis sur ses ventes. Idem pour Coop, qui se contente d’indiquer que la part des produits laitiers véganes a augmenté de 18 % en quatre ans. Caspar Frey: «Aujourd’hui, plus d’un lait sur sept acheté à la Coop est un produit végane.» Pour la protection du climat Les Suisses se détournent-ils des protéines animales? Mangent-ils davantage de fruits et de légumes et, surtout, de protéines végétales? Lorsqu’on se penche sur les chiffres, la réponse est: oui et non. D’après l’«Étude sur l’alimentation végane en Suisse», publiée par Coop en janvier dernier, 63 % des Suisses renoncent aujourd’hui plusieurs fois par mois à consommer des aliments d’origine animale. C’est plus de 20 % de plus qu’il y a dix ans. Le premier rapport suisse sur les succédanés de viande de l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG), qui analyse Deux initiatives populaires visent la production alimentaire La Suisse est-elle à la veille d’un débat fondamental sur la production alimentaire? Deux initiatives populaires en préparation entendent approvisionner le pays avec davantage d’aliments suisses, tout en ayant des idées radicalement différentes sur la manière de changer la politique agricole. La première exige que les agriculteurs suisses cultivent moins de fourrage pour les animaux, mais plus de produits végétaux pour les êtres humains, tandis que la seconde veut réduire les surfaces écologiques pour intensifier la production de fourrage et d’aliments. (DLA) Exemple d’une nouvelle tendance qui rencontre un bel écho: du «poulet» végétal à base de protéines de pois. Photo Planted Foods Les «laits» végétaux sont aujourd’hui monnaie courante dans les rayons des grands distributeurs. Photo Keystone Des poules dans un élevage à Gundetswil (ZH), qui détient 18 000 animaux. En ce moment, le poulet est très à la mode dans les cuisines suisses. Photo Keystone Revue Suisse / Mai 2023 / N°3 6 En profondeur

(voir encadré). Un vent nouveau souffle aussi sur les cours de cuisine dispensés à l’école; en Suisse alémanique, le célèbre livre de cuisine scolaire «Tiptopf» a été remis au goût du jour. Dans son édition de mars 2023, près de la moitié des recettes sont nouvelles, notamment celle de la bolognaise aux lentilles ou de l’émincé de tofu. Anita Stettler, responsable du marketing de Schulverlag plus SA: «Cette dernière édition contient plus de plats végétariens et véganes que les précédentes. Et, en 2019, en collaviande, ils représentaient au maximum 3,4 % du marché en 2021. En effet, la consommation de viande ne décroît pas en Suisse. D’après les chiffres de Proviande, elle s’élève à près de 50 kg par personne depuis le milieu des années 1990 (50,91 kg en 2020, 51,82 kg en 2021), et si les Suisses mangent moins de bœuf, ils consomment davantage de poulet. Chez Coop non plus, on ne note aucune baisse de la demande en viande, pas même en janvier, mois qui se veut volontiers végétarien sous l’étiquette «Veganuary». Le porte-parole de Coop relève que les succédanés de viande s’adressent à toutes les personnes végétariennes ou véganes, mais aussi aux flexitariens et aux «substitariens» ainsi qu’à tous ceux qui s’intéressent aux nouvelles tendances ou souhaitent varier leur alimentation, et qu’on ne peut pas établir de comparaison directe entre les assortiments. Pour la porte-parole de Proviande, Gioia Porlezza, ce sont surtout les végétariens qui sont friands de succédanés. Et elle souligne que les ersatz et la viande ne s’excluent pas mutuellement: «Il est tout à fait possible de consommer les deux et de varier ainsi ses sources de protéines.» Quoiqu’il en soit, la zone de tension entre aliments «naturels» et produits high-tech durables s’est élargie. Les experts concèdent que la production alimentaire porte de plus en plus l’empreinte de la science. Alimentation et cuisine durables L’alimentation durable est une cause que le gouvernement national suisse promeut par des stratégies et des lois. De plus en plus souvent, des villes et des communes montrent l’exemple en instaurant des concepts d’alimentation durable dans les écoles, les homes et les établissements publics boration avec le restaurant végétarien Hiltl, nous avons mis au point une version entièrement végétarienne et végane de l’ouvrage, intitulée ‹Greentopf›». Pas de révolution, mais de nettes tendances Peut-on parler d›une révolution dans les assiettes suisses? Andrew Gordon note plutôt une tendance. Il dirige l’entreprise Eldora SA, qui gère des restaurants et livre des plats aux entreprises privées, mais aussi aux écoles, aux crèches, aux hôpitaux et aux EMS. Eldora propose désormais tous les jours un menu végétarien. En Suisse romande, où l’entreprise a son siège, la demande végétarienne s’élève à près de 10 %, et même un peu plus en Suisse alémanique. Les établissements publics sont les premiers à exiger des menus sans viande. Dans les écoles et les crèches, un menu végétarien doit être servi au moins une fois par semaine. Et les produits régionaux sont de plus en plus demandés. Hélas, les clients ne sont pas prêts à dépenser davantage: «Cela exerce une pression sur les marges d’Eldora.» C’est que l’être humain est plein de contradictions, souligne aussi l’étude de l’institut Gottlieb Duttweiler: «Il veut le beurre et l’argent du beurre, consommer mondial et local à la fois». Rapport «Plant based food report» de Coop: revue.link/foodreport Rapport suisse sur les succédanés de la viande (OFAG): revue.link/succedanes Étude de l’institut Gottlieb Duttweiler sur les tendances alimentaires (en allemand et anglais): revue.link/trends Des produits «sauvés» lors d’une action de partage alimentaire: la lutte contre le gaspillage gagne en importance en Suisse. Photo Keystone Les cantines ont un fort impact sur le comportement alimentaire, car elles peuvent renforcer les nouvelles tendances – ou les freiner. Photo Shutterstock Découpe d’un veau dans la boucherie Angst à Zurich. Malgré les nouveaux produits de substitution, la consommation de viande reste importante en Suisse. Photo Keystone Revue Suisse / Mai 2023 / N°3 7

UBS rachète Credit Suisse, la Confédération et la BNS accordent plusieurs milliards d’aide Credit Suisse (CS), c’est fini: la grande banque suisse est rachetée par sa rivale, UBS. Ainsi s’achève le feuilleton bancaire suisse de mars 2023. Ce rachat n’est qu’à moitié voulu par UBS. Sa direction a expliqué qu’il était nécessaire pour protéger la place bancaire et l’économie suisses de dommages importants. La transaction a été précédée de journées dramatiques. Début mars, l’érosion du capital confiance de CS s’est accélérée. Outre les problèmes internes, les difficultés de banques américaines ont alimenté la crise. Clients et investisseurs ont retiré plusieurs milliards de fonds placés chez CS. Le 16 mars, la Banque nationale suisse (BNS) lui a accordé, dans l’urgence, un crédit de 50 milliards de francs. Cela n’a pas servi à grandchose. Le 19 mars, le Conseil fédéral et la FINMA ont donc enjoint aux directions de CS et d’UBS d’entamer des pourparlers. Le résultat est tombé le soir même: UBS rachète CS pour trois milliards de francs. La ministre des finances, Karin Keller-Sutter, note que ce rachat est une bonne solution d’économie privée dans l’intérêt de la collectivité. Il n’en reste pas moins qu’il s’agit, de fait, d’un nouveau sauvetage d’une banque par l’État, même s’il est indirect et s’est fait par l’entremise d’une autre banque. La Confédération et la BNS offrent tout de même des garanties à hauteur de 250 milliards de francs, et la Confédération accorde 9 milliards de plus, en vertu du droit d’urgence, pour couvrir les risques. La fin de CS a un retentissement historique: il était issu de la «Schweizerische Kreditanstalt», cofondée en 1856 par Alfred Escher, pionnier de l’industrie, et a joué un rôle majeur dans le développement de l’infrastructure moderne de la Suisse. (MUL) Accélérer les mesures en faveur de la protection du climat Les mesures contre le changement climatique doivent être mises en œuvre encore plus vite: c’est ce que demande le GIEC dans son rapport présenté il y a peu à Interlaken (BE). Les experts estiment que les risques de réchauffement mondial sont encore plus grands qu’il y a neuf ans, date de leur précédent rapport. Ainsi, même en cas de hausse limitée des températures, des événements extrêmes tels que des sécheresses ou des inondations constituent une menace. L’objectif reste de limiter le réchauffement à 1,5 °C ou nettement en dessous de 2 °C. Pour cela, des efforts accrus sont requis, y compris en Suisse. Pour plus d’informations à ce sujet, voir pp. 10/11. (TP) L’athlète Marco Odermatt bat de nouveaux records Le skieur alpin suisse Marco Odermatt a non seulement remporté le classement général de la Coupe du monde de la saison 2022/2023, mais il a aussi battu de nouveaux records. Le skieur de 25 ans est le premier à avoir gagné plus de 2000 points en Coupe du monde en une saison. Il a ainsi battu le record actuel, vieux de plus de 20 ans, par une excellente régularité: au cours de cette saison, il a participé à 26 courses et s’est hissé 22 fois sur le podium. (MUL) Emil Steinberger Emil Steinberger, ou plus simplement Emil, a eu 90 ans en janvier. Et il reste l’humoriste le plus connu et le plus aimé de Suisse. Les spectacles du Lucernois amusent le public des quatre coins du pays depuis les années 1970, toutes générations et visions du monde confondues. Un véritable tour de force... Les numéros comiques qu’Emil a présentés au théâtre, à la télévision et même, pendant un an, au cirque Knie, sont ancrés dans la mémoire culturelle des Helvètes. «Poste de police», «Le préposé au télégraphe», «Le randonneur», «Les règles paysannes» ou «La poussette»: nombreux sont ceux qui connaissent encore par cœur des passages entiers de ses sketches. L’artiste, qui fut buraliste postal dans sa première vie, n’a guère besoin d’accessoires. Il fait rire par ses mimiques, ses gestes et ses mots. Emil incarne quelque chose de typiquement suisse, maladresse incluse, mais aussi d’universel dans ses quidams parfois dépassés par les événements, et ce sans jamais céder à la méchanceté. C’est ainsi que la «Neue Zürcher Zeitung» explique le succès de l’humoriste. Sans oublier le rôle qu’il a incarné dans le film culte «Les Faiseurs de Suisses», une caricature de la procédure de naturalisation et de sa rigidité. Emil a quitté la Suisse à 60 ans pour s’établir à New York. Il est revenu en 1999 pour remonter sur scène. Et vient de boucler une grande tournée en décembre. Emil vit désormais à Bâle et, malgré son grand âge, il est actif sur Twitter, de bonne humeur et sociable. «Des gens que je ne connais pas me confient que je les ai accompagnés toute leur vie», a-t-il récemment déclaré en interview. «D’autres m’avouent qu’ils parlaient comme Emil en famille.» Pourtant, l’homme n’a jamais cherché à avoir une telle popularité: «Je voulais simplement jouer et faire rire les gens.» SUSANNE WENGER Revue Suisse / Mai 2023 / N°3 8 Sélection Nouvelles

Vote électronique: les essais reprennent après un long temps d’arrêt Au mois de juin, les cantons de Bâle-Ville, Saint-Gall et Thurgovie lanceront de nouveaux essais de vote électronique. S’ils s’avèrent positifs, le nouveau système pourrait être utilisé lors des élections nationales de l’automne. EVELINE RUTZ Il sera à nouveau possible de voter par voie numérique en Suisse. Le 18 juin, 65 000 personnes au maximum pourront donner leur voix en ligne. Les cantons de Bâle-Ville, Saint-Gall et Thurgovie procéderont alors à des essais de vote électronique. Les trois cantons invitent les Suisses de l’étranger à y participer. Ils ont reçu le feu vert du Conseil fédéral pour une procédure de test limitée. Le canton des Grisons entend lancer la sienne en 2024. Les risques sont acceptables, a déclaré en mars le Chancelier fédéral Walter Thurnherr devant les médias. «Les systèmes d’e-voting peuvent être conçus de sorte à ériger des barrières aussi hautes que possible contre la fraude et à pouvoir détecter avec une grande probabilité toute tentative de manipulation.» La Poste répond aux exigences élevées en matière de sécurité. Elle a nettement amélioré son système depuis 2019, l’année où elle a dû le débrancher (cf. «Revue Suisse» d’avril 2021 et août 2022). Depuis 2021, il a été ausculté sous toutes les coutures par des hackers du monde entier. Surveillé en permanence par des experts indépendants, il est entièrement vérifiable. Cela signifie que les personnes qui votent sur Internet peuvent vérifier si leur voix a été correctement enregistrée. Le processus de test lui-même contribuera à améliorer le système de vote électronique, a souligné Walter Thurnherr. «Certaines conclusions ne peuvent être tirées qu’en mettant le système à l’épreuve.» Les cantons sont «très heureux» de pouvoir reproposer le vote électronique à titre d’essai. Nous reprenons les choses là où nous les avions laissées en 2019, après plus de 300 essais concluants, expose Barbara Schüpbach-Guggenbühl, chancelière d’État du canton de Bâle-Ville. L’e-voting répond à un besoin important, notamment pour les personnes en situation de handicap et les Suisses de l’étranger: «Pour eux, le canal numérique est décisif s’ils veulent exercer leur droit de vote.» Pour les cantons, ces essais sont synonymes de préparatifs et de coûts conséquents, note Barbara Schüpbach-Guggenbühl. Mais les efforts paieront, elle en est persuadée. Pour pouvoir maintenir la participation politique à son niveau actuel, l’État doit se préparer pour l’avenir: «Il doit proposer un service public qui va chercher les gens là où ils sont aujourd’hui, et là où ils seront demain.» Les codes seront toujours envoyés par courrier Les essais ne se dérouleront pas de manière entièrement numérique. Les personnes sélectionnées recevront leurs codes de sécurité individuels par courrier postal, avec les documents de vote usuels. Pour les Suisses de l’étranger, cela peut être un inconvénient, car certains d’entre eux ne reçoivent pas ces documents à temps. Néanmoins, en votant en ligne, ils s’épargneront au moins un trajet postal, et leur voix parviendra aux autorités suisses en quelques clics. Une identité électronique pourrait un jour simplifier encore le procédé: l’e-voting pourrait alors s’effectuer de manière entièrement électronique, en se passant de l’envoi du code par courrier postal. La Poste œuvre pour la transition numérique, déclare sa porte-parole, Silvana Grellmann. «Nous voulons transposer le secret des lettres dans le monde virtuel». L’entreprise emploie plus de 1700 collaborateurs dans son département informatique. Sur son site de Neuchâtel, elle a mis sur pied un centre de compétence cryptographique, où travaillent actuellement 47 personnes. «La sécurité est un processus qui ne s’arrête jamais», souligne Silvana Grellmann. La Poste continuera d’utiliser «l’intelligence collective des spécialistes» pour éliminer les erreurs. Elle fera aussi toute la transparence sur les points faibles, de manière à gagner la confiance de la population dans sa solution informatique. Si les expériences qui seront faites le 18 juin s’avèrent positives, les cantons pourraient proposer le vote électronique lors des élections fédérales de l’automne. Pour cela, ils devront en faire la demande à la Confédération. La «Cinquième Suisse» veut exercer ses droits politiques Ariane Rustichelli, directrice de l’Organisation des Suisses de l’étranger (OSE), parle d’un «signal positif pour la ‹Cinquième Suisse›». La mobilité de la population s’accroît, dit-elle, et l’on compte chaque année davantage d’émigrés inscrits au registre de vote; ils sont 220 000 actuellement. La durée moyenne des séjours à l’étranger augmente elle aussi. Il est donc d’autant plus important que les Suisses de l’étranger puissent participer à la démocratie. «Le vote électronique les aidera à maintenir leurs liens avec la Suisse», relève Ariane Rustichelli. Elle espère donc que les essais seront concluants. «Ainsi, ils pourront reprendre dans d’autres cantons aussi.» Selon le chancelier fédéral Walter Thurnherr, les risques du nouveau système d’e-voting sont acceptables, la probabilité qu’il offre de détecter les manipulations étant élevée. Photo Keystone Revue Suisse / Mai 2023 / N°3 9 Politique

THEODORA PETER On a parlé «d’une étape historique» lorsqu’en décembre 2015 à Paris, la communauté internationale s’est engagée à lutter conjointement contre le réchauffement climatique et ses conséquences désastreuses. Il a été décidé de maintenir la hausse de la température mondiale bien en dessous de 2 °C. Pour atteindre cet objectif ambitieux, la planète doit radicalement réduire, au cours des prochaines décennies, ses émissions de gaz à effet de serre nocifs pour le climat, tels que le CO2. L’enthousiasme de Paris a fait place à la désillusion. Durant les années qui ont suivi, nombre d’États ont pris du La Suisse honore de vieilles promesses en matière de protection du climat Plus de sept ans après la Conférence de l’ONU sur le climat à Paris, la Suisse inscrit la protection climatique dans une loi. Le texte entrera-t-il vraiment en vigueur? Le peuple suisse en décidera le 18 juin dans les urnes. L’UDC fait opposition.­ retard dans la mise en place des mesures nécessaires. La pandémie de coronavirus, la guerre en Ukraine et la crise énergétique ont imposé d’autres priorités. En Suisse aussi, les efforts politiques pour la protection du climat ont tourné court. En 2021, lors d’une révision de la loi sur le CO2, le peuple a dit non à la hausse des taxes sur les combustibles fossiles (Revue 4/2021). La neutralité climatique d’ici 2050 Les vagues de chaleur et les tempêtes ne cessent d’illustrer l’urgence d’agir. En Suisse, la fonte accélérée des glaciers est devenue le symbole même du changement climatique. Les chercheurs prévoient qu’une grande partie des glaciers alpins disparaîtront d’ici la fin du siècle. Malgré cela, la science estime qu’il n’est pas trop tard pour freiner le réchauffement planétaire. Le Conseil fédéral et le Parlement ont désormais fixé le cap vers la neutralité climatique dans une loi-cadre, qui prescrit que la Suisse doit atteindre l’objectif de zéro émission nette d’ici 2050. La réduction des émissions de gaz à effet de serre se fera par étapes. Des objectifs de réduction concrets ont été définis pour l’industrie, les transports et le secteur du bâtiment. Revue Suisse / Mai 2023 / N°3 10 Politique

Aperçu des votations fédérales du 18 juin 2023 Imposition minimale pour les grandes entreprises En tant que membre de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la Suisse participera à partir de 2024 à l’introduction d’une imposition minimale mondiale pour les grandes entreprises actives sur plan international. Celles qui réalisent un chiffre d’affaires de plus de 750 millions de francs seront ainsi soumises à un impôt minimal de 15 %. Ainsi, de nombreux grands groupes d’entreprises en Suisse devront payer davantage d’impôts qu’aujourd’hui, ce qui offrira des recettes supplémentaires aux pouvoirs publics. Ce mécanisme, qui a fait l’objet d’un accord international, n’est pas contesté. Mais les partis ne sont pas d’accord sur la façon de répartir l’argent supplémentaire. La clé de répartition décidée par le Parlement prévoit d’allouer trois quarts de ces recettes aux cantons et un quart seulement à la Confédération. C’est la raison pour laquelle le PS s’oppose au projet: il veut que davantage d’argent reste dans les caisses de l’État. (TP) Plus de protection climatique et d’investissements dans les énergies renouvelables La Suisse doit atteindre la neutralité climatique d’ici 2050. La loi fédérale sur les objectifs en matière de protection du climat, sur l’innovation et sur le renforcement de la sécurité énergétique règle la manière d’y parvenir (voir texte à gauche). Ce texte est un contre-projet indirect à l’initiative sur les glaciers, non partisane, qui a été retirée entre-temps. Il est combattu par l’UDC. (TP) La loi COVID-19 à nouveau sur la sellette Malgré l’abandon des mesures sanitaires, le Parlement a prolongé la loi COVID-19 à titre préventif jusqu’à fin 2024. Ainsi, le socle juridique pour une éventuelle réactivation des certificats COVID-19 est provisoirement maintenu, par exemple pour l’entrée dans d’autres pays. La révision de la loi est combattue par les «Amis de la Constitution», qui ont lancé un troisième référendum. (TP) Des investissements massifs dans des technologies sans CO2 sont également nécessaires. À cet effet, le Parlement a adopté un programme d’impulsions d’un montant total de 3,2 milliards de francs. Sur cette somme, deux milliards seront affectés au remplacement des chauffages au mazout et au gaz en l’espace de dix ans, et 1,2 milliard au soutien des innovations. La pression de l’initiative pour les glaciers Cette loi est un contre-projet à l’initiative pour les glaciers. L’Association suisse pour la protection du climat, non partisane, avait lancé cette initiative début 2019 déjà, et rassemblé en très peu de temps les 100 000 signatures requises. La pression populaire a fonctionné, et le Parlement s’est mis au travail. Satisfaite de la loi proposée, l’association a retiré son initiative à la condition qu’en cas d’échec du projet parlementaire dans les urnes le 18 juin, elle puisse tout de même reproposer ultérieurement l’initiative sur les glaciers au peuple. Malgré un large consensus au Parlement, tous les partis politiques ne sont pas favorables à la loi sur la protection du climat. L’UDC a lancé un référendum contre ce qu’elle appelle la «loi sur le gaspillage de l’électricité». Le parti part du principe que la consommation d’électricité augmentera massivement si l’on ne tolère plus, à l’avenir, que les voitures et les pompes à chaleur électriques. La Suisse manque aujourd’hui déjà d’électricité, avance l’UDC, qui craint en outre une hausse des coûts pour les propriétaires d’immeubles qui devront remplacer à long terme leurs chauffages au mazout et au gaz. Les partisans de la loi, quant à eux, soulignent que les pouvoirs publics financeront les investissements dans des énergies renouvelables telles que le photovoltaïque, l’énergie hydraulique et éolienne. Offensive solaire et énergie hydraulique Indépendamment de la loi sur la protection du climat, le Parlement s’est accordé sur une offensive solaire dès l’automne dernier. Cette offensive permettra de construire de grandes installations photovoltaïques aussi rapidement que possible, l’une d’entre elles étant prévue dans le canton du Valais (cf. Revue 1/2023). Par ailleurs, les deux Chambres débattent actuellement de la sécurité de l’approvisionnement électrique. L’objectif est de produire plus d’énergie à partir de sources renouvelables en Suisse, en particulier de l’énergie hydraulique. Quinze projets de lacs de barrage, capables de fournir de l’électricité supplémentaire en hiver surtout, bénéficieront d’un coup de pouce. Un bassin de retenue est par exemple prévu sous le glacier de Trift (cf. Revue 1/2022). Les opposants craignent que la protection de la nature ne soit négligée. Ainsi, il est fort possible que le peuple ait un jour à se prononcer aussi sur ce projet. En attendant, c’est le sort de la loi sur la protection du climat qui sera tranché le 18 juin dans les urnes. Cette votation est aussi une première mise à l’épreuve pour le nouveau ministre de l’énergie et de l’environnement, Albert Rösti (UDC). Dans son rôle précédent de conseiller national et lobbyiste de l’industrie du pétrole, il se battait encore en première ligne contre l’abandon des énergies fossiles. Aujourd’hui, sa fonction de conseiller fédéral exige qu’il défende, contre la volonté de son propre parti, une loi pour plus de protection climatique. Une image qui serre le cœur devant la chaîne de la Bernina: du glacier de Diavolezza, il ne reste que quelques étroites langues, qui sont recouvertes de tissu en été pour les protéger. Photo Keystone Revue Suisse / Mai 2023 / N°3 11

THEODORA PETER Le nombre effectif de candidats sera connu en août, à l’échéance du délai de dépôt des candidatures dans les 26 cantons. Il est fort possible que le record actuel de 2019 soit battu. Lors des dernières élections nationales, plus de 4600 candidats convoitaient l’un des 200 sièges du Conseil national. Et plus de 200 candidats étaient en lice pour les 46 sièges du Conseil des États. Cet automne, les électeurs pourraient à nouveau recevoir d’épaisses enveloppes dans leur boîte aux lettres. Elles contiendront une liasse de listes électorales, mais aussi de nombreux prospectus de vote, dans lesquels les partis et les candidats se présentent sous leur meilleur jour. Face à cette montagne de papier, certains électeurs sont un peu déboussolés. À chaque canton sa circonscription électorale L’épaisseur de l’enveloppe que les électeurs recevront dépendra aussi du canton dans lequel ils peuvent voter. Il en va de même pour les Suisses de l’étranger. Dans les deux cantons les plus peuplés de Suisse, Zurich et Berne, il s’agira d’élire respectivement 36 et 24 conseillers nationaux. Dans les cantons de taille moyenne, ce nombre fluctue entre 7 et 19, et dans les petits, entre 1 et 6. À cela s’ajoutent les listes pour le ou les deux sièges au Conseil des États. Les électeurs auront donc l’embarras du choix, même dans les petits cantons, puisque le nombre de candidats dépasse de loin le nombre de sièges vacants. Et si, lors des élections communales, on connaît les candidats parce qu’on les croise sur la place du village, la distance géographique est bien plus grande lors des élections fédérales, car les candidats sont recrutés dans tous les cantons. De près ou de loin, remplir son bulletin électoral est un droit démocratique qui requiert quelques efforts. Comment trouver les partis et les candidats qui correspondent le mieux à ses propres convictions politiques? Smartvote: un questionnaire et une toile d’araignée Les électeurs qui sont prêts à investir un peu de temps pour faire leur choix électoral peuvent s’inscrire sur Smartvote.ch. Gérée par un réseau scientifique, cette plate-forme fonctionne de la même manière qu’une recherche de conjoint sur Internet: on clique sur une série de questions auxquelles ont répondu au préalable les candidats. Ces questions n’ont rien de personnel, mais concernent des sujets centraux de la politique suisse, par exemple la prévoyance vieillesse, les primes des caisses-maladie, les Qui élire? Et comment? Aperçu des aides électorales Lors des élections fédérales du 22 octobre, comme à chaque fois, des milliers de candidats seront en lice pour les 246 sièges du Parlement. Les électeurs auront donc l’embarras du choix. Des plates-formes en ligne comme Smartvote proposent des outils pour y voir plus clair. impôts, l’environnement ou l’immigration. À la fin, une liste de «matches» permet de voir le nom des candidats qui correspondent le mieux (en pourcentage) à son propre positionnement. On peut aussi consulter le «Smartspider», un graphique en forme de toile d’araignée, qui représente le positionnement politique des candidats en fonction de huit axes thématiques (voir les deux exemples, p. 13). Pour les élections de 2023, le questionnaire sera mis au point d’ici l’été, comme l’explique Michael Erne, responsable du projet Smartvote, à la «Revue Suisse». Pour permettre des comparaisons avec des élections antérieures, une grande partie des questions resteront les mêmes ou seront actualisées. Un quart des 75 questions seront nouvelles. «Face à la guerre en Ukraine et à l’inflation, certains sujets gagneront en importance lors de ces élections, par exemple la sécurité, la neutralité et le pouvoir d’achat», relève Michael Erne. Les questions relatives à la numérisation, qui concerne tous les domaines de la vie, auront également plus de poids. Une nouvelle version en ligne dès la fin août Dès le printemps, le public a pu faire part de ses souhaits thématiques. Michael Erne relate que près de 200 propositions ont été enregistrées sur la toute nouvelle plate-forme conçue à cet effet, «BePart». Les internautes ont proposé des questions comme: «La Suisse doit-elle autoriser la réexportation de munitions et d’armes vers des pays tiers?» ou «Êtes-vous favorable à une entrée de la Suisse dans l’EEE?» Ces propositions seront intégrées à Smartvote, à côté de suggestions concernant la politique et la science. Le nouveau questionnaire sera mis en ligne après des essais, à La politique fédérale pour les plus jeunes Chaque année, près de 100 000 personnes visitent le Palais fédéral à Berne. Parmi elles, de nombreuses classes d’écoliers prennent part à une visite guidée ou suivent les débats du Conseil national et des États pendant les sessions parlementaires. L’ouvrage «Les souris du Palais fédéral», édité en 2022 par l’Œuvre suisse des lectures pour la jeunesse, plonge la jeune Melissa dans un univers politique qu’elle ne connaît pas. L’affaire est compliquée par le fait que l’écolière emporte en cachette sa souris Luna dans le bâtiment du Parlement. Lors de leur visite, les deux protagonistes vivront quelques aventures, tout en découvrant comment la politique fonctionne, officiellement et en coulisses. (TP) Revue Suisse / Mai 2023 / N°3 12 Politique

www.smartvote.ch/fr/home www.easyvote.ch/fr www.ch.ch/fr/elections2023/ www.elections-2023.ch Ch.ch: la plate-forme électorale des autorités Sur www.ch.ch, la Confédération et les cantons proposent de leur côté des informations sans cesse mises à jour sur les élections fédérales et ce, sous une forme concise et claire: du calendrier électoral aux règles des campagnes électorales en passant par la transparence du financement de la vie politique, le site propose même un lexique, qui explique des termes techniques comme «cumul» ou «panachage». En outre, il donne des instructions concernant l’inscription des Suisses de l’étranger qui veulent prendre part aux élections. la fin du mois d’août. Les personnes qui souhaitent tester le fonctionnement de la plate-forme dès à présent peuvent accéder au questionnaire en ligne des dernières élections nationales de 2019 pour se «faire la main». Il y a quatre ans, entre 500 000 et 600 000 électeurs ont utilisé la plateforme, soit 20 % de tous ceux qui ont voté le dimanche des élections. Smartvote est également très populaire du côté des candidats. Lors des élections de 2019, 85 % d’entre eux ont rempli le questionnaire. Ils ont tout intérêt à apparaître sur une plateforme d’aide aux élections. Seuls 15 % des candidats n’ont pas voulu y participer. D’après Michael Erne, il s’agit dans la plupart des cas de «bouchetrous», c’est-à-dire de personnes qui se mettent à disposition sur une liste électorale sans penser avoir une chance d’être élues. Easyvote: des vidéos explicatives et une application Easyvote.ch est une autre plate-forme qui facilite l’exercice du droit de vote et d’élection. Ce projet de la Fédération suisse des parlements des jeunes a pour principal objectif d’encourager les jeunes à participer au débat politique. La plate-forme propose en outre des informations neutres et accessibles, destinées à un large public, et qui donnent un bon aperçu des votations et élections à venir. En vue des élections fédérales, des clips vidéo expliquent en outre comment fonctionne le système à deux Chambres de la Suisse et comment remplir correctement un bulletin électoral. L’application Votenow permet une consultation sur smartphone. Société libérale Etat social fort l’environnement Forte protection de restrictive Politique des migrations Ordre et sécurité finances restrictive Politique des économique libérale Politique vers l’étranger Ouverture Société libérale Etat social fort l’environnement Forte protection de restrictive Politique des migrations Ordre et sécurité finances restrictive Politique des économique libérale Politique vers l’étranger Ouverture Typiquement de gauche Le graphique en toile d’araignée du Smartspider représente les valeurs et les positionnements politiques des candidats en fonction de huit axes thématiques. Dans l’exemple du haut, le candidat X défend un État social fort et une société libérale. Il est par ailleurs favorable à une politique étrangère ouverte et s’avère pro-européen. Il accorde un peu moins d’importance aux exigences relatives à la protection accrue de l’environnement, et s’oppose catégoriquement à une politique migratoire restrictive: sur cet axe-là, son approbation frôle le zéro. (TP) Typiquement de droite La candidate Y, quant à elle, est favorable à une politique économique libérale: elle souhaite une concurrence aussi libre que possible et une intervention limitée de l’État. Les mesures relatives à l’ordre et à la sécurité sont importantes à ses yeux, comme le montre l’axe correspondant sur le graphique. Elle appelle également de ses vœux une politique migratoire restrictive, et notamment une limitation de l’immigration. En revanche, la candidate Y est contre toute extension de l’État social et de la protection de l’environnement. (TP) Revue Suisse / Mai 2023 / N°3 13

MARC LETTAU Pâques est passé. Une fois de plus, nous avons pu constater l’abondance et la diversité des friandises pascales: lapins en chocolat, lapins au nougat, lapins aux éclats d’amandes, lapins d’or et compagnie ont envahi les rayons des magasins. Ceux-là ne rongent rien, ne glapissent pas, et se présentent en foule. Rien que le grand distributeur suisse Migros a produit 6,8 millions de lapins dans son usine Delica à Buchs (SG). Si la Chine connaît l’année du Lièvre, la Suisse est – ou plutôt était – le pays du lièvre. En Suisse alémanique, où lièvre se dit «Hase», l’animal sauvage a donné son nom à de nombreux lieux: Hasenacker, Hasenberg, Hasenbühl, Hasenburg, Hasenfeld, Hasengaden, Hasenhalden, Hasenmoos, Hasenplatte, Hasensprung, Hasental, Hasenstrick ou encore Hasenwinkel. Et ce ne sont là que quelques exemples qui montrent à quel point l’animal était fréquent dans le paysage – et dans le viseur des chasseurs. Le lièvre brun était un mets très apprécié. Dans les années qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale, on chassait jusqu’à 75000 spécimens par an. «Le lièvre brun était la proie préférée des chasseurs», explique la biologiste Claudine Winter, de la division Biodiversité et paysage de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV). Aujourd’hui, la statistique suisse de la chasse ne relève plus que 1500 tirs par an, car le lièvre brun va mal, surtout sur le Plateau suisse. La gravité de la situation est mise en lumière par le monitoring du lièvre en Suisse, mis en place en 1991, qui surveille des secteurs L’année du Lièvre En cette année chinoise du Lièvre, penchons-nous sur la situation de cet animal en Suisse. Le constat est extrêmement bref: si le lièvre brun sauvage va très mal; sa représentation en chocolat dans les rayons des magasins, en revanche, se porte comme un charme. rent, Coop, et tous les lapins en chocolat des autres acteurs du marché des friandises. D’après la fédération Chocosuisse, près de 16 millions de lapins de Pâques sont produits chaque année, soit deux lapins par habitant. À Pâques, on en consomme dans les 5000 tonnes. Une tradition ancestrale? Que nenni. Aucun lapin en chocolat ou presque n’existait avant 1950, et aucun n’était vide: il fallait encore que les chocolatiers découvrent et perfectionnent la technique des «figures creuses». L’essor de la production n’a démarré qu’il y a environ 50 ans, soit en même temps que la chute dramatique des effectifs de lièvres bruns dans la nature. Le monitoring du lièvre ne peut pas donner d’informations vraiment fiables sur le nombre de lièvres vivant dans toute la Suisse, puisqu’il ne se concentre que sur certains secteurs d’observation. Et même la statistique de la chasse a une pertinence limitée: dans de nombreux cantons, les chasseurs Une réalité en chocolat: la plupart des Suisses ne verront jamais de lièvre brun dans la nature. Mais ils ne pourront échapper aux millions d’exemplaires de sa représentation en chocolat. Photo iStock définis. Au fil des ans, on constate une seule tendance: la baisse. Depuis le début du monitoring, le nombre de lièvres bruns a de nouveau diminué de moitié, passant d’un niveau bas à très bas. Sur le terrain, les chercheurs n’observent plus que 2,5 lièvres par kilomètre carré. La harde des lapins de Pâques, elle, ne cesse de croître. Aux millions d’exemplaires de Migros s’ajoutent les millions d’exemplaires de son concurPlus haut, plus grand, plus rapide, plus beau? À la recherche des records suisses qui sortent de l’ordinaire. Aujourd’hui: l’extrême tension entre le modèle et sa représentation dans le cas du lièvre Revue Suisse / Mai 2023 / N°3 14 Reportage

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